Algérie

Lettre… à l'indépendance



Par Boualem Aïssaoui, producteur-réalisateur
Déjà à l'aéroport d'embarquement dans une grande ville régionale d'un pays européen, il avait remarqué que le comptoir d'enregistrement d'Air Algérie n'était plus confiné dans un angle mort où il fut dissimulé durant ces longues dernières années aux yeux des passagers des compagnies du Nord, comme un corps étranger porteur d'une maladie honteuse.
Les hôtesses étaient jeunes, belles, souriantes, exécutant leurs tâches avec assurance, courtoisie et rapidité, renvoyant au rayon des archives l'image de ces employées aux silhouettes entassées, aux coiffures approximatives exagérément maquillées, mâchant grossièrement d'interminables chewing-gums, conversant bruyamment entre elles et ignorant du regard le passager dont le billet de transport est pourtant la source principale de leurs salaires. Dans la salle d'embarquement réservée aux vols d'Air Algérie, mitoyenne avec les grandes destinations mondiales, finies les mines tristes qui offraient naguère beaucoup plus l'image d'un cortège funèbre que celle de voyageurs heureux de retourner dans leur pays. Finis aussi les sacs en fibre de plastique portant la marque d'une chaîne de magasins parisiens très populaires en milieu émigré et dont la seule vue indiquait qu'il s'agissait bien d'un vol en partance pour Alger ; finis les bagages volumineux qui encombraient les files d'attente, les couloirs et les coffres des cabines des avions qui pouvaient dès lors flotter en l'air dans des conditions confortables ; les soutes à bagages ayant enfin retrouvé toute leur vocation. L'avion était arrivé à l'heure d'Alger, et durant les préparatifs du retour, l'équipage très discret, dans un uniforme flambant neuf qui inspire le respect et la fierté, ne se précipitait plus aux free shops pour revenir quelques instants plus tard les bras chargés de sachets sous le regard moqueur des passagers aux yeux desquels il perdait un peu de l'élégance de son statut en faisant ses courses de façon aussi ostentatoire. Durant le vol, les passagers se surpassaient en courtoisie entre eux et envers le personnel de cabine dont le profil répondait sans hésitation aucune au casting le plus strict des plus grandes compagnies aériennes et qui accomplissait ses tâches avec un professionnalisme et une sérénité remarquables. Le commandant de bord, une femme, intervenait au micro pour souhaiter un bon appétit à ses passagers à l'heure du service repas, et donner de temps à autre quelques informations techniques sur le vol et les zones traversées. L'atterrissage à l'aéroport international d'Alger fut impeccable, ponctué par des applaudissements en cabine, les formalités de police simplifiées, sans carte de débarquement pour les nationaux, les instruments de contrôle électroniques à distance dispensant les agents de la police des frontières, très courtois, des exercices d'écriture et de réécriture au stylo à bille d'antan auxquels ils étaient astreints auparavant, l'arrivée des bagages sur le tapis immédiate et le contrôle douanier très fluide et très physionomiste et, sauf signalement préalable, les passagers empruntaient, la démarche assurée, le passage «rien à déclarer». Le hall de l'aéroport offrait l'ambiance d'une véritable aérogare internationale où se croisaient des gens de diverses nationalités parmi lesquels des groupes de touristes de tout âge et des hommes d'affaires attendus visiblement par leurs partenaires nationaux. Aucune trace des badauds qui arpentaient les lieux il y a quelques années, le port négligé, ni des chauffeurs de taxi clandestins qui opéraient au grand jour, ni des cambistes ambulants qui offraient leurs services, avec insolence, aux abords immédiats des guichets des banques. A l'air libre, il ressentait une sensation de bien-être et tout était ordonné pour donner du sens à son sentiment. Il n'eut pas de peine à prendre un taxi d'une propreté impeccable dont le chauffeur en tenue réglementaire lui ouvrit la porte, après avoir rangé soigneusement ses bagages dans le coffre arrière du véhicule. A l'intérieur du taxi équipé d'un GPS, une étiquette bien en vue renseignait les clients que le conducteur parlait trois langues