Algérie

Les vieux ont du talent



Les vieux ont du talent
«La vieillesse est un naufrage», écrivait le général de Gaulle dans ses Mémoires. On eût pu penser qu'il s'appliquerait sa propre sentence avant de commettre son acte de défiance de 1969 quand il menaça de «rentrer chez lui», si le peuple français n'approuvait pas son projet de régionalisation par voie référendaire. La réponse des électeurs fut négative et l'homme, naguère adulé, s'en alla sur la pointe des pieds poursuivre son ?uvre de mémorialiste à Colombey-les-deux-Eglises. Il est vrai qu'il n'était déjà plus de la première jeunesse au moment où il philosopha sur la vieillesse. Il avait derrière lui deux Guerres mondiales, une Guerre d'Algérie, l'enterrement de la Quatrième République et l'instauration du suffrage universel, pour ne citer que les repères les plus marquants du militaire et du politique. Disons, en un mot, qu'il était vieux, sans être un naufragé, quand il chargea la vieillesse de ce mal terrible. En fait, c'était le maréchal Pétain, chef de la France collaborationniste, qui était visé par cet écrit qui mérite d'être cité dans sa totalité : «La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s'identifier avec le naufrage de la France.»Dieu merci, nous vieillissons tous, sinon il n'y aurait pas de quoi nourrir toute l'humanité. Encore que, déjà... Mais ce que nous trouvons normal pour le commun des mortels l'est un peu moins pour les grands hommes politiques, en particulier ceux qui ont en charge le destin de leur nation. Les exemples ne manquent pas : Bourguiba fut vaincu par l'âge, Fidel Castro par la maladie, Kim il Song, Brejnev, Mao Tsé Toung, Boumediene, Nasser par la mort... Certains, parmi ces leaders, ont quitté ce monde en laissant des pays rajeunis, d'autres des Etats sclérosés par la gérontocratie et l'archaïsme. Aucun d'eux n'a échappé à son destin personnel, celui qui se vit en dehors des fastes et des ors du pouvoir. Le découplage n'est pas toujours facile à réaliser, mais il est arrivé que le naufrage ait emporté ou failli emporter des destins nationaux. Depuis la fameuse boutade de «Tab J'nana» lancée en 2012 à Sétif par le président Bouteflika, et par laquelle il suggérait que ça allait changer en Algérie, un débat ininterrompu s'est instauré sur la nécessité d'un rajeunissement du personnel politique et des dirigeants.Dans la précipitation et l'empressement, beaucoup ont vu les hommes et ont oublié le système qui les a fait et qu'ils ont à leur tour entretenu. Rappelons-nous, dans sa déclaration du 19 juin 1965, Boumediene, à peine un peu plus que trentenaire, avait souhaité que l'Algérie fût un pays où «les institutions survivent aux événements et aux hommes». Honnêtement, qui des événements et des hommes ont survécu aux autres 'Aujourd'hui, le président Bouteflika, après trois mandats de quinze bonnes années au total, peut partir ou rester. Mais en quoi son éventuelle fin de mission signifierait-elle, de facto, un rajeunissement du système, devenu un serpent des mers à force d'en parler sans le voir changer ' «That's the Question», comme dirait l'autre, voire une quadrature d'un cercle qui se recercle chaque fois que quelqu'un essaie de le décercler, de réussir une petite brisure dans son périmètre d'airain. L'innommable du FLN qui s'est faussement essayé à ce jeu en posant la bonne question mais en apportant la mauvaise réponse, en sait un bout, maintenant. Nous, on veut bien un vrai «régime civil», Monsieur le secrétaire général du parti du FLN, pour remplacer le système des galonnés et des «Moukhabarate». Mais donnez-nous d'abord la liste des civils du nouveau «régime civil» pour lequel vous militez.D'ici-là, on le sait, beaucoup d'Algériens auront basculé dans la vieillesse sans avoir goûté à la sérénité et la quiétude que procure l'âge adulte. Et chacun, à l'image des jeunes «Harraga» cherchera en solitaire son propre radeau pour s'éviter le naufrage. Les mélomanes, parmi eux, supporteront le poids des ans, en chantonnant ce couplet de Jacques Brel, dans sa chanson Les vieux amants : «Finalement, finalement Il nous fallut bien du talent Pour être vieux sans être adultes.»A. S.




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