Algérie

Les Yéménites, ces Oranais pas comme les autres



Quel lien y a-t-il entre Oran et le Yémen, si ce n'est l'histoire de quelques familles oranaises qui ont pour père ou grand-père un Yéménite ? Aussi, combien de fois n'a-t-on pas entendu désigner sous ce vocable un bain maure, une boutique ou autre commerce tels que «Hammam El-Yamani» ou «Haouch El-Yamani»... Qu'en est-il de cette histoire et pourquoi le Yémen exactement ? Début du siècle dernier. Oran est encore ce grand port, destination vers laquelle accostaient de nombreux bateaux venant d'Amérique ou d'ailleurs pour rallier l'Asie, via le canal de Suez et la mer Rouge et vice-versa. Dans les bateaux de marchandises à vapeur, on trouvait parmi le personnel affecté aux tâches les plus ingrates beaucoup de Yéménites qui avaient, en plus d'un calme légendaire, le pied bien marin. Le travail dans un bateau était dur et la soute à charbon était réservée aux plus téméraires comme le furent ces marins «bon marché». A tel point que les vieilles femmes, pour maudire un fils sorti du «droit chemin», lui souhaitaient un embarquement sans retour sur le bateau blanc ou «El-Babor Labiad» qui venait accoster à Oran, après Alger et Annaba, pour emmener les irréductibles vers le bagne de Cayenne. Pour dire que cette vérité cadre mal avec l'image de jouvence que l'on se fait actuellement d'un bateau en croisière.  Pour nous éclairer sur le sujet, nous avons pris attache avec une dame, née à Sidi El-Houari il y a plus de 75 ans, d'un père yéménite. D'emblée, elle nous montrera une coupure du journal «La République» un peu jauni par le temps, puisqu'il est daté du 4 novembre 1969. On voit Abdallah Salah entouré de ses fils et de ses filles. Cette photo, jalousement gardée par notre interlocutrice, actuellement grand-mère, révèle que le monsieur en question est né en 1869. Et que la photo a été prise pour les besoins d'un papier-portrait pour l'une des filles de M. Salah (la soeur de notre interlocutrice), première femme mandataire de fruits et légumes à Oran et veuve de chahid. Et elle dit que les Yéménites qui venaient à Oran en attente d'un embarquement pour aller ailleurs étaient pour leur sagesse et leur dévotion fortement appréciés par les Oranais qui avaient souvent affaire à des marins à problème comme le furent les Espagnols, les Maltais et autres qui, au moindre accroc, n'hésitaient pas à jouer du couteau. Et elle raconte que son père, qui était las des longs séjours en bateau, décidera de s'établir à Oran comme quelques-uns de ses compatriotes durant les années 20. Il demandera la main de la fille au grand imam du quartier, qui n'hésitera pas à la lui accorder. Ce monsieur ouvrira par la suite une gargote à la rue Philippe de Sidi El-Houari et mènera jusqu'à sa mort une vie calme et paisible. Elle raconte aussi son enfance bercée par les histoires inimaginables relatées par son père, comme la longue traversée des mers démontées et le dur travail avec la chaleur des chaudières et le froid de l'hiver. Elle dit que son père n'est jamais retourné dans son pays et que les attaches avec sa famille se son diluées dans l'oubli et le temps. Pour la nationalité, il faut rappeler qu'en Algérie on peut être algérien par la mère ou par le père, pour préciser que l'origine du père ou du grand-père ne pose pas problème pour la descendance. Une autre dame habitant Médioni, lucide octogénaire, elle aussi de père yéménite, nous dira que son paternel est venu de l'Arabie Saoudite avec des pèlerins algériens au début du siècle dernier. Il lui dira que le voyage en bateau durait plus de 2 mois et la moitié des pèlerins mourraient en cours de voyage à cause des épidémies contractées lors de leur séjour dans les Lieux Saints. Son père malade lui aussi s'établira à Oran et a pu, grâce à son labeur et son sérieux, construire un bain maure qu'il exploitera jusqu'en 1956, date de sa mort. Pour les Oranais, il n'y avait aucune réticence à marier leurs filles avec les Yéménites, réputés pour leur sérieux et leur sagesse, diront les deux femmes en question. Un autre témoin de l'époque nous dira que le générique yéménite englobait aussi ceux qui viennent de Djibouti, ce petit territoire de la Corne de l'Afrique de l'Est. Et comme ce territoire était français, les Djiboutiens pouvaient aller s'installer dans n'importe quel territoire colonisé par la France. Il confirmera les dires des deux dames en affirmant que ces Yéménites ou Djiboutiens étaient pieux, travailleurs et sérieux de telle façon qu'il n'ont eu aucune difficulté à s'intégrer parmi la population locale. Maintenant qu'ils ne sont plus de ce monde, ils ont néanmoins laissé pour la postérité une progéniture et un souvenir qu'on retrouve intacts presque dans tous les vieux quartiers d'Oran.


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