Algérie

Lettre d'un économiste à nos élus locaux : «Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas»



« Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n'engendrent pas seulement un effet, mais une série d'effets. De ces effets, le premier seul est immédiat; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas; heureux si on les prévoit » (1). Ne vous est-il jamais arrivé d'entendre dire:  « Les collectivités locales souffrent d'une insuffisance des ressources, notamment fiscales; l'Etat ne consacre que des miettes de ses recettes aux communes. Au nom de la décentralisation, transférez les prérogatives fiscales vers les communes, et vous verrez comment la misère disparaîtra alors, et suivez, par la pensée, ses ricochets sur le développement local ».  Les avantages que les communes trouvent en leur garantissant leur indépendance financière, c'est ce qu'on voit. Le bien qui en résulte pour les populations locales, c'est ce qu'on voit encore.  Cependant, le désavantage que les assemblées locales trouvent à gérer ces compétences d'autonomie, c'est ce qu'on ne voit pas, et l'inconvénient que les contribuables éprouvent à s'acquitter d'une charge fiscale supplémentaire, c'est ce qu'on ne voit pas davantage.  Les pouvoirs publics doivent entreprendre avant tout des réformes plus approfondies tendant à réaliser un équilibre dans la structure du système fiscal local. L'autonomie locale sur le plan fiscal étant difficile à réaliser dans l'immédiat.  Pour l'Algérie, l'essentiel est de disposer dans un avenir proche d'un système fiscal modernisé, à la fois simple et mieux adapté aux capacités contributives réelles.  Les dispositions fiscales prévues dans les lois de finances au profit des collectivités locales ne résoudront pas le problème du système fiscal local. Elles ne resteront jamais qu'un emplâtre sur une jambe de bois, tant que ne sera pas revu tout le système de financement des collectivités locales.  La mesure urgente consiste donc à simplifier la fiscalité locale et à améliorer son rendement (2). Par exemple, les collectivités locales ne doivent s'intéresser qu'aux impôts dont l'assiette est peu mobile, tel l'impôt foncier (property tax). Les autres impositions doivent revenir en principe aux autorités nationales (3).  Vous comparez les collectivités locales à un champ agricole « déshérité » et les transferts fiscaux et l'impôt à des averses venant nourrir cette terre. Mais vous devriez vous demander quelles sont aussi les sources autres que cette pluie qui permettraient d'empêcher le dessèchement de la terre.  Vous devriez vous demander également s'il est possible que le sol trouve toute cette eau dans les profondeurs de sa terre elle-même; il ne resterait plus ensuite qu'à la puiser par l'exploitation de puits.  Cette eau des puits serait alors uniquement le produit des domaines; vous disposeriez ainsi d'un pouvoir sans doute assez large vous permettant de fixer librement le taux des redevances ainsi que leur mode de recouvrement. Mais, hélas, à l'heure actuelle, ces ressources domaniales et patrimoniales n'occupent pas dans les budgets locaux une place importante (4). En effet, elles ne dépassent guère 7% de l'ensemble des ressources locales. Face à cette affaire purement locale, les élus restent passifs et immobiles, et aucune mesure concrète n'est entreprise pour améliorer ce type de ressource. De grâce, Messieurs, évitez au moins l'ambiguïté et les contradictions et ne venez pas dire aux autorités nationales : « Augmentez nos ressources pour qu'on puisse mieux prendre en charge les besoins locaux ». Vous disposez d'un patrimoine, d'un domaine, de richesses, plus ou moins importants. Ceci constitue un véritable gisement de ressources pour vos budgets.  Prenons l'exemple suivant : l'article 12 de la loi de finances pour 2002 (5) a donné aux Assemblées populaires communales (APC) un pouvoir fiscal de liquidation, de recouvrement et de contentieux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Par cette mesure exceptionnelle, l'Algérie garde une exclusivité en dotant les communes d'une compétence en matière de contentieux.  Dans certains pays développés et du même modèle que la France, où le degré d'autonomie fiscale est très élevé, le contentieux de la fiscalité locale reste une compétence des services de l'Etat. Cependant, la question à poser est la suivante : les communes ont-elles pris en charge cette disposition qui leur donne une certaine autonomie fiscale ? Possèdent-elles des moyens matériels et humains suffisants pour mettre en place cette disposition dans le délai fixé par la loi ? A ce sujet, on peut se demander si elles détiennent actuellement des moyens suffisants pour assurer leur indépendance fiscale et financière.  Par ailleurs, permettez-moi maintenant, Messieurs, d'aborder un autre élément. L'augmentation continue des parts des ressources des collectivités locales par les lois de finances successives, en vue d'encourager l'industrie et le travail local et d'améliorer la situation du citoyen modeste, c'est ce qu'on voit. Mais la manière dont les élus locaux gèrent ces ressources, c'est ce qu'on ne voit pas, et l'effet qui en résulte pour les citoyens, c'est ce qu'on ne voit pas encore, quand bien même cela devrait pourtant sauter aux yeux de l'esprit.  Et que faire avec toutes ces ressources ? Combien de communes, classées « riches » par le volume de leurs recettes, se trouvent malheureusement dans une situation de développement médiocre ? Je vous rappelle donc, Messieurs, que, dans les finances locales, il n'y a que les ressources; il s'agit alors plutôt de voir la manière dont vous les utilisez.  Un élu s'engage par ses idées, son programme et son plan à répondre aux attentes des populations locales. Le budget n'est que la traduction financière de ces actions. Il comporte non seulement une prévision des recettes, mais aussi celle des dépenses à effectuer.  Aussi, la grande question dans les finances de vos municipalités n'est pas uniquement de savoir comment alimenter le budget local, mais surtout comment mieux dépenser.  Cela exige un effort de prévision et surtout de discipline budgétaire au cours de l'exécution de ce budget. Les élus doivent jouer un rôle assez important, d'un côté par l'amélioration des produits du patrimoine et l'exploitation des gisements « dormants », et, de l'autre côté, par l'utilisation rationnelle des ressources. Cela permettrait une meilleure exécution du service public local et une meilleure satisfaction des besoins de la société. Apprenons donc à ne pas seulement remarquer les choses qu'on voit, mais aussi à discerner celles qu'on ne voit pas. Notes:  (1) Cf. Bastiat F., « Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas », 1850.  (2) Bouzidi A., 25 questions sur le mode de fonctionnement de l'économie algérienne, éd. APN, 1988, p. 64.  (3) Cf. Musgrave R.A., The Theory of Public Finance, New York, McGraw Hill, 1959.  (4) Cf. Yellès Chaouche B., « Pour une revalorisation des ressources financières locales », in : IDARA, Revue de l'école nationale d'administration, n° 1, vol. 5, 1995, pp. 19-33.  (5) J.O. n° 79 du 23/12/2001.


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