étrangères, le français, l'anglais et le chinois. L'autoroute qui menait à la capitale avait bien changé depuis son lointain voyage. Des palmiers, les pieds dans des tapis de fleurs, dessinaient une magnifique perspective, les bordures de la route étaient nettes, la signalisation parfaite et de grands panneaux au design recherché vantaient les richesses touristiques du pays et incitaient les touristes à visiter La Casbah d'Alger qui étalait au loin, avec la fierté d un rocher qui a su résister à toutes les épreuves du temps, son immense manteau blanc. La baie d'Alger accueillait dans ses bras de majestueux bateaux de croisière dont les passagers aux tenues estivales, debout sur les ponts, faisaient de grands signes de la main à une ville belle et rebelle, à l'hospitalité légendaire, et tout au long de l'autoroute côté mer, on apercevait une allée piétonne ombragée avec des aires de jeux pour les enfants, des bancs publics pour les personnes âgées et des pistes spécialement aménagées pour les passionnés du sport de tout âge. A la rue Didouche- Mourad, l'une des plus belles artères de la capitale, il croise avec plaisir de nombreux jeunes gens et jeunes filles, certains bras dessus, bras dessous, pudiques et fiers de leur jeunesse et de leurs instants de bonheur. L'université avait apparemment retrouvé sa vocation contestataire et des cortèges d'étudiants encadrés par un service d'ordre parfaitement organisé faisaient les cent pas à l'intérieur de l'enceinte universitaire, portant d'immenses pancartes sur lesquelles on pouvait lire : «Sans travail, avec nos diplômes, on ne ferait pas de meilleurs citoyens», puis plus loin, «Le savoir au pouvoir !» Tout un programme… C'est un signe de bonne santé, se dit-il, car une université sans voix, sans bouillonnement intellectuel, devrait inquiéter davantage gouvernants et société. Aux terrasses des cafés, des couples sont attablés, de jeunes femmes sirotent une boisson rafraîchissante au milieu d'éclats de rire qui n'éveillent aucun regard indiscret, le cercle des étudiants était de nouveau ouvert et le garçon qui officiait d'une table à une autre, portant tablier blanc, les cheveux gominés, claquant du talon et faisant tourner le plateau autour de sa main rappelait jusqu'aux moindres tics le personnage de «Maurice» du temps des folles années de la vie estudiantine au lendemain de l'indépendance, il y a de cela cinquante ans. La «brasserie des facultés » dont le service proposait autrefois les meilleurs crus d'Algérie et qui dut, durant une longue période, se couvrir d'une baie vitrée et de rideaux en dentelle pour se protéger des regards hostiles, voire inquisiteurs, avait heureusement ôté son voile et renoué avec son charme d'antan. La cafétéria «immortalisée» dans La Bataille d'Alger, où il aimait prendre son café matinal fuyant le rituel sans saveur du restaurant universitaire, avait rouvert ses portes. Tout lui rappelait en mieux les premières années de l'indépendance, et très vite, il comprit que la jeunesse d'aujourd'hui qui ne pouvait être accusée de faire dans la nostalgie avait fini par comprendre après de douloureuses épreuves, que le rapport à l'identité et à la spiritualité pouvait se construire dans la liberté et la tolérance et cohabiter avec un mode de vie qui sied à une grande cité méditerranéenne aux richesses touristiques immenses. Tout au long de cette mythique artère principale d'Alger qui porte le nom d'un héros de la lutte de Libération nationale, des bacs à fleurs donnaient de la couleur et des parfums à la ville dont les trottoirs, avait-il remarqué, étaient enfin recouverts de grandes dalles en granit au grand bonheur des passants qui marchaient maintenant la tête haute, assurés et rassurés désormais contre de fâcheux «accidents de parcours ». D'après ses souvenirs, les trottoirs de toutes les villes et villages d'Algérie qui ont alimenté d'innombrables anecdotes ont permis la construction non pas d'espaces piétons propres et durables mais de fortunes toujours recommencées, les matériaux utilisés peu fiables et ne résistant pas apparemment — est-ce de l'incompétence ou est-ce délibéré — à la durée d'un seul mandat des élus locaux. Sur le front de mer, l'un des plus