Algérie

Les Sénégalais attachés à leur Constitution



Le chef de l'Etat sénégalais a compris, jeudi en fin de journée, que la ruse ne peut pas éternellement se substituer à  l'intelligence. Abdoulaye Wade, qui en est accusé, n'est pas le premier, notamment en Afrique, à  en avoir fait un mode de gouvernement, mais lui certainement beaucoup plus que d'autres a aidé ses compatriotes à  ne pas perdre espoir, pour avoir été l'homme de la transition pacifique. Mais si tout le monde sait dans quelles conditions il a accédé au pouvoir, personne par contre ne pourra dire de quelle manière il le quittera, maintenant qu'il est accusé de vouloir y demeurer sinon d'inaugurer un régime dynastique. C'est ce qu'il a essayé de faire en soumettant au Parlement un projet de loi instituant «un ticket présidentiel», et cela à  huit mois de l'élection présidentielle de février 2012. Il suffira au ticket arrivé en tête d'obtenir 25% des suffrages exprimés pour rafler la mise. Mais pour les Sénégalais, le jeu est d'une extrême limpidité. Ils ne se sont même pas posé la question de savoir qui figurera sur ce ticket, tant la réponse coule de source. Ce sera, assurent ses opposants, Abdoulaye Wade, 85 ans, au pouvoir depuis 2000, et candidat à  sa propre réélection, et son fils Karim. Juste ce qu'il faut pour susciter la colère jusque dans le camp de la majorité présidentielle, et déclencher l'émeute, dans des endroits aux noms fortement symboliques comme la place de l'Indépendance à  Dakar. Le texte en question a mis le régime de M. Wade face à  une contestation d'ampleur jamais égalée en onze ans, jusque dans le camp du Parti démocratique sénégalais (PDS), sa formation, et de ses alliés. Des députés de la majorité avaient clairement indiqué leur refus de voter pour le texte. Ou encore à  l'étranger.     
Comme pour dénoncer ce qui a été jugé excessif, une rencontre de l'opposition et la société civile à  quelques centaines de mètres de la place de l'Indépendance a dégénéré avec l'intrusion de jeunes appelant à  des «actions» plutôt qu'à des paroles. La plupart étaient membres du mouvement «Y en a marre», créé par des rappeurs pour, selon eux, notamment dénoncer «les injustices sociales», «la gabegie» du régime du président Wade. Ailleurs que dans la capitale, des sit-in ont été observés et des slogans comme «Touche pas à  ma Constitution», «Le Sénégal n'est pas un royaume mais une république», en référence aux intentions prêtées à  M. Wade d'imposer son fils au pouvoir.
Le mécontentement s'est même déplacé en dehors des frontières du Sénégal, puisque son ambassade à  Paris a été brièvement occupée par des opposants.
Le mal était fait, même si le calme était revenu jeudi soir au Sénégal après l'annonce de la décision du président Abdoulaye Wade d'abandonner son projet. Persuadé certainement que sa popularité est déclinante, il lui en faudra une autre pour conserver le pouvoir et si telle était son intention, assurer l'avenir politique de son fils avec un minimum de voix (25% des suffrages exprimés), et non plus à  la majorité absolue (50% plus une voix) comme c'est le cas jusqu'à présent. Entre autres éléments de controverse, la réforme envisage qu'en cas de vacance de la présidence, le président est remplacé par le vice-président qui, en tant que nouveau président, pourra nommer ou révoquer le nouveau vice-président. Mais les dégâts causés par cette tentative de réforme constitutionnelle sont immenses, et pas seulement pour celui qui en a pris l'initiative. L'image de son fils en a fait, elle aussi, les frais. Elle traduit, en tout cas, la fascination pour le pouvoir, et il est heureux de constater que le face-à-face au Sénégal n'a pas dégénéré en coup de force. Cela révèle au moins l'intérêt des Sénégalais pour la chose politique. Ils ont fait preuve d'une extrême vigilance et ils ont eu gain de cause.


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