Algérie

Les vagues de la colère se font toujours entendre


Les vagues de la colère se font toujours entendre
L'image des vagues d'une mer déchaînée concentre tout le souci de l'anthropologue, Farah Khadar, pour évoquer la révolution tunisienne.
Béjaïa.
De notre envoyé spécial
Cette révolution, qui a cassé les murs de la peur dans la région arabe et qui a ouvert la porte aux projets libérateurs. Vibrations (Irtijaj enarabe), un documentaire de 7 minutes, projeté lundi à la cinémathèque de Béjaïa, à la faveur des Xes rencontres cinématographiques de la ville, s'intéresse à une courte période du processus de démantèlement de la dictature maffieuse des Ben Ali-Trabelsi. Vivant à Paris, Farah Khadar, qui était loin des bruits de fureur de l'avenue Habib Bourguiba, à Tunis, a pris le train en marche à partir de février 2011, presque un mois après la chute du tyran. Le peuple, jeune pour la plupart, crie : «Dégage !». La cible de sa colère est le Premier ministre, Ghannouchi, un vestige de l'ère Ben Ali. Le film commence avec une chanson rap tournant en bourrique Zine Al Abidne Ben Ali qui, aux derniers jours de son règne, a avoué : «Rani fhamtkoum» (Je vous ai compris !). Il s'adressait aux jeunes révoltés.
«Wine fhamtna '» (Comment nous as-tu compris '), devaient répliquer, avec ironie, les rappeurs. Dans la rue, le mécontentement est toujours là. Du Caire, où la population a forcé au départ un autre tyran, est arrivé le célèbre slogan : «Echaâb yourid isqat al nidham.» (Le peuple veut le départ du régime). Farah Khadar a pris plaisir à filmer ces moments historiques. Elle a laissé la rue dire son dégoût à propos des oppresseurs. Aucun commentaire n'accompagne les images. Pendant longtemps, des médias officiels arabes ont «parlé» à la place des peuples, reprenant, comme cela est toujours d'actualité en Algérie, les discours du palais. Cependant, le documentaire Vibrations aurait pu s'étaler dans le temps, montrer plus d'images, évoquer l'événement avec plus de profondeur...Trop court, donc incomplet. Un documentaire à classer dans le chapitre instable du «cinéma d'urgence».
Farah Khadar se défend : «J'ai filmé le maximum. Il y a eu une rupture. Il y a eu urgence à comprendre ce qui se passait en Tunisie. Je voulais archiver des images. Le besoin de réaliser Vibrations s'est imposé à moi. C'est un cri au monde entier ! Pour dire que la révolution a été faite par les jeunes avec le triptyque : dignité, liberté et droit au travail (...) Rien n'est fini encore. Vous avez vu l'image du train qui avance à la fin du film. Tout est à refaire», a-t-elle dit lors des débats après la projection du court métrage. Selon elle, les Tunisiens n'interprétaient pas l'hymne national avec leurs tripes à l'époque de Ben Ali. «On ne revendiquait aucune fierté à le faire», a-t-elle appuyé. Cela est probablement valable ailleurs. En Tunisie, Habib Bourguiba était le parfait exemple du libérateur devenu oppresseur. Le monde arabe en avait connu d'autres, l'Algérie en tête. Farah Khadar promet de suivre l'évolution de la transition en Tunisie à travers d'autres documentaires dont Brûlures en cours de réalisation. Depuis 2002, Farah Khadar filme les villages du sud de la Tunisie en s'intéressant aux populations noires.
Le drame interne
Leyla Bouzid a, elle, montré le drame d'une famille tunisienne supposée être «ouverte». Dans M'khobbi fi kobba (Soubresauts), un court métrage de 22 minutes, elle suit l'enquête «intime» d'une mère sur une mésaventure vécue par sa fille, Amel.
Violée ' Tabassée ' Inceste ' On n'en sait rien. La mère veut savoir ce qu'a vécu, ce soir-là, Amel. Son frère, Firas, est lui préoccupé par ce que diront les autres : «Tu dois défendre ta s'ur !», lui ordonne la mère. Le père, absent et nonchalant, n'accorde aucun intérêt à ce qui se passe dans son foyer. L'absence du père est une constante dans le cinéma arabe contemporain. Firas est lui aussi un personnage négatif, tout juste «bon» à faire des reproches à Amel. Il assume mal «le rôle» du père démissionnaire. Là, Leyla Bouzid tombe, elle aussi, dans la facilité du petit règlement de comptes au féminin. Est-ce l'influence de la cinéaste Raja Amari, présente dans le générique du film comme consultante au scénario ' Possible. Tout tourne autour de la relation mère-fille (Raja Amari l'a déjà évoqué, dans un autre registre, dans Satin rouge). Au moment où le père de Amel fait de l'humour, la mère cherche la vérité en cachant en partie cette même vérité. Une manière de protéger sa fille et sa famille, par contrainte.
Il est connu que chaque famille étouffe des secrets ! Mi-bourreau, mi-victime, la mère tente de sauver sa fille tout en sachant que son entreprise est difficile. Mais elle évolue : du sentiment de la honte au début, elle emmène sa fille chez le médecin, gère sa colère et 'uvre pour prémunir sa fille des attaques. Toutes les contradictions de la modernité à la tunisienne, et par extension maghrébine, sont là. Il y a des blocages entre le souci de s'émanciper pour les femmes et «les bruits» de ce que diront les voisins, les autres. Dans M'khobbi fi koubba, les femmes racontent des blagues épicées dans la cuisine (un petit clin d il à Moufida Tlatli et son inoubiliable film Les silences du palais.) Des femmes qui n'assument pas cela en extérieur. Leyla Bouzid, avec finesse, a évité de donner une réponse toute faite aux spectateurs.
«Ce n'est pas un enjeu. Je voulais revenir sur la manière avec laquelle on gérait l'information en Tunisie par le passé. Au lieu d'essayer de comprendre ce qui s'est passé, on activait la rumeur. Cela est montré dans le film à travers le frère qui ne cesse de reproduire les on dit que (...) Elle ment et on ne sait pas si la fille dit la vérité. Dans une société normale, la mère aurait sollicité la police pour enquêter», a expliqué Leyla Bouzid, lors du débat qui a suivi la projection.


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