célèbres de la côte méditerranéenne, là aussi, des compositions florales suspendues à des lampadaires en ferronnerie d'art ajoutaient à la beauté de la baie d'Alger, et les touristes déjà à pied d'œuvre, appareils photos et caméras aux poings, rivalisaient en prises de vues pour alimenter leurs banques de souvenirs. Des rondes mixtes de policiers, bien portants, uniformes sur mesure et la démarche mesurée, certains montés à cheval, assuraient par leur seule présence dissuasive la quiétude des passants qui traversaient les voies dans une grande discipline aux endroits réglementaires largement et très visiblement indiqués. Le taxi le déposa à l'hôtel Aurassi qui domine la ville de son imposante architecture. Ambiance d'un hôtel international magnifiquement restauré, où les touristes, reconnaissables à leur allure détendue, croisent des hommes d'affaires qui rejoignent, le pas alerte, la salle de négociations. Il eut à peine le temps d'apprécier la qualité de l'accueil que le voici dans sa chambre, scrutant à travers le rideau la baie d'Alger merveilleusement illuminée. Une soirée toute entière consacrée aux souvenirs…En se regardant dans un miroir de sa chambre avant de s'endormir, il se demanda pourquoi il était en train de consigner tout ce qu'il voyait autour de lui depuis le début de son voyage. Il se rappela soudain qu'il eut un «trou noir» à l'instant même où il se proposait d'écrire, c'est sa passion, une lettre à… l'indépendance sous forme de fiction, dans un genre littéraire et artistique dans lequel il aime à s'exercer, pour demander des nouvelles du pays. Et le voilà maintenant transposé dans la réalité, observant au moindre détail ce qui a changé dans la ville. En fait, il avait en temps réel les réponses aux questions qu'il souhaitait poser, sans avoir à écrire une lettre et sans attendre de nouvelles. Mais était-il vraiment dans la réalité '
Lettre… à l'indépendance. Quelle idée d'intituler ainsi son courrier !
Peut-être a-t-il été inspiré par cette anecdote que lui avait rapportée un ami africain et qui mettait en scène un paysan venu des profondeurs de la brousse pour écouter le discours que son président de la République prononçait dans un village voisin et qui, déçu et épuisé par des promesses qui n'avaient pas changé d'un iota sa vie quotidienne, apostropha l'auguste orateur, en ces termes : Monsieur le Président, l'indépendance… quand est-ce que ça s'arrête ' L'histoire ne dit pas quel sort fut réservé à «l'impertinent » paysan qui associait, comme de nombreux citoyens des pays nouvellement indépendants, gouvernance et indépendance. Bien sûr, se dit-il, comme nulle part ailleurs, l'indépendance de l'Algérie avait un prix et qu'elle ne pouvait «s'arrêter» que si ses enfants lâchaient prise et tournaient le dos, dans un monde de plus en plus arrogant, à leur héritage. C'est parce qu'elle avait un grand prix que «l'indépendance » avait le droit d'interpeller, à l'image de ce paysan africain plein de bon sens, «la gouvernance» du moment, et à défaut de voir tous ses espoirs se réaliser, nourrir les rêves les plus fous, et bien plus, prendre ses désirs pour la réalité. Le lendemain de son retour au pays après tant d'années d'absence et une perte de mémoire qui commençait à s'estomper, il reprit, à pied cette fois-ci, le chemin du centre-ville en empruntant pour la première fois le métro nouvellement mis en service. Dans le hall du métro, de jeunes musiciens, guitare en mains, jouaient quelques airs de chaâbi, donnant ainsi un cachet typiquement algérois aux lieux, puis rejoignant la rame, il contempla avec plaisir sur les parois, de grandes fresques représentant les sites algériens classés au patrimoine mondial. A l'intérieur des voitures du métro, la majeure partie des passagers en tenue de ville était plongée dans la lecture de journaux, de revues ou de livres ; les jeunes offrant à l'occasion leurs sièges en signe de respect à des personnes âgées. De la station de la place des Martyrs où il descendit, il rejoignit très vite, le cœur serré, La Casbah, les images qu'il gardait à l'esprit lui faisant craindre le pire, c'est-à-dire une dégradation avancée de cette cité historique. Dès qu'il posa pied à Zoudj Ayoune, il