Algérie

Les sept remparts de la citadelle de Mohammed Maarfia, (Roman historique) - Éditions ANEP, Alger, 2003



Les sept remparts de la citadelle de Mohammed Maarfia, (Roman historique) - Éditions ANEP, Alger, 2003
Les porteurs de liberté

Le pays du Madr, avec ses terres pleines et ses montagnes de granit, se déploie majestueux entre « la maison séculaire », fronton auguste et conquérant de la propriété coloniale de Lucien, et les maisons de chaume sans cesse emportées par les crues et sans cesse reconstruites tant l'attachement à la terre, à l'argile et à la pierre est plus fort que toutes les dépossessions.
Du Madr et de Sbiha, l'aurorale des premiers jours du combat libérateur, El Meïdi, Thabet, Jaber, Jellab, Kaârer, du côté des ronces et des errances, et Lucien, Durieu et Mahi qui préfigure déjà aux supplétifs de l'armée française, la vie quotidienne avec ses déchirements, mais aussi ses élans humains, ouvre ce roman épique, sorti d'une langue adroite, narrative à souhait et décantée du langage surfait d'héroïsme surhumain qui fait des hommes de Novembre des êtres irréels et sans lien vrai avec le pays, ses montagnes, ses sources, ses parlers et ses traditions. Comme si Novembre n'était pas tout cela. Dans Les Sept Remparts de la citadelle, au contraire, c'est tout cela fait de l'humus ancestral. El Meïdi, l'un des personnages principaux de ce roman épique, est le paysan qui a vécu la conquête coloniale, dépossédé violemment de ses terres. Paria sur sa propre terre, il est chassé de sa maison et jeté à la périphérie des terres de blé conquises par Lucien. Il connaît les crues, le froid, la faim, la misère nue avec son épouse Gamra. Mais son acharnement à reconstruire de ses propres mains sa maison avec des matériaux de fortune n'a d'égal que son enracinement forcené au trab.
Le couple finit par avoir un enfant tant attendu, Jaber, le fils qui fera la fierté d'El Meïdi. Avec quelle fierté il annoncera à tue-tête son obtention du certificat d'études : « Vous n'aurez plus besoin d'écrivains publics. » Mais Jaber prend conscience que son attachement aux terres argileuses du Madr n'a de force et de nom que dans le combat contre « la maison séculaire ». Très vite, son nom circule dans le village colonial.
Son retour au pays de ses ancêtres est craint, et les fermiers repus engagent des supplétifs pour traquer « le bandit ». Mais si Jaber est le personnage le plus carré qu'ait eu à donner Maâref parmi d'autres, le plus travaillé dans les canons descriptifs des maquisards, ce n'est pas le cas pour Thebti. Son père spolié de ses terres l'envoie, enfant, travailler sur les terres du colon, dans « la maison séculaire » pour se forger à la dure réalité des spoliateurs et aiguiser ainsi le sentiment d'appartenance à sa tribu défaite. C'est sa première initiation douloureuse et sans doute la plus « pédagogique » dans cet apprentissage de la spoliation et de ses humiliations. Thebti grandira sur les terres de Lucien, et El Meïdi, le commis « fataliste », le prend en compassion d'autant que son fils Jaber a pris l'au-delà du Madr : « Dans le réduit où il dormait chez le colon, lorsque son cur commençait à déborder de nostalgie, il retrouvait cette présence charnelle dont il était sevré en humant à pleines narines le morceau de chèche paternel fourré dans son baluchon par Rahoua, le jour de l'exil. Il eut envie de toucher le rude visage penché sur lui : « Ton destin s'accomplira, ô déraciné d'El Khirett. » Un jour qu'il faisait paître le troupeau de la ferme, l'enfant s'oublie et les bêtes vont saccager les récoltes de Lucien. Il est pris en chasse ; ce ne sont pas les chiens du maître qui le mordent, mais les coups de cravache qui mettent en sang ses jambes. C'est pourtant les marques indélébiles sur son corps et dans sa sensibilité que Thebti rencontre Jebar, le maquisard de la première heure du Madr. Il lui fait découvrir d'autres contrées, d'autres Sbiha. Ses yeux parcourent le monde au-delà du microcosme de son petit village d'El Khirett. Il s'initie à la vie des « hommes de la nuit » et des « porteurs de mauser ». Mais aussi à l'amour de la belle Ymouna en même temps qu'il prend les armes et abat Mahi, le traître de la contrée. Avec Jaber, l'exilé d'El Khirett, fait une « zyara » initiatique au Maître des lumières habitant les sommets imprenables du Madr. L'adolescent porte désormais le tatouage de l'amour qu'il porte pour la fille du nomade et les marques profondes qu'il porte désormais comme Jaber, sur les routes du pays, dans la résistance de ses jambes qui courent, courent à la rencontre des gens de la plèbe et d'honneur. Le personnage de Thebti, qui tient beaucoup de l'endurance d'El Meïdi et de sa résistance sourde au « destin », est le plus authentique. A aucun moment dans le texte il n'apparaît comme un héros, un maquisard. Il sort d'El Khirett, accepte les injures coloniales, aime une fille dans le plus complet dénuement.
C'est par ces chemins de la réalité complexe du pays et de son intériorité d'adolescent qu'il arrive à comprendre, à faire siennes les paroles prophétiques de Jaber et devient « l'homme de la nuit ». Quand Thebti tombe les armes à la main, le pays renaît déjà dans son enfance et dans son amour pour Ymouna qui, elle aussi, rejoint les hommes de la liberté au champ d'honneur : « Dans la ville éphémère qui avait réglé ses franges comme des tapis de haute laine, pas un être humain, pas un animal, pas un cri ! Tout ce qui vivait s'était terré face contre le sol pour échapper à l'envahissement insidieux des poussières () Une sorte d'instinct le mena avec assurance vers son but, vers la grande kheima qu'il observait depuis des jours et où Ymouna, prévenue par son cur, l'attendait. »
L'auteur de l'ouvrage, Mohamed Maârfia, ne s'est pas contenté de raconter son vécu aux premières heures des maquis de la guerre de Libération. Il a rendu un bel hommage à tous ces personnages, de l'un et l'autre camp, en les saisissant dans leur aspect humain, dans leur complexité sociologique dans laquelle ils étaient loin de penser entre des colons, des traîtres ou des héros.
Ce roman épique, écrit dans une langue aérée, aux phrases d'une intensité émotive sans égale dans ce genre d'écrit, tranche avec le discours de la légitimité historique pour se placer dans le « vrai » qui, selon les propres commentaires de l'auteur, « pénôtre dans l'argile nourricière ». C'est par les mots qu'il vainc les « sept remparts de la citadelle ».


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