Algérie

Les six semaines qui ont eu raison de Bouteflika



Retranché dans sa résidence de Zeralda, Abdelaziz Bouteflika a passé les six plus longues semaines de sa vie. Un mois et sept jours de révolution pacifique ont mis fin à près de vingt ans de règne bâtis sur une stratégie qui s'est écroulée comme un château de cartes.Abla Chérif - Alger (Le Soir) - De ce règne, il ne reste plus que des images sombres, des souvenirs (déjà) que les Algériens font ressurgir à travers le net, une histoire qui s'écrit sur chaque heure et dont chaque page est précédée de l'entête «22 février».
Date symbolisant le départ d'une révolution que les plus avertis des analystes n'avaient pas vue venir (aussitôt du moins) mais partie d'un fort sentiment de devoir recouvrer une dignité perdue et presque impossible à rattraper en cas d'acceptation du cinquième mandat auquel prétendait un Président dont les Algériens n'avaient que très peu de nouvelles. Le coup de force tenté par le clan présidentiel et ses «alliés» n'est pas passé. Les citoyens se sont réveillés sans crier gare d'une longue période de léthargie, que beaucoup assimilent aujourd'hui à de la sagesse en fait, compte tenu des conjonctures nationales et internationales en cours, pour mettre un frein à la «continuité».
De sa résidence, Abdelaziz Bouteflika observe le mouvement se mettre en place. Alors que la contestation bat son plein, la présidence annonce son départ pour Genève pour y être hospitalisé dans le cadre de contrôles réguliers. Il laisse derrière lui un pays en ébullition, et semble déjà réaliser que rien ne sera plus comme avant.
Selon la Tribune de Genève, la situation pousse sa famille à l'hospitaliser sous un faux nom afin d'éviter toute fuite de son bulletin de santé. D'aucuns interprètent le fait comme étant l'un des premiers signes d'un départ annoncé. A ce moment, la peur semble déjà avoir envahi les Bouteflika. Mais tout sera mis en œuvre pour qu'elle ne transparaisse pas. Son retour à Alger s'effectue dans un contexte extrêmement tendu.
Toutes les franges de la société se sont jointes au mouvement populaire. Même les magistrats, fer de lance de tous les régimes qui se sont succédé, réclament à présent leur indépendance et se refusent désormais à jouer le rôle du bras long du système. Dans la rue, la pression se fait très forte. Des marées humaines se mobilisent chaque vendredi exigeant le départ du système et la démission immédiate de Bouteflika. Celui-ci réagit en annonçant l'annulation de l'option du cinquième mandat, mais tente de se maintenir pour une période indéterminée en proposant la mise en place d'une transition qu'il conduira. La réponse des Algériens est catégorique. «Bouteflika dégage», scandent les millions de manifestants qui envahissent les rues chaque week-end. La semaine, ce sont les étudiants, les avocats et les travailleurs de secteurs multiples qui maintiennent la pression. Le peuple est décidé à ne pas céder, forge l'admiration des capitales étrangères? refuse surtout tout «changement» de forme.
Les nouvelles figures auquel fait appel le pouvoir pour tenter de calmer la situation sont décriées, rejetées et n'ont d'autre choix que de se retirer. Les cartes qu'abat Bouteflika tombent les unes après les autres. On le dit en convalescence et fait à ce moment l'objet de lâchage spectaculaire. Toutes la (sa) stratégie mise en place pour assurer une durée de vie très longue à son règne tombe subitement.
Il assiste à un revirement spectaculaire de tous ces hommes censés faire barrage à son programme. L'alliance se déchiquète, compare son règne à un «cancer», exige son départ, critique toutes ces années passées au pouvoir'le chef d'état-major de l'ANP, qui lui est resté longtemps fidèle, sort de sa réserve et affirme répondre aux aspirations populaires en exigeant la mise en application de l'article 102. Les évènements prennent alors une autre tournure. Une véritable guerre de clans est en cours au sommet. S'ensuit une bataille virtuelle, celle de vrais faux communiqués destinés à brouiller les pistes, annonces voilées de sous-entendus, pressions sur les maillons verrouillant le jeu sur les organismes d'Etat fondamentaux devant valider sa destitution ou démission, et propagation de rumeurs faisant croire à l'appui inconditionnel que portait en ces moments l'Etat français au Président toujours en poste.
La pression de Gaïd Salah s'accentue. En quelques jours, deux réunions de l'état-major sont organisées pour évaluer la situation. La présidence annonce une démission avant le 28 avril prochain, mais promet aussi de prendre des mesures dont on ne connaîtra jamais la teneur. Mardi, au soir, et peu de temps après un conclave de l'armée, le Président annonce sa démission immédiate. Les médias nationaux spéculent sur le dernier lâchage dont a fait l'objet Bouteflika, celui du chef de la Garde républicaine que la rumeur présentait comme étant jusque-là acquis au Président. Les dérapages redoutés n'ont pas eu lieu.
Médusés, les Algériens suivent avec un grand intérêt les images télévisées de Bouteflika remettant sa lettre de démission à Bensalah et Taïeb Belaïz. Il est apparu tel qu'il n'avait pas été vu depuis de longues années, très conscient, sûr de ses mouvements, vêtu d'une longue gandoura à la marocaine? Absolument tout le contraire de ce qu'affirmait Ammar Saâdani («c'est un vieil homme très malade qui rêve de se rendre à la Grande Mosquée ne serait-ce qu'un instant»).
Le président du MSP a réagi à ces images en déclarant : «Je suis médecin, je sais de quoi je parle, tout ceci n'était qu'une grande pièce théâtrale.» Les Bouteflika ont-ils manipulé la carte de la maladie pour jouer sur la corde sensible des Algériens ' Depuis son hospitalisation (mouvementée) à Genève, on le disait en effet dans un état grave, sous respiration artificielle, à peine conscient de ce qui l'entoure?
Ces deux derniers jours, alors que s'intensifiait la pression du chef d'état-major de l'ANP pour l'application immédiate de l'article 102, des «informations» persistantes laissaient même entendre qu'il avait plongé dans un coma. La «carte» de la maladie n'a pu cependant influer en rien sur le cours des évènements.
L'Histoire s'est mise en marche et rien ne pouvait à ce moment l'arrêter.
A. C.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)