Algérie

Lettre de province



Lettre de province
[email protected]/* */En décidant de faire de l'anniversaire de sa création une célébration entièrement dédiée à Aà't Ahmed, le FFS semble vouloir souligner, à travers cet acte de fidélité, qu'il n'y aura pas de place à un quelconque «révisionnisme» dans la ligne politique héritée du défunt et que l'orthodoxie militante laissée en legs par son fondateur ne saurait faire l'objet de débats doctrinaux. Or, de quoi est fait cet héritage et comment est né ce courant politique hors normes exclusivement dirigé et modelé durant un demi-siècle, par une personnalité d'exception ' Pour répondre à cette question, il serait peut-être utile de situer d'abord le contexte historique dans lequel avait maturé cette volonté chez Aà't Ahmed de traduire ses convictions en «machine» politique. Nous sommes en septembre 1963 et le grand schisme dans la direction de la révolution n'est pas clairement abordé entre les courants siégeant dans l'Assemblée constituante. En dépit même des alliances précédemment passées entre l'armée des frontières de Boumediène et le groupe de Ben Bella à partir de Tlemcen, certains leaders voulaient encore croire à la possibilité d'une Constitution tout à fait conforme à la déclaration du 1er Novembre. Parmi eux, l'on citera, entre autres, Aà't Ahmed et Ferhat Abbas. Or, dans l'étrange aréopage où les calculs des uns et des autres étaient de notoriété publique, l'élaboration consensuelle d'une Constitution destinée à ratifier l'acte de naissance de l'Etat algérien s'avéra rapidement impossible. Dans une ambiance à couper au couteau, certains membres prééminents se proposèrent de rédiger une première mouture puis de la soumettre à une plénière où pourtant le tiers des 196 élus étaient des chefs de guérilla n'ayant reçu qu'une scolarité rudimentaire. En vain, car il devint clair, au cours des semaines qui suivirent, que le projet de Constitution a été préalablement rédigé hors de l'Assemblée et que cette dernière ne devait que l'adopter sans débat. C'est donc à la suite de cette «imposture originelle» que Aà't Ahmed décida de remettre violemment son mandat tout en dénonçant publiquement les agissements de Ben Bella. En effet, ne déclarait-il pas à partir de la tribune de cette Assemblée «qu'un coup de force constitutionnel vient de se commettre, acculant le régime à découvrir son véritable visage». Il ajoutera d'ailleurs que «les tenants du pouvoir ont recouru aux méthodes coloniales de corruption afin de bâillonner et de truquer la volonté populaire». A la suite de ce réquisitoire sans concession, il entrera en dissidence et retrouvera la clandestinité des maquis à partir de laquelle il annoncera la création d'un courant politique d'opposition frontale mais rassembleur. Un nouveau frontisme venait de naître qui fera alors pièce à celui que s'inventa le pouvoir en confisquant le FLN de la Révolution. Dans la plupart des travaux qui lui sont consacrés par les historiens, l'on constate qu'ils insistent étonnamment sur la courte activité de tribun qui fut la sienne à l'Assemblée constituante et notamment sur le contenu de ses interventions. C'est ainsi que des mémorialistes rappellent la passe-d'armes engagée entre lui et Ben Bella en décembre 1962 et qui avait pour différend la nature de la future «démocratie». En réponse aux spécieuses définitions des libertés publiques, Aà't Ahmed ripostera magistralement à travers une grande leçon de politique et d'éthique. «(”?) Parions sur la démocratie, déclarait-il, comme valeur et méthode à la fois ; comme but doctrinal et moyen politique, également. Il ne faut pas entendre qu'il s'agit là d'une simple question d'orgueil national, d'un messianisme d'exhibition, d'une spéculation philosophique abstraite. Non ! C'est une option (”?) de raison. En tant qu'expérience démocratique, notre révolution répond à nos valeurs collectives et de dignité individuelle, à notre passé et à nos traditions de lutte (...)». Par ailleurs, il n'eut de cesse de plaider pour les libertés politiques et son refus de l'unanimisme appauvrissant. C'est ainsi qu'il fustigera dans le même discours le complot qui allait faire du Parti communiste la première victime de l'instauration d'un parti unique. Mettant en garde contre cette tentation totalitaire en gestation, il déclarait qu'un «parti fort organisé qui jouit de la confiance du peuple n'a nul besoin de dissoudre un autre parti comme le PCA. Il me semble au contraire, conclura-t-il, qu'il serait bon que ce parti puisse se maintenir car il jouerait le rôle de stimulant (”?). Je pense enfin que la prééminence du parti FLN n'entraîne pas nécessairement l'unicité (”?)». Tout est concentré dans cette imparable défense d'un vieux parti algérien qui était en même temps une plaidoirie anticipée au profit du multipartisme que l'on s'apprêtait à sacrifier sur l'autel du parti unique. Au moment où il écrivait ce discours, Aà't Ahmed pensait-il déjà à la création de son propre courant politique ou, au contraire, ne se referait-il pas uniquement à la réactivation du tissu partisan antérieur au 1er Novembre ' Celui qui s'était volontairement auto-dissous dans le FLN du combat national à l'exemple de l'UDMA dirigé par Ferhat Abbas, le PCA voire l'Association des oulémas. Sans doute que sa longue traversée, ponctuée par la mutation interne du PPA qui par, contrainte, avait pris successivement pour sigles MTLD puis CRUA, a-t-elle modifié profondément sa perception du sectarisme qui guette tous les partis ' Ce fameux parti-pris de l'exclusion basé sur une forme d'intolérance dogmatique jusqu'à l'instauration d'un monopole sur la pensée.Doté d'une clairvoyance politique rare, il eut souvent raison par ses analyses alors que des historiques de sa génération interprétaient différemment des évènements majeurs. C'est ainsi qu'à l'inverse de Boudiaf qui avait décidé de dissoudre le PRS après la disparition de Boumediène lui avait plutôt trouvé matière à remettre en lumière l'arbitraire politique qui avait également caractérisé cette longue période. Décrivant la succession fermée, Aà't Ahmed ironisa même sur les conséquences en déclarant que «la disparition de Boumediène a, dans les faits, plus profité que nui au régime» et de préciser sa pensée que «l'armée a tout naturellement désigné un des siens pour succéder à un des siens». Dans le même ordre d'idées, les évènements du 5 Octobre 88 ne l'avaient pas pris de court. D'ailleurs, à chaud, le FFS posa, dès le 24 octobre, la bonne question au sujet des prouesses officielles du Président Bendjedid. «S'agit-il d'un bluff démocratique, déclara-t-il, destiné à ravaler la façade afin de donner au pouvoir un semblant de légitimité ' Qui peut croire que des centaines de compatriotes ont été sacrifiés délibérément pour que le chef de l'Etat puisse procéder à son profit à un simple rééquilibrage des appareils et à un changement de personnes”?» (1).D'avoir porté le FFS à bout de bras durant un demi-siècle, Aà't Ahmed laisse un héritage que l'on ne saurait bonifier en abusant de la culture du souvenir. Vieille école du militantisme, ce front devrait certainement inspirer cette nouvelle génération ayant le désir de conquérir à son tour le droit d'engager le fer contre le pouvoir et également d'imposer l'alternance au détriment des mandarins qui habitent depuis longtemps la maison Algérie.B. H.(1) Toutes les citations de cette chronique sont extraites de la documentation du FFS.


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