Algérie

Lettre d'outre-tombe


Mon vrai nom ne vous dira sûrement rien, Bennacer Baghdadi. Mon pseudo d'artiste rappellera, par contre, aux plus de soixante ans, les temps où se confondaient l'aube et le crépuscule. Cette époque bénie où mon peuple, qui venait à peine de célébrer la fin de la nuit coloniale, se voyait, déjà, relégué au rang de spectateur du funeste destin qu'on lui préparait. Je suis Ahmed Saber, je vous parle du fond de la tombe qui m'accueille depuis le 19 juillet 1969.Homme de théâtre puis chansonnier, il faut croire que j'ai beaucoup dérangé le pouvoir colonial qui m'a emprisonné à plusieurs reprises avant l'indépendance de l'Algérie.
L'Algérie, mon pays, ne m'a pas fait plus de cadeaux. Très vite, très tôt, après juillet 62, j'ai senti venir le temps des flibustiers. Le vent de la rapine. Le temps du mensonge et de la trahison.
J'ai chanté ce temps et dès 1964 et deux de mes titres (El khedma et El khayène), où je dénonçais le chômage massif et le détournement de biens publics, la police générale d'Oran m'a enfermé, sur ordre du wali local.
Ben Bella, alors président de la République, après avoir écouté mes chansons, a ordonné ma libération, après quatre jours de cellule, accompagnant même son injonction d'une leçon sur la liberté d'expression!!
Vous admettrez que les temps ont bien changé depuis...
Je crois que j'ai été hirakiste bien avant l'heure. La vie ne m'a pas trop gâté puisqu'elle m'a quitté alors que je n'avais encore que trente-quatre ans. De grosses rumeurs ont circulé après ma disparition. On a affirmé, avec force, que j'aurais été assassiné pour les téméraires engagements que je prenais, alors, dans mes textes.
Je n'ai, malheureusement, pas d'informations à vous donner à ce sujet. Le dernier à savoir de quoi il est mort, c'est le mort lui-même ! Ça, tout le monde en est conscient...
La vie n'a pas non plus gâté mes compatriotes : des dizaines de milliers de morts depuis 1962, des milliers de disparus, des relégués, des embastillés, des exilés...
Du pillage, du pillage, encore du pillage!
J'entends d'ici les clameurs du Hirak, je ne suis jamais trop loin des lieux que vous occupez. Je n'ai jamais été trop loin de vous. Vous le savez bien, vous le clamez depuis que vous êtes descendus dans la rue. Rien n'a changé depuis soixante ans. Réécoutez mes chansons, vous mesurerez l'étendue du désastre !
M. O.
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