Algérie

les signes religieux se multiplient à chaque fois que la foi s'amenuise Olfa Youssef. Islamologue et écrivaine tunisienne



Transition, démocratie, coalition' L'écrivaine et islamologue tunisienne Olfa Youssef réagit également à la provocation de Soumeya Ghannouchi, la fille de Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha, qui a publié sur sa page facebook un texte à l'encontre de ce qu'elle appelle «les élites avant-gardistes, éclairées, progressistes et Rcdistes», en les taxant de «pauvres types désespérés et déçus».
-Les déclarations de Soumeya Ghannouchi ont provoqué l'indignation de l'opposition et de l'élite tunisienne. Pourquoi cet acharnement, alors que la Tunisie a besoin de tous les acteurs pour parachever sa transition '
Je crois que derrière tout acharnement se cache un malaise. N'oublions pas que si cette troïka, Ennahdha en particulier, a gagné les élections, elle n'en ont pas moins perdu en un an la grande popularité qu'elle avait en ne répondant pas, ou très peu, aux attentes de la majorité des Tunisiens. Et en ne réussissant ni la transition démocratique, ni les enjeux plus «matériels» comme améliorer l'employabilité et la qualité de vie ou garantir la sécurité. Depuis des années, on n'a pas vu en Tunisie tant de bévues : pannes d'eau et d'électricité, flambée des prix, attaques et violences en toute impunité.
-Pensez-vous que la transition est «en panne», comme la décrivent certains '
Tout à fait, elle l'est. A part l'échec à achever la Constitution dans des délais raisonnables, et le fait que la neutralité de l'administration n'a pas du tout été respectée, on retrouve une grande violence qui caractérise le climat politique. Au lieu d'apprendre les balbutiements démocratiques, on s'en trouve à découvrir comment une dictature peut en engendrer une pire.
-Le 23 octobre devait symboliser l'an 1 de la démocratie en Tunisie. Est-ce le cas '
Déjà, il y a un leurre de l'histoire. Le 23 octobre n'ont pas eu lieu les premières élections démocratiques, car les premières élections après l'indépendance l'étaient aussi. Personne n'a accusé Bourguiba à l'époque de falsifier les élections. Sinon, quelle démocratie devrions-nous fêter alors qu'à ceux qui y ont contribué, à savoir les blessés et les martyrs de la révolution, on n'a pas rendu justice ' Les premiers, on continue à les humilier, et à la famille des seconds, on ne daigne même pas juger comme il se doit ceux qui ont tué leurs parents. La démocratie, oui, mais quelle démocratie, alors que les institutions sont sous la tutelle d'un seul parti ' Sachant que je considère Ettakattol et le CPR comme une ramification d'Ennahdha.
Quelle démocratie, alors que l'impunité règne dès qu'il s'agit de partisans du régime (salafistes qui sont le bras armé) et que l'injustice règne dès qu'il s'agit d'intellectuels ou d'opposants réels ou en puissance (H. Kazdaghli et Sami Fehri par exemple) ' Quelle démocratie alors que quelques milices appuyées par la nonchalance du ministère de l'Intérieur terrorisent les gens et vont même jusqu'à commettre l'irréparable : le meurtre d'un homme, le militant Lotfi Naggadh '!
-La coalition au pouvoir mettra-t-elle en péril la démocratie vers laquelle aspirent les Tunisiens '
Elle va essayer, mais elle n'y arrivera pas. Cette coalition veut reprendre le modèle de Ben Ali, les compétences en moins, et surtout dans un contexte sociopolitique tout à fait différent. Ne nous voilons pas la face, la Tunisie ne va pas devenir un pays démocratique en quelques mois ni même en quelques années. La démocratisation est un processus long, il suffit de regarder un peu l'histoire pour s'en rendre compte. Elle sera peut-être plus rapide, vu les moyens de communication instantanés. Ce qu'il ne faut surtout pas perdre de vue, c'est que la démocratie est une résultante et non un objectif. Elle s'installera quand ses conditions seront là, dont l'instauration de l'égalité homme-femme, pas seulement dans les textes de loi, mais dans l'imaginaire social.
-Le voile est devenu une «problématique» récurrente. On décortique le moindre fait de société autour du voile. Qu'est-ce qui fait que cet aspect prenne autant d'ampleur '
C'est l'apparence qui prend de l'ampleur dans les sociétés modernes. Rares sont ceux qui s'intéressent à l'être, ce sont le paraître et l'avoir qui priment. Donc, il n'est pas étonnant que cet exhibitionnisme prôné par les sociétés de consommation soit tellement important, même en ce qui concerne l'apparence religieuse. Je fais, comme pas mal de penseurs, la différence entre religion et foi, et dans cette optique, les signes religieux se multiplient à chaque fois que la foi s'amenuise. Le spirituel perd du terrain en faveur du tape-à-l''il. Pour la majorité, il n'est pas important d' être un bon croyant, objectif difficile et validé par Dieu Seul ; il est beaucoup plus facile de montrer aux autres (et à l'autre en soi) que l'on est croyant' La mondialisation tend à faire de nous une société de monstres, terme qui vient du verbe montrer'
-Aujourd'hui, en Tunisie, pensez-vous que les intellectuelles voilées sont plus écoutées que les non voilées '
Je ne le crois pas. Il est vrai que certaines personnes ont besoin de s'identifier à celles qui s'expriment pour avoir une confirmation de la véracité de leurs positions. Mais je crois qu'en règle générale, on appartient à une société peu curieuse de la culture, et de l'autre en général, si ce n'est dans le but de le voir répéter nos convictions. C'est pour cela qu'on est plus enclins à juger une personne selon des racontars ou une apparence, et rares sont ceux qui daignent s'ouvrir à une 'uvre, y prendre plaisir et la critiquer.


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