Algérie

Les révoltes arabes se transforment en bourbier Deux ans après



Les révoltes arabes se transforment en bourbier                                    Deux ans après
Les révoltes arabes, appelées abusivement «révolutions», ont généré des situations politiques, sociales et économiques logiques et prévisibles en raison de la nature des régimes déchus qui ont instauré un système socio-politique verrouillés et castrés. Toutefois, les dynamiques d'ouvertures politiques constituent des acquis indéniables dans la mesure où des pans de la société se sont libérés des peurs ataviques du pouvoir et de la répression. Les espaces de liberté s'élargissent en dépit des obstacles objectifs et subjectifs que génèrent une situation économique étouffante et une montée des intégrismes libérés aussi des abysses pour partir à la conquête des sociétés. S'il est établi que les révoltes arabes ont été provoquées par une instrumentalisation occidentale, il n'en demeure pas moins que la chair à canon était constituée des laissés pour compte de systèmes sclérosés et obsolètes. Cependant, si ces dynamiques n'ont pas abouti au bien-être politique, économique et social espérés, c'est pour des raisons objectives.
En premier lieu, si ces soulèvement populaires ont réussi à chasser les dictateurs c'est parce que la majorité des citoyens y a adhéré et voulait en découdre avec les régimes oppressifs, corrompus qui ont privatisé les Etats.
En second lieu, les mêmes majorités, aussi bien en Tunisie qu'en Egypte, ont porté au pouvoir des courants islamistes.
En troisième lieu, si les courants démocratiques et laïcs n'ont pas réussi à mobiliser les masses, c'est en raison de leur faiblesse d'ancrage social, de l'incohérence de leur discours politique et surtout de leur division face aux islamistes qui se sont toujours structurés dans le mouvement associatif et ont toujours occupé le terrain par des activité caritatives.
Enfin, la nature des régimes qui s'installent après les choix populaires ne peuvent aller au-delà de la vision islamiste de l'Etat et de la société. Les Frères musulmans se retrouvent aujourd'hui au c'ur d'une contradiction idéologique et politique qui explique l'inertie post-révoltes arabes : ils ne peuvent renier leurs principes fondateurs qui se réfèrent à l'islam et à ses préceptes comme mode de gouvernance mais ne peuvent pas, non plus, attenter aux espaces des libertés politiques et sociales au risque d'élargir le front de contestation. Ceci est d'autant plus pertinent que les islamistes au pouvoir en Tunisie et en Egypte sont dans l'incapacité objective de solutionner les problèmes économiques et sociaux des populations. Cette contradiction fondamentale explique les déceptions et le statu quo manifestes en Tunisie et en Egypte mais aussi en Libye où l'Etat n'arrive pas à s'imposer comme une puissance publique reconnue par tous.

Le cas de la Tunisie
La Tunisie qui célèbre depuis hier, les deux ans de la fin du régime de Ben Ali est dans un climat d'incertitude marqué par des
violences sociales, une économie en berne, la menace jihadiste et une impasse sur la future Constitution. Les espoirs suscités le
14 janvier 2011 par le succès du premier soulèvement du Printemps arabe ont cédé la place aux frustrations de voir perdurer la pauvreté malgré la chute de Ben Ali, qui après 23 ans au pouvoir vit en exil en Arabie saoudite. Le chômage touche 17% de la population active, les investissements dans l'industrie ont chuté de 6% en 2012 à l'échelle nationale voire de 20 à 40% dans l'Ouest, berceau de la révolte.
«Contrairement à ce qui est avancé par le gouvernement, le taux de chômage a augmenté depuis la révolution et les diplômés représentent plus d'un tiers de quelque un million de demandeurs d'emploi», s'emporte Salem Ayari, président de l'Union tunisienne des diplômés chômeurs. Selon lui, «les tiraillements politiques, le népotisme et la corruption ont fragilisé une situation économique déjà
critique.» «ça pédale dans la semoule», résume un diplomate occidental pour décrire la Tunisie gouvernée par le parti islamiste, Ennahda, vainqueur des premières élections libres d'octobre 2011. Ce ras-le-bol a été illustré le 17 décembre dernier, date anniversaire du début du soulèvement à Sidi-Bouzid, lorsque le président Moncef Marzouki a essuyé des jets de pierres. Des mouvements sociaux dégénèrent aussi régