Algérie

LES VOIES DE L'AMOUR



Résumé : Mon oncle Wahid et ma mère nous rejoignirent au salon. Ils étaient tous les deux de bonne humeur. Je devine qu'ils sont arrivés à un compromis dans cette affaire d'héritage. Mais Djamil n'est pas de cet avis et harcèle son père de questions.Oncle Wahid se passe une main dans ses cheveux grisonnants.
- De la paperasse et du temps. Nous sommes enfin arrivés à trouver un compromis. Chacun est finalement content de tout ce qui lui revient.
- Je ne sais pas si je devrais attirer ton attention, père, sur le fait que mes tantes n'ont rien eu de leur père.
Si les yeux de mon oncle étaient un revolver, on aurait entendu siffler les balles à travers le salon. Ses joues prirent une couleur pourpre et la sueur inonda instantanément son visage. Il prend un mouchoir de la poche de son veston et se met à se tamponner le menton et le front.
Ma mère et moi avions gardé le silence. Chacune de nous avait suivi la scène sans broncher. Ma mère sirotait son thé, et moi je terminais de manger mon gâteau.
Djamil regarde toujours son père. Il attend encore une réponse qui ne venait pas.
Enfin, mon oncle Wahid se calme et se rassoit, avant de répondre :
- Tes tantes sont d'accord pour me léguer tous les biens de la famille. Je suis le gardien du feu sacré de nos traditions et celui qui devrait veiller sur la perpétuité de notre nom. J'ai déjà un héritier en deuxième position, qui de son côté va respecter nos m?urs. Il en sera d'ailleurs obligé s'il veut que nos biens restent chez nous.
Il a débité cette dernière phrase sur un ton moqueur, car il s'adressait tout d'abord à son propre fils. Son seul héritier. La fille ne compte donc pas.
Comme s'il lisait dans mes pensées, Djamil demande :
- Hanifa n'aura donc rien '
- Heu... Si. Elle aussi héritera des bijoux de ta mère, et de tout ce qu'elle possède.
- Tu veux dire de son propre héritage à elle.
Il secoue la tête.
- Voyons, papa, tu n'es pas du tout juste.
- Ah ! Tu oses donc me défier et remettre en cause les affaires de famille. Depuis la nuit des temps, les filles de notre famille héritaient le plus de leur mère. Sauf... Sauf, comme dans le cas de ta grand-mère, lorsqu'il n'y a pas d'héritier mâle.
Djamil toussote. Il allait poursuivre la conversation, lorsque ma mère lui fera signe de se taire, avant de lancer :
- Nous avons traité de toutes ces affaires tous ensemble avec le notaire. Cela suffit pour aujourd'hui, je n'en peux plus. Des jours durant, je n'ai fait que courir dans les administrations, pour constituer un dossier.
- Une obligation pour nous tous, Nafissa, lance mon oncle. Moi aussi j'ai dû courir pour toute cette paperasse.
- Je pense que ton père prendra soin des biens familiaux, Djamil. Nous n'aimerions pas qu'un étranger s'immisce dans nos affaires. Keltoum et moi sommes conscientes de cette réalité. C'est pour cela que nous avons pris juste ce qui nous revenait de notre mère.
Djamil hoche la tête.
- Si tu le dis, ma tante.
- Oui, mon fils. Ne torture plus ton père par tes remarques. Je sais à quoi tu penses, mais c'est ainsi dans notre famille. Nous ne pouvons changer le monde.
Je n'avais jusque-là rien dit. Assise toute droite sur ma chaise, ma tasse de thé à la main, je suivais ce qui se passait. Tout à coup, je me rappelais d'un fait très récent. Un télégramme arrivé de Turquie, qui nous annonçait que la famille était la légitime héritière d'un cousin éloigné qui nous léguait tous ses biens. En Turquie.
- Oncle Wahid, te rappelles-tu de ce télégramme '
- Quel télégramme ' Ah ! Tu veux parler de...
- Oui, de ce cousin. Ce télégramme annonçait qu'il nous léguait ses biens.
Il hoche la tête.
- Oui, mais jusque-là rien d'autre n'est venu confirmer cette éventualité. Il devrait avoir laissé un testament, puisque c'est un homme de loi qui nous a saisis.
- Hum... Pourquoi ne pas écrire à cet homme pour lui demander d'autres informations '
- Non, je préfère qu'on se déplace plutôt.
C'est Djamil qui venait de parler. Mon oncle se met à lisser sa moustache avant de répondre :
- Ce n'est pas une mauvaise idée. Nous avons encore quelques parents à Istanbul et à Izmir.
- Des parents '
- Oui, des cousins éloignés, des tantes, des oncles... Que sais-je encore ' Nous ne sommes pas tombés de la dernière branche, fiston. Après la colonisation française, ton arrière-grand-père était parmi les rares rescapés de l'Empire ottoman, qui ne voulaient plus rentrer dans leur pays d'origine, parce qu'ils s'estimaient bien plus Algériens que Turcs. Ils sont nés et ont grandi ici. Comme nous tous, d'ailleurs. Au fil des ans, ton grand-père avait maintenu une correspondance régulière avec les siens. Par la suite, ce sera ta grand-mère. Pas une relation aussi assidue qu'auparavant, mais tout de même réelle.

(À SUIVRE)
Y. H.
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