Algérie

Les transferts de fonds des travailleurs émigrés, un facteur de développement sous-estimé



Le transfert de fonds des émigrants vers leur pays d'origine constitue un facteur non négligeable, voire déterminant, pour plusieurs pays en développement. Un rapport de la Banque mondiale (2023) indique que les montants transférés durant l'année 2022 dépassaient les 656 milliards de dollars. Les cinq principaux bénéficiaires de ces envois de fonds étaient, en 2022, l'Inde (111 milliards de dollars), le Mexique (61 milliards de dollars), la Chine (51 milliards de dollars), les Philippines (38 milliards de dollars) et le Pakistan (30 milliards de dollars). Dans la zone MENA (Moyen-Orient-Maghreb), ces transferts ont atteint 61 milliards USD. Les principaux pays bénéficiaires sont les suivants: Egypte: 24.2 milliards, soit 6% du PIB. Maroc: 12.1 milliards (8.3% du PIB), le Liban : 6.4 milliards (27% du PIB), la Jordanie : 4.7 milliards (10% du PIB), la Tunisie : 2.7 milliards (5.3% du PIB). Dans ce domaine et comparativement aux pays ayant un nombre important de travailleurs à l'étranger, l'Algérie constitue une exception et ne bénéficie que de 1,8 milliard USD, soit moins de 1% de son PIB. Si on considère le taux moyen enregistré par les pays de la zone MENA (transferts de fonds/PIB) soit 8% du PIB, l'Algérie aurait pu recevoir plus de 14 milliards USD.En outre, la Banque mondiale indique que le taux moyen mondial de transfert de fonds par rapport au PIB se situe entre 2 et 3%, ce qui se traduit par un manque à gagner annuel pour l'Algérie de 4 à 5 milliards. Ce constat nous oblige à rechercher les causes profondes qui ont conduit à cette situation, alors que durant les années 60 et 70, les ouvriers algériens transféraient la quasi-totalité de leurs ressources financières vers le pays. A notre avis, cette anomalie s'explique par plusieurs causes fondamentales.
1. La complexité de notre système bancaire et son retard sur le plan efficacité et utilisation des techniques modernes de gestion des flux financiers et monétaires. Il y a une perte de crédibilité auprès des utilisateurs et l'instauration d'une méfiance envers ce secteur.
2. La fréquence des modifications dans les textes de lois et de règlements et les lourdeurs administratives contraignantes concernant les mouvements de fonds.
3. La prolifération des activités informelles, y compris dans le domaine des mouvements de fonds. L'économie informelle concerne plus de 30% de l'activité économique et véhicule entre 30 et 50 milliards de dollars. La Banque mondiale considère l'économie informelle comme une activité marchande de biens et de services agissant hors circuit légal et normal pour éviter les imports, les charges sociales, le respect des normes et les lenteurs administratives.
4. La perte continue de la valeur du dinar et son instabilité. Le dinar a perdu plus de 32% de sa valeur entre 2014 et 2022.
5. L'absence d'attractivité de notre économie.
Il convient de rappeler que l'attractivité d'une économie est conditionnée par la bonne gouvernance, la modernisation du secteur bancaire, le transfert des capitaux, la stabilité macroéconomique, les échanges internationaux, la taille du marché, la stabilité et la robustesse de la monnaie…
Des travaux de recherche sur l'économie informelle retiennent trois caractéristiques spécifiques qui l'opposent au secteur économique considéré comme normal : - •La taille des entreprises limitée aux petites et moyennes entreprises - •L'inexistence de documents juridiques de création, statuts, registre de commerce…
•La faible intensité capitaliste : des activités qui ne nécessitent pas trop d'investissements ou d'équipements de pointe. Des réformes et des actions de modernisation sont donc nécessaires.
Les expériences qui ont réussi leur lutte contre l'économie informelle ou réduit considérablement son influence, nous indiquent que la réussite de toute réforme de ce genre dépend en premier lieu : - •de la qualité et de l'efficacité des institutions,
•du respect du droit et de l'équité, - •d'une fiscalité simple avec des taux d'imposition assez limités, - •d'un secteur bancaire moderne, efficace et adapté à la petite et moyenne entreprise - •d'un climat des affaires débarrassé de la corruption et de la réglementation assez excessive. - En outre, des études menées par des institutions internationales ont démontré que le durcissement de la lutte contre l'informel est contre-productif et estiment qu'il est plus intéressant de s'attaquer aux causes qui ont conduit à cette situation.
La réforme du secteur bancaire doit avoir comme objectifs la modernisation et la numérisation des services et des produits offerts et l'élargissement du dispositif e-paiement. Le président de la République, concernant ce secteur, a insisté sur l'instauration de méthodes de gestion modernes. C'est tout un programme de transformation de ce secteur pour le rendre efficace et attractif.
En outre, l'histoire du développement économique et social des nations nous confirme que la qualité du service public influe considérablement sur les résultats des stratégies retenues.
En effet, ce secteur doit répondre d'une manière efficace et efficiente aux besoins du citoyen dans les domaines de l'économie, de l'éducation, de la santé et de la protection sociale. L'amélioration continue du bien-être des citoyens est son objectif principal.
C'est pour cette raison que les spécialistes considèrent le service public comme l'un des facteurs clés de réussite des réformes et des stratégies de relance économique et de croissance. L'Union européenne considère la modernisation du secteur public comme «un enjeu fondamental pour l'évolution de l'Europe».
Plusieurs techniques ont été utilisées pour rationaliser les actions menées par le secteur public, réduire ses coûts et renforcer son efficacité (PPBS et RCB). Le New Management Public (NMP) est considéré comme l'approche la mieux indiquée pour moderniser le secteur public. L'ensemble des pays membres de l'OCDE s'appuient actuellement sur les principes et les techniques du NMP pour améliorer les performances de leur secteur public. Les principes du NMP visent à introduire les mécanismes appliqués dans le secteur privé à la gestion administrative en décentralisant, en fixant des objectifs mesurables aux différentes structures, en créant des agences autonomes appliquant les règles du marché et en accordant la priorité à la réalisation des objectifs et non pas au respect des procédures. Les transferts de fonds des travailleurs émigrés nécessitent une attention particulière. Ces transferts sont une source non négligeable au financement de l'économie. Toutes les réformes et les actions qui visent l'amélioration des montants transférés doivent être entreprises et suivies d'une manière efficace. Il s'agit de l'intérêt du pays et de son développement.
*(économiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la qualité des institutions et la gestion des entreprises).
• Source : Banque mondiale, note d'information sur les migrations et le développement.


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