fut émerveillé par la transformation des espaces. La Casbah avait enfin retrouvé son cachet d'antan, avec des ruelles commerçantes dédiées à des corporations de métiers traditionnels où le fabriquant d'instruments de musique côtoyait le miroitier et le brocanteur tandis que les boutiques des herboristes emplissaient l'atmosphère de senteurs enivrantes. A la sortie du Palais de Dar Khedaoudj El Amia, qui n'était plus le siège du Musée des arts et traditions populaires transféré, lui dit-on, au Bastion 23, il rencontra un cortège de femmes habillées en haïk blanc qui célébraient, sous les youyous de l'assistance, la Journée du patrimoine. La Casbah, forteresse historique qui veille sur la baie, héroïne de la bataille d'Alger durant la guerre de Libération nationale, était devenue un musée à ciel ouvert dont les visiteurs venus du monde entier parcouraient les ruelles, s'arrêtant un instant devant l'endroit marqué d'une plaque commémorative où Ali La Pointe et ses compagnons, préférant le sacrifice suprême à la reddition, périrent ensevelis sous les bombes d'une armée coloniale aux généraux assassins. Peu d'habitants sont restés à La Casbah, la majeure partie ayant été relogée dans une cité située à l'est d'Alger, proche de la mer, construite exactement sur le modèle architectural de La Casbah historique, mais disposant de tout le confort moderne. En quittant La Casbah, ses pas le conduisirent tout naturellement vers la mosquée Ketchaoua d'où sortaient en rangs ordonnés des fidèles tout habillés de blanc. La prière à la mosquée dans des tenues propres, éclatantes de blancheur, donnait selon lui à l'acte de soumission à Dieu la beauté qui sied à la pureté de l'âme, et il était heureux de constater que les âbayas aux couleurs sombres étaient bien rares, et que les ports négligés avaient fini par disparaître. Plus loin, au square Port Saïd, après avoir traversé la rue Bab Azzoun et ses échoppes qui ont fourni nombre de trousseaux aux jeunes mariées d'Alger et d'ailleurs, il eut la surprise de voir des artistes peintres, probablement des jeunes de l'Ecole des beaux-arts, dresser le portrait de passants ou reproduire des œuvres d'art célèbres, à côté d'étals de marchands de souvenirs qui donnaient affectueusement une dernière caresse aux objets avant de s'en séparer au profit de clients ravis de leur belle acquisition. Chemin faisant, en allant vers le centre- ville, il eut la surprise de voir un cortège officiel s'arrêter au feu rouge, et il ne put s'empêcher de se rappeler «le bon vieux temps» où même de retour à son domicile après ses heures de travail, une personnalité officielle avait «le droit» d'actionner le gyrophare de son véhicule et de doubler, parfois dangereusement, une longue file de voitures dont les conducteurs avaient «appris» heureusement, par l'effet de ce fameux réflexe de Pavlov, à serrer à droite, sans qu'on leur répète trois fois l'injonction. A la place Emir-Abdelkader, dont la stèle a été déplacée sur le côté droit pour libérer la belle perspective de la rue Ben M'hidi qui pouvait serpenter ainsi jusqu'à la Grande-Poste dont on distinguait au loin les lignes néo-mauresques, il s'attarda un moment devant un édifice portant le nom «Fondation du FLN» et il comprit aussitôt que ce qui était souhaité depuis fort longtemps, y compris par des historiques du FLN et nombre de moudjahidine, avait fini par se réaliser. Le FLN était rendu à l'histoire et ceux qui s'en sont réclamés durant de longues décennies avaient créé, lui dit-on, un nouveau parti sous le sigle «El Djebha» (le Front) sans que personne n'ait trouvé à redire ; la formule arrangeant en définitive tout le monde. L'histoire ne dit pas si le mouvement des redresseurs survenu un moment dans la longue vie du FLN avait eu le temps d'atteindre sa cible. Il trouva le temps de visiter, plus loin, à proximité du centre-ville, le marché couvert de la ville entièrement refait après avoir enlaidi durant de longues années le visage de la capitale et où les boutiques, notamment les étals des fruits et légumes, les poissonniers affichaient les prix d'achat et de vente des produits qu'ils proposaient à la vente à la grande satisfaction des clients qui se souvenaient à peine du temps où les marchands dictaient leurs prix en l'absence de tout contrôle de l'Etat qui avait déserté tous les espaces commerciaux au motif de respecter… la liberté des prix ! De retour à l'hôtel, il prit soin de noter dans son journal tout ce qu'il avait observé durant la journée puis actionna une télécommande pour voir le journal télévisé. Il eut l'embarras du choix et même quelques surprises en passant d'une chaîne algérienne à une autre, publique ou privée. Le Premier ministre algérien, une femme, était invitée sur le plateau de la première chaîne publique pour parler des droits de l'homme, le nouveau président de la République maghrébine sahraouie, dont la lutte pour le droit à l'autodétermination avait fini par triompher et qui avait signé depuis une union économique et culturelle avec le Maroc ainsi qu'un traité d'amitié et de coopération avec l'Algérie, s'entretenait avec le président de la République algérienne en marge d'une rencontre internationale. De l'entretien accordé par le président sahraoui à des journalistes espagnols, il crut comprendre que ce pays nouvellement indépendant avait donné son accord pour l'ouverture sur son sol d'une représentation du «mouvement de libération de Ceuta et Melilla» et que son gouvernement apportait tout son soutien au peuple marocain pour le recouvrement de son intégrité territoriale. Des reportages diffusés, il s'intéressa un long moment à l'inauguration du «Musée de la colonisation» érigé à Sidi Fredj à l'endroit même du débarquement des troupes françaises d'occupation, et dont l'exposition permanente retrace avec force détails et preuves, les crimes de la colonisation française en Algérie qui mérite bien un «grand procès», qu'une œuvre cinématographique pourrait donner un jour à voir aux générations futures… décidément, se dit-il, quelque chose avait vraiment changé dans la demeure algérienne. Des députés jeunes, en débat dans leurs permanences avec leurs électeurs, des ministres mis en difficulté à l'Assemblée algérienne en direct sur une chaîne parlementaire, un ministre qui annonce sa démission suite à un scandale découvert par la Commission de lutte contre la corruption dans son département ministériel, d'anciens officiers de la lutte de Libération nationale qui dédicacent leurs «Mémoires» et qui parlent sans tabou de certains dossiers entourés de mystères jusqu'à peu, des puissances européennes qui viennent demander de l'aide financière à Alger pour contenir la crise qui menace leur stabilité sociale, une agriculture excédentaire fortement exportatrice, un tourisme qui vend ses atouts à prix d'or, une industrie des brevets d'invention en plein essor qui contracte avec les plus grandes marques mondiales, un traité d'amitié et de coopération avec la France qui avait fini par reconnaître ses crimes coloniaux en Algérie, d'autres accords de grande envergure avec les Etats- Unis d'Amérique, la Chine, la Russie et tant d'autres nations… Toujours face à la télévision, dans sa chambre d'hôtel, il se fixa un instant sur un documentaire consacré à l'architecture en Algérie dont la réglementation exigeait que les toitures des maisons individuelles dans les villes et les campagnes de tuiles rondes, et qu'aucune construction inachevée ne serait tolérée au-delà du délai imparti au permis de construire. Il s'imagina aussitôt, dans un avion, côté hublot en phase d'atterrissage à l'aéroport d'Alger, admirant le beau panorama qui s'offrait à ses yeux sans les terrasses bétonnées et les poteaux surmontés de barres de fer qui
enlaidissaient jadis Alger vue du ciel. Dans un autre reportage sur une chaîne privée nouvellement créée par un grand quotidien national indépendant de langue française, il s'aperçut que la Maison de la presse n'était plus le siège collectif des journaux privés mais un musée où était racontée l'histoire de la presse algérienne depuis ses origines jusqu'aux années de la décennie noire qui a décimé nombre de journalistes héros de la plume contre l'intolérance, et pour le salut de la République. On y trouvait aussi des librairies, des boutiques de produits multimédias, des cafés-littéraires et un club des anciens journalistes où se mêlaient vétérans et jeunes talents.
Il s'endormit sur ces images…
Le lendemain soir, il décida d'aller flâner au centre-ville. Il fut admirablement surpris par une animation nocturne digne des grandes capitales méditerranéennes. Familles, jeunes gens, filles et garçons occupaient les terrasses des restaurants, des cafés et des salons de thé, dégustaient des glaces ou se promenaient dans les grandes artères de la capitale et dans ses quartiers historiques, dans une sécurité et une sérénité parfaites. Il se dit que les habitudes propres au mois de Ramadhan avaient fini par déborder heureusement au-delà de ce mois de privations diurnes et de jouissances nocturnes, et que la ville n'était plus en habits de deuil une fois le soleil couché. Au port délivré enfin des barricades qui le séparaient injustement de la ville, des bateaux navettes prenaient la direction des villes côtières comme Tamentfoust ou Tipasa, et on pouvait distinguer sur les ponts des terrasses illuminées où des passagers avaient pris place pour se restaurer ou se rafraîchir avant de rejoindre leurs destinations, ou tout simplement pour une excursion maritime nocturne. Les salles de cinéma, de théâtre et de concerts libéraient en différents points de la ville des vagues de spectateurs qui commentaient, chemin faisant, le dernier film de Mohamed Lakhdar Hamina dont le rayonnement culturel a dépassé depuis longtemps les frontières du pays, la reprise par M'hamed Benguettaf de la célèbre pièce Blis Laouer Kayen Menou ' adaptation libre d'Ivan Ivanovitch a-t-il existé, ou fredonnaient avec plus au moins de bonheur le dernier titre de la nouvelle étoile de la chanson andalouse algérienne. Il aperçut des voitures de nettoyage bien silencieuses conduites par des jeunes constitués en coopératives sous le nom «Alger la blanche», bien visible sur leurs blousons, qui passaient à grande eau les trottoirs, après que d'autres camions portant le même sigle eurent vidé très proprement les bacs à ordures remis immédiatement à leur place sans aucune nuisance sonore. Comme toutes les capitales du monde, Alger avait enfin un maire, de lignée citadine, a-t-il appris, qui veillait jusqu'au moindre détail à la propreté de la ville et à la qualité de vie de ses habitants. Qu'il est loin le temps où Alger était classée parmi les premières villes les plus invivables de la planète ! Il déambula jusqu'au petit matin dans la ville, d'un quartier à un autre, avec comme seuls compagnons ses souvenirs… Une voix humaine à la tonalité merveilleuse appelait à la première prière du matin, l'utilisation des hauts parleurs ayant été interdite sauf pour la prière du vendredi et des jours de fêtes religieuses suivant d'ailleurs des conditions très strictes pour le respect de la foi, de l'âme et du citoyen, l'Islam ne s'accommodant point de nuisances quelles qu'elles soient. A demi-endormi dans sa chambre d'hôtel qu'il venait de rejoindre après une longue traversée de la ville, il fut brusquement réveillé par une sonnerie. Il se frotta les yeux et compris très vite qu'il était en fait chez lui. En ouvrant la porte, il se trouva nez à nez avec le facteur qui lui tendit une enveloppe recommandée sur laquelle était inscrit son nom suivi d'une adresse… 50, avenue de l'Indépendance. Tout était brouillon dans sa tête… Il s'assit sur un divan, ouvrit lentement l'enveloppe et avant de lire la lettre, deux questions envahirent soudain son esprit. Et si cette lettre était bien celle qu'il venait d'écrire dans son rêve ' Et si tout ce qu'il avait consigné dans la fiction de son imagination devenait, cinquante ans après l'indépendance, une bienheureuse réalité '


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