Algérie

Les vacances rêvées



«L'homme est de glace aux vérités. Il est de feu pour les mensonges». (La Fontaine) A part la routine qui dure et qui semble sans fin, l'Exécutif, dans ses occupations habituelles, fait comme dans tous les pays dits normaux. Des ministres réunissent leurs subalternes et étudient des projets et les affaires courantes, font des déclarations lénifiantes, largement amplifiées par les médias publics. Tout le cérémonial des partis uniques est mis en scène pour délivrer le même message, dans les mêmes termes, avec la terminologie des années soixante-dix. «Tout va bien, les affaires du pays sont très bien menées et nous nous occupons uniquement du bonheur des Algériens, surtout de ceux qui sont les plus démunis, les plus malmenés par la vie». «L'Algérie est sur la seule et unique bonne voie possible et imaginable sur terre, et tous ceux qui doutent ou émettent la moindre critique sont des apostats, à la solde de pays étrangers ou simplement ennemis de la mère patrie». Sans rouge au front, sans bouger un cil, ces propos sont déversés chaque jour, sans précaution aucune quant à leur impact négatif devant le scepticisme général.  Des dirigeants de grands pays, de puissances nucléaires qui ont la première agriculture d'Europe, les trains les plus rapides au monde, des stades traités au gazon naturel disent régulièrement les retards de leur pays, de leur technologie et de leur économie. Sur les chaînes satellitaires, les responsables, élus sans contestation, de France, d'Allemagne, de Grande-Bretagne, d'Espagne, du Portugal et d'Italie, dressent devant le monde entier l'exact tableau de leur nation. Les problématiques majeures pour ces pays, l'Europe, les retraites, la santé et la sécurité sociale, le vieillissement des populations, la recherche scientifique, le pouvoir d'achat, le coût du logement, la valeur de l'euro, sont disséquées publiquement. Prennent part aux débats le gouvernement, l'opposition, la majorité, les syndicats, les chercheurs, les experts et les simples citoyens. Si la France a du retard dans la recherche et la qualité de ses universités, tous le disent et chacun propose sur tous les médias, journaux et sur Internet. Les vacances et l'usage qu'en font les citoyens en fonction de leurs revenus, le budget que chacun leur consacre et la manière dont les services publics (avions, trains, bateaux, hôtels, restaurants, agences de location, etc.) sont organisés, sont des thèmes qui reviennent sur le tapis chaque année.  Pas en Algérie, puisque seule la minorité de la minorité a les moyens de goûter en famille aux bienfaits des vacances, surtout en été. Pourtant, tous les spécialistes disent que les vacances, le repos espacé dans l'année et l'alternative travail/repos sont des vecteurs qui jouent sur l'économie, sur la création et la productivité, et sur la santé publique qui coûte cher, ici ou ailleurs. A supposer que tous les salariés, avec femmes et enfants, ont des vacances payées durant la période qui va de juin à la fin août, où sont les infrastructures, les centres de loisirs avec crèches, les moyens de transport, les structures sanitaires à même de gérer un tel mouvement de populations ? Heureusement que ce n'est qu'un songe. Et c'est pour cela que jamais un ministère, une institution ou quelqu'un d'autre ne va s'amuser à éditer un séminaire national sur les vacances de ceux qui travaillent, quel que soit leur rang. Cela reviendra à introduire dans le débat un concept enterré depuis longtemps, le loup dans le bergerie. Des vacances ? Et puis quoi encore ?  Mais tout va bien, pour les femmes aussi. Il y en a quelques-unes dans les partis, dans l'Exécutif, autrement dit là où les vraies décisions ne se prennent pas, et dans tous les secrétariats du pays. Curieux destin des Algériennes ! A chaque commémoration, elles reçoivent plus de compliments que tous les savants du monde depuis dix siècles, mais les lendemains de jours de fête sont gris pour elles. La France, avec 107 femmes à l'Assemblée nationale, occupe le rang de mauvais élève en Europe, même si elle fait un effort au niveau de la parité ministérielle. Bien entendu, il y a loin entre l'Algérie et la Suède, ou la Suisse ou le Danemark pour ce qui est de la place de la femme dans la vie économique, politique, dans les sports, dans les arts et la culture, dans les partis et les syndicats. Mais les pays européens méditerranéens dits «virils» comme l'Espagne, l'Italie ou le Portugal nous laissent loin derrière dans toutes les libertés démocratiques et pour ce qui est de la place des femmes.  De grands pays avouent leurs retards dans la santé et la qualité des soins, dans la réforme de l'école et de la TVA. Ils disent leur déficit budgétaire et réfléchissent sur la nécessité de faire travailler les retraités. Ils avouent les grandes lacunes dans leur système judiciaire, et chez eux des hommes politiques exigent plus encore d'indépendance des magistrats par rapport au gouvernement. En Algérie, tout va bien et les retards sur des projets en béton sont dénoncés au moment où l'on ferme un pont construit à prix d'or juste à côté de Riadh El-Feth. Construit sous une falaise (il fallait oser), l'ouvrage s'expose chaque hiver à des chutes de terre et de rocs. Sinon, tout le reste fonctionne à merveille. Les trains partent à l'heure, les chauffeurs de taxi, bien de leur personne et biens rasés, sont aux ordres du client. De jour comme de nuit, dans tout le pays, n'importe quel malade ou accidenté est pris en charge, comme on le voit dans les films belges, français ou espagnols. Les travaux se font vite et bien. Une rue décapée, des trottoirs refaits à l'identique, tout marche pour éviter les désagréments dans les cités et les tonnes de poussière dans les logements. Les déviations sont parfaites et signalées. Les panneaux, partout, affichent les dates d'ouverture et la fin du chantier. Sonelgaz, les services des eaux, ceux du téléphone font de l'excellent travail. Après leur départ, après des travaux de canalisation ou de raccordement, le terrain est laissé net et propre, lisse comme une table de ping-pong ou de billard. Ni trous, ni poussière, ni routes défoncées et oubliées des hommes.  Dans les grandes démocraties, la femme est inscrite comme un éléments fiable de mesure de la qualité d'une gouvernance, où la parité, les chances devant le logement et l'emploi, l'éducation, le mariage choisi, l'héritage, etc. sont des étalons de contrôle inscrits dans la Constitution et les lois. Les partis en Algérie saupoudrent de temps en temps leurs rangs d'une femme ou trois et referment les portes. Il serait cependant intéressant de faire des enquêtes pour quantifier les femmes qui déposent un dossier pour un logement, une voiture ou un divorce. Il serait tout aussi instructif de savoir le nombre de femmes propriétaires du logement conjugal ou de la voiture familiale.  En normes socioculturelles, la religion dans sa version post-FIS, le peu de visibilité des femmes dans l'entreprise et dans la ville à la nuit tombée empêchent la mobilité des femmes dans le travail. L'homme porteur d'une barbe (signe extérieur de dévotion ou d'allégeance ?) peut aller au Sud ou bien au Nord pour travailler. La femme non, dans la mesure où le sexe fort s'avère si démuni pour trouver un logement, que peut-il advenir d'une femme ?  Tout va bien, vous dit-on, et n'écoutez ni les journalistes à la solde du prince des ténèbres, de l'ambassadeur du Darkland, ou l'ANB (agence nationale de la bêtise) qui a des succursales un peu partout. Tout va bien, c'est clair, non ?


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