Algérie

Les salariés, vache à lait du fisc


Les salariés, vache à lait du fisc
La Constitution de 1989 prévoyait dans son article 61 que «les citoyens sont égaux devant l'impôt. Chacun doit participer aux financements des charges publiques en fonction de sa capacité contributive». Or, il est souvent mis en avant en Algérie l'inégalité entre les contribuables devant la répartition des charges fiscales.
Une inégalité relevée aussi bien par les experts, les opérateurs économiques, les représentants de l'administration fiscale, que par les citoyens eux-mêmes. Il est en effet devenu commun d'entendre dire qu'un salarié paye plus d'impôt qu'un commerçant.
Selon les chiffres officiels, le produit de l'impôt sur le revenu global (IRG) que les salariés se voient retenir de leurs fiches de paye chaque mois pèse presque autant dans les recettes fiscales ordinaires que le produit de l'impôt sur les bénéfices (IBS), soit autour de 20%. L'année dernière, le ministre des Finances s'était opposé à la réduction de l'IRG tel que demandé par les syndicats, affirmant qu'il constituait presque 25% de la fiscalité ordinaire du pays. En 2008, les recettes de l'IRG rapportaient à l'administration fiscale plus que celles de l'IBS.
Avec les augmentations de salaire opérées l'année dernière, la DGI observait que les recettes de l'IRG avaient augmenté de 45,6% au premier semestre 2011, tandis que le recouvrement de l'IBS «avait stagné».
Tandis que des millions de salariés sont ponctionnés à la source, la fraude fiscale dans le secteur économique progresse. En 2010, le ministre des Finances faisait état de 33 000 opérations de vérification qui ont abouti à la récupération de plus de 100 milliards de dinars. Le directeur général des impôts, A. Raouiya, indiquait à la même époque que plus de 12 000 opérateurs étaient inscrits sur le fichier national des fraudeurs du fisc (opérateurs économiques inscrits au registre du commerce, mais qui ne s'acquittent pas de leurs impôts).
Contrôle insuffisant
Quand on sait qu'un mécanisme a été mis en place pour assainir les dettes fiscales des entreprises privées, après plusieurs assainissements au profit des entreprises publiques et que moins de 0,01% de l'impôt sur la fortune est recouvré par les services des impôts, alors que les signes extérieurs de richesse n'ont jamais été aussi évidents, le simple salarié a de quoi se poser des questions. «Le salarié est le seul qui ne peut pas frauder», nous dit avec ironie un fonctionnaire de l'administration fiscale.
L'injustice ne réside pas dans le fait qu'il ne puisse pas tricher, mais plutôt «il s'acquitte de son impôt du fait qu'il est prélevé à la source, alors que d'autres y échappent. En quelque sorte, il paye pour les autres», dit-il.
En novembre 2010, le DG des impôts affirmait que 3 millions de salariés en Algérie ne payaient pas légalement l'Impôt sur le revenu global (IRG) du fait que leur salaire était inférieur au SNMG. Mais combien sont-ils au niveau des opérateurs économiques à ne pas le faire ' Un comptable travaillant pour le compte d'un cabinet d'expertise nous raconte que le propriétaire d'un grand magasin qui s'est vu infliger un redressement fiscal de «plusieurs millions de centimes a refusé d'introduire un recours devant l'administration des impôts pour contester le montant. Il a préféré payer parce que le montant qu'il a dissimulé était beaucoup plus important que la sanction qui lui a été infligée». Certaines professions libérales déclarent simplement un résultat néant pour ne pas payer l'impôt.
D'autres opérateurs préfèrent changer d'activité régulièrement pour ne pas payer leurs impôts. Djamel Djerrad, commissaire aux comptes, explique que «l'administration fiscale ne vérifie pas toujours les gens qui ont arrêté leur activité. Il y a un problème de moyens humains et matériels, même si aujourd'hui, la carte d'identifiant fiscal fait que tout le monde a le même numéro partout où il va». Les moyens d'échapper au fisc ne manquent pourtant pas : fausses déclarations sur la réalité du chiffre d'affaires, fausses factures pour augmenter les charges, non-déclaration des travailleurs' «L'administration fiscale n'a pas les moyens de contrôler tous les revenus», nous explique une source au niveau des impôts. «Le système algérien est un système déclaratif. L'administration a le pouvoir de contrôler, mais le pourcentage des dossiers contrôlés par an ne dépasse pas les 4 à 5%, ce qui veut dire qu'il y a 90% qui échappent à ce contrôle», dit-il. Au final, «les revenus ne sont pas appréhendés d'une manière juste», sauf pour les salariés.
Rétablir l'égalité
Dans certains pays, les salariés remplissent eux-mêmes leurs déclarations d'impôts et ne sont pas prélevés à la source. En Algérie, «on ne le fait pas parce qu'on n'a pas les moyens de traiter les dossiers ou d'obliger les gens à faire leur déclaration et la contrainte ne fonctionne pas toujours», affirme notre source. En outre, l'administration ne peut pas prendre un tel risque, car l'Etat «pourrait être confronté à un problème de trésorerie s'il y avait 30% ou 50% des salariés qui ne font pas leurs déclarations. Ces contributions assurent un minimum de recette pour l'Etat».
Pour Rachid Malaoui, représentant du syndicat national du personnel de l'administration publique, le problème «n'est pas de faire faire aux salariés leurs propres déclarations. Il s'agit surtout de faire en sorte que les opérateurs économiques payent le vrai impôt. Aujourd'hui, l'Etat ne contrôle pas parce qu'il se retrouve dans une situation de rente, il n'a pas besoin de la fiscalité des entreprises».
Le DG des douanes, Mohamed Abdou Bouderbala, a reconnu dans une contribution parue récemment (El Djazair.com, le magazine promotionnel de l'Algérie, n°49 d'avril 2012) que «la retenue à la source qui a été introduite pour les revenus salariaux présente d'énormes avantages en matière de recouvrement, mais se traduit par une inégalité des contribuables face à l'impôt» et «une discrimination entre les salariés et les non-salariés» pour qui «la fraude fiscale est beaucoup plus aisée».
Conscient de ces lacunes, le DG des impôts a affirmé en février dernier, la détermination de son administration à «réduire les inégalités dans la répartition des charges fiscales» et à imposer «le principe constitutionnel de l'égalité de tous devant l'impôt», en obligeant chaque entreprise, quelle que soit sa taille, proportionnellement à ses capacités contributives, «à supporter le poids des charges fiscales communes».


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