Algérie

Lettre à mon Professeur : « Cher Maître, je suis au regret' »



Lettre à mon Professeur : « Cher Maître, je suis au regret' »
par Collectif Autonome des Médecins Résidents Algériens, mardi 24 janvier 2012,
50 ans après notre indépendance, et alors que la réalité sociale et médicale a connu des bouleversements radicaux, on ne cesse de justifier l'inamovibilité de certains chefs de service, non pas en énumérant les facultés exceptionnelles ou la valeur pédagogique de leur encadrement, mais par le fait qu'ils aient été les «bâtisseurs» de la médecine algérienne alors que notre pays ne comptait que peu de médecins, et encore moins de spécialistes.
Cet insigne «honneur» historique semble leur conférer l'immunité en autorisant tous les excès dans la gestion de «leurs» services et de «leurs» personnels. Aucune critique sur notre formation et assurément aucune remise en cause de leur qualifications et compétences ne sauraient être formulés sous peine de voir leur auteur voué à la sanction déclarée ou tacite de ceux qui entraveront au long cours la carrière de ce jeune insolent.
Pourtant, combien sont-ils ces Médecins Résidents qui subissent au quotidien sans mot dire, au-delà d'une formation insuffisante, brimade et intimidation' Combien sont-ils ces jeunes Assistants devant éluder les irrégularités routinières -et connues de tous- pour accéder à la Maîtrise en fonction des dispositions plus personnelles que scientifiques des membres du jury' Combien sont-ils encore ces Maitres-Assistants ou ces Docents à végéter dans les antichambres de l'ancienneté en attendant que l'onction suprême daigne enfin leur céder passage et qui finissent par se fondre dans le moule en reproduisant les travers de leurs «mentors»'
Cette réalité détestable -que nous nous refusons de détailler ici pour ne pas étaler au grand jour les coulisses de l'indignité- nous chagrine pour ce qu'elle a de ravageur sur la qualité de notre formation et de fait sur la santé de nos malades. Longtemps nous avons cru à la dignité du «Maître», comme modèle académique et autorité morale, coiffé des lauriers de la connaissance et de la sagesse, garant de notre élévation scientifique et humaine. Nous voulions être les disciples attentifs et respectueux allant sur les pas de nos Professeurs vers la compétence et l'excellence afin d'éprouver ce sentiment si singulier lorsque nous parvenons à soulager le mal d'autrui. Mais la déception fut grande de nous voir confrontés aux autoritarismes, aux injustices, au mépris, au délaissement, à l'indifférence, victimes d'une sorte de complexe générationnel à l'atavisme néfaste.
Comment pourrions-nous nous imprégner de rigueur et d'éthique lorsque nous observons au quotidien les conséquences d'une condition professorale et hospitalo-universitaire dénaturée, socialement dépréciée, déviée de ces missions premières, victime, elle aussi, d'une société violentée ayant perdu ses repères, et d'un système de santé et d'enseignement qu'elle n'a pas su hisser vers la vertu et l'efficacité devant la pléthore d'étudiants à former.
À défaut de constituer une élite scientifique, elle a établi ici et là une sorte de caste, avec ses codes pour initiés et ses lignes rouges délimitant des prébendes de pouvoir et de privilèges à ne pas franchir.
Peut-être que l'illustration la plus caricaturale est cette difficulté que rencontrent beaucoup à accéder au « grade » de « Professeur Emérite » bien qu'ils satisfassent à la condition d'ancienneté décennale mais pas à celle plus impérieuse de la production et de la publication scientifique. L'absence d'ouvrages pédagogiques rédigés par leurs soins ainsi que la rareté de leurs études, travaux de recherches et publications sont un obstacle autrement plus décisif dont ne peut triompher seule la vertu de l'âge.
Et comment interpréter pour nous, Médecins Résidents en formation, cette légèreté et ce mépris des considérations pédagogiques venus cautionner la validation «au rabais» d'une année d'étude sacrifiée qui a connu 4 mois d'interruption d'activité et de cours en raison de notre mouvement de protestation '!
Conscients que cette année était caduque, les Médecins Résidents au travers d'un vote national s'étaient prononcés massivement et en responsabilité en faveur de « l'Année Blanche ». Hélas, cette option ne fut pourtant pas retenue par la tutelle qui préféra faire fi des exigences académiques les plus élémentaires en organisant dans la précipitation des examens tartuffes pour entériner au plus vite une année où les objectifs pédagogiques ne furent pas atteints.
Ceux qui sont responsables du recul de la médecine algérienne et que l'on entend nulle part dénoncer la médiocrité érigée en système parce qu'ils en sont les promoteurs et les premiers bénéficiaires ont brisé l'élan vers l'excellence et l'espoir de générations entières de médecins qui ne demandaient qu'à être formés dans les règles de l'art et qui se retrouvent hélas à se débattre entre la férule de l'incompétence et la morgue de l'oukase.
Ils ont également laissé le champ libre à tant de Médecins Résidents serviles et opportunistes que les rouages de l'incurie et de la carence pédagogique arrangent pour ce qu'ils permettent de facilité à se hisser sans efforts ni compétences, en nageant dans les eaux troubles de la compromission. Ceux-là, nos camarades, nous les dénonçons avec fermeté.
Mais si notre réquisitoire se veut loyal et juste, il serait indigne d'ignorer l'honorable conscience de certains de nos Professeurs méritants, à qui nous devons beaucoup et qui continuent dans la difficulté et l'épreuve à nous encadrer et à nous former avec rigueur et professionnalisme. Qu'ils nous pardonnent l'âpreté de nos mots, mais leur abnégation ne doit pas servir de caution pour dédouaner la responsabilité de ceux, nombreux, résolument coupables d'une situation devenue précaire pour notre formation et dangereuse pour la santé de nos patients.
Si le titre de Professeur a encore un sens et que les échelons de la qualité d'Hospitalo-Universitaire encore une valeur, ce n'est pas pour des revendications statutaires et salariales que les «Enseignants-Chercheurs » devraient faire grève, mais pour rehausser le niveau de la formation et celui de leurs publications scientifiques lorsqu'elles existent ! Mais ceci hélas est une histoire qui ne se monnaie pas!


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