Algérie

Les trois langues de la révolution


Imputer aux langues et aux peuples la responsabilité des exactions commises par ces pays reviendrait à tout un chacun de s'immoler sur l'autel de sa propre bêtise. L'anglais, le français, l'arabe, l'espagnol, le portugais, le turc, l'allemand, le russe, le chinois pour ne parler que de celles-ci, ont longtemps servi la «soupe» colonisatrice.Mais en même temps, toutes ces langues sont porteuses de richesses, de civilisations. Nombre d'entre elles ont contribué à l'émergence ou au rayonnement de carrefours culturels et/ou économiques. La langue est aussi un code, un laisser-passer et parfois une arme pour qui sait s'en servir. Les six de Novembre l'avaient bien compris et ont eu l'intelligence de rédiger la proclamation du 1er Novembre 1954 en langue française, comme pour mieux porter l'estocade au coeur du système colonial. Aussi, en s'appropriant la langue du colonisateur, les révolutionnaires transcendent leur combat et l'installent dans l'universalité. L'intervention de Hocine Aït-Ahmed à la conférence de Bandung est à cet effet évocatrice et marquera un réel tournant dans la prise en compte de la révolution algérienne sur le plan international. Déjà riche de ses patrimoines linguistiques amazigh et arabe, l'Algérien en dominant la langue française (butin de guerre selon la célèbre expression de Kateb Yacine) ou d'autres langues, renforce ses positions sur l'échiquier international qu'il soit politique, économique, technologique, social ou environnemental.
Abane, Didouche et Ben M'hidi
Au coeur de la révolution de 1789, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen débutait par ces mots mythiques «Ainsi parla le verbe!». L'Algérie pourrait le reprendre à son compte, elle qui est d'abord africaine et méditerranéenne, où la tradition orale y est prépondérante! Les brassages de population ont fait de cette terre une terre de mixité où toutes les langues et tous les verbes sont chez eux. Havre de tolérance et de dialogue, toutes les cultures, toutes les croyances s'y sont côtoyées et enrichies mutuellement. Si de l'Emir Abdelkader à Fadhma n'Soumer, de Cheikh Aheddad à Messali Hadj, de Cheikh el Mokrani à Mohamed Boudiaf, de l'Emir Khaled à Didouche Mourad, de Larbi Ben M'hidi à Abane Ramdane, les langues arabe et amazighe ont su lever des armées, galvaniser le peuple pour se dresser contre l'envahisseur il n'en reste pas moins que les Algériens ne doivent jamais oublier leurs soeurs et frères de combat qui, dans la langue française, ont su exprimer les souffrances et la soif de liberté de tout un peuple. Frantz Fanon, Gisèle Halimi, Maurice Audin, Jacques Vergès, Francis Jeanson, Henri Maillot, René Vauthier, Henri Alleg (la liste serait trop longue) dont les plumes rejoignaient celles de Mouloud Feraoun, Malek Haddad, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Emmanuel Roblès et qui ont définitivement enraciné cette langue et en ont fait aussi une langue algérienne. C'est pourquoi, il est temps d'arrêter les amalgames, les instrumentalisations qui ont lourdement pénalisé plusieurs générations longtemps hantées par le chantage du «hizb frança». La schizophrénie des décideurs, alliée à la culpabilisation entretenue d'une population tenue à l'écart de tout a créé selon la formule consacrée par la rue algérienne, des analphabètes bilingues!
Oppression de tamazight
Ballottée entre une arabisation-islamisation mortifère et une marginalisation-oppression de tamazigh, plusieurs générations ont été sacrifiées à tel point qu'elles ne savaient plus où donner de la langue!
Parti unique, peuple unique, langue unique, corruption unique, religion unique, bêtise unique, ont conduit à un désastre unique! Tôt ou tard, les futures générations demanderont des comptes aux différents pouvoirs qui se sont succédé depuis 1962 qui ont trahi les idéaux de Novembre, insulté le peuple algérien et porté lourdement atteinte à une histoire plurielle, à une spiritualité multiple et qui ont massacré les langues de nos mères. Aujourd'hui, le numérique et Internet sont devenus les nouvelles «langues» de la planète. Transparence et contre-pouvoir s'imposent contre vents et marées, les réseaux sociaux dominent la communication et tous les habitants du globe sont des «voisins de palier». Au coeur de ces turbulences et de ce nouveau Big-Bang mondial, retrouvons ce qui nous donne de la chair, de la vie, de l'esprit: nos langues, nos cultures, nos patrimoines, nos héritages. Profitons de cette belle langue française et des atouts qu'elle permet. Donnons enfin à tamazight sa vraie place, et instaurons une langue arabe qui ne soit plus une langue importée véhiculant un wahhabisme assassin, étranger aux valeurs algériennes. Oui, osons l'Algérie: une Algérie éternelle qu'elle seule mérite d'être célébrée!


Médecin, écrivain Président fondateur de la radio BEUR FMMembre du CESE
Nacer Kettane
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