Algérie

Lettre de province


Lettre de province
[email protected]/* */Le patriotisme a parfois bon dos lorsqu'on s'en sert comme un «opium» festif afin de rassurer mensongèrement un pays qui décline au pas de charge et où la société est traumatisée par le syndrome de sa propre incapacité à se réarmer moralement afin de se donner une nouvelle raison d'espérer.C'est certainement dans un but clairement politicien que les célébrations du 5 Juillet ont servi de marketing vantant une fictive réussite dont le maître d'œuvre ne pouvait être que l'actuelle présidence. Mais alors comment réinventer la bonne mesure afin d'évoquer avec justesse la fête de l'Indépendance sans que l'on soit contraint d'apprécier la ferveur populaire à travers le paradigme exclusif des pouvoirs en tant que dépositaires réels de notre émancipation ' Sans doute, faut-il exhumer un propos amusant rapporté par Cherif Belkacem (1) dans une de ses contributions au sujet du sens à donner à notre «indépendance» nationale.«Pour ce faire, écrit-il, je voudrais commencer par une anecdote qui est en fait une sentence prononcée par un officier supérieur de l'ALN, ayant mené le combat dans les maquis et dont on ne peut douter de son engagement révolutionnaire. Il disait «(”?) En fin de compte, 1962 est une victoire perdue.» C'est, ajoutait-il, une boutade de quelqu'un qui a exprimé de façon forte le fait que tout le rêve qui (le) portait a été brisé”? ». Il est vrai que la désolation des anciens combattants s'explique en partie par une idéalisation excessive de ce qui devait être l'apothéose du triomphe. Seulement, ce désenchantement n'a-t-il pas fini par contaminer l'ensemble de la société qui se reconnaissait de moins en moins en ce symbole de la souveraineté nationale que les pouvoirs successifs manipulèrent selon leur objectif ' D'ailleurs, Mostefa Lacheraf a été le premier à mettre en garde les dépositaires du pouvoir contre la propension à la «sentimentalité parfois bêlante» qui tourne le dos à la véritable décantation historique. Celle qui est destinée à «survivre et perdurer», ajoutait-il. Dans le prolongement de son constat, il posait justement la question du rapport de la jeunesse à l'histoire du pays et au sujet duquel il insistait pour que l'on finisse avec la «démesure pseudo-héroà'que et les seuls mythes avantageux qui agacent les générations post-indépendance et détournent leur intérêt pour l'histoire du pays. C'est ce qui est advenu notamment à la date du «5 Juillet» dont la célébration devint presque secondaire sauf lorsque le calendrier lui donne l'opportunité d'être utile à une campagne de propagande pour sauver un régime à son tour en perdition. En 55 années d'existence ce jour, majuscule à son origine, est passé de l'exubérance mémorielle à l'indifférence la plus incompréhensible. De la réclusion mémorielle, au nom d'un certain «révisionnisme historique» tacitement imposé par les putschistes de l'été 62 puis conforté par leurs successeurs du 19 Juin 65, il advint que certains stigmates marquèrent durablement les habitudes des grands clercs du régime qui préféreront alors donner le change en autorisant sa célébration sous le label prosaà'que de «fête de la jeunesse». Autant dire qu'après lui avoir soustrait toute sa sève et son sens historique, ce repère tomba en désuétude. C'est dire qu'en matière de tiédeur patriotique à ranimer, ce n'était pas du côté des masures populaires qu'il fallait tisonner mais bel et bien c'est auprès de la maison du pouvoir d'aller chercher les raisons de ce symbolique enfouissement. Autant l'oubli de cette date avait constitué par le passé récent un solide acte d'accusation à l'encontre du régime autant l'inexplicable somptuosité qui vient de marquer sa résurrection en 2017 suscite bon nombre de suspicions. Parmi celles-ci, il y aurait le fait que le système est en train d'acter secrètement sa propre impopularité après la dernière péripétie électorale. Son érosion politique coà'ncidant avec l'amplification de la crise économique ne lui laisse désormais que la voie étroite de la démagogie coûteuse célébrant moins la grandeur du passé que l'hyper-patriotisme des dirigeants du présent. Une grossière contrefaçon des dates de l'histoire nationale ridiculement perceptible dans la mauvaise littérature des propagandistes de service. C'est ainsi que la radio et la télévision officielles continuent à disserter stupidement sur cette fête de la”? jeunesse alors qu'il était plus correct de remonter l'horloge du pays afin que celui-ci puisse retrouver le temps réel de tous les moments historiques en les désignant par leurs inaltérables noms. Ainsi, l'on dira que le 5 Juillet 62 a été le premier matin de notre indépendance de la même façon que «Independence Day» des Américains renvoie au 4 Juillet 1776 de même que la fête nationale française est in hommage à la Révolution du 14 Juillet 1789. Dans tous ces outremers et outre-océans et malgré l'empilement des siècles qui les séparent de ces jours patriotiques, la même ferveur marque annuellement ces dates alors que chez nous, le chef de l'Etat se contente de la prose des scribes du palais pour manifester son intérêt. Comme quoi, l'insupportable recours aux mystifications politiques est toujours présent comme toile de fond des comportements publics des dirigeants. Rien d'autre que de dérisoires exercices pour hagiographes quand la faillite de l'Etat est un sujet de moins en moins tabou au point qu'il est parfaitement loisible d'entendre un Premier ministre avouer certains échecs de la précédente gouvernance sans pour autant insister sur la nature des sanctions de leurs auteurs ! Faux miroirs reflétant l'Etat de la nation et faux emballages destinés à vendre la qualité de vie d'une société alors que la misère reprend du service et risque de s'installer durablement. Cette vraie fausse célébration du 5 Juillet n'est, en définitive, qu'une outrance de plus afin de gagner du temps. C'est-à-dire celui que la communauté nationale va perdre jusqu'au moment où elle sera confrontée au vertige de la chute. Inapte par césarisme à se débarrasser de sa propre subjectivité, le régime s'entête à ne rien corriger des erreurs du passé. Même lorsqu'il faut simplement rétablir la primauté des dates historiques sur les contingences politiques des séquences du passé, il préfère associer la grande histoire à sa relative «grandeur» politique. C'est ainsi que faute d'un «5 Juillet» réinvesti de sa valeur fondatrice, nous eûmes droit à un déploiement d'artifices (et même de feux d'artifice) pour consolider l'allégeance institutionnelle au mythe du Président”? en l'absence du peuple au nom duquel l'on parle.B. H.(1) Cherif Belkacem, ancien membre du Conseil de la révolution décédé en 2009, avait publié dans le quotidien Le Matin une contribution à l'occasion du 5 Juillet 2002 intitulée «Pourquoi en sommes-nous là »(2) Mostefa Lacheraf in «Littératures de combat» (1985) éditions Bouchène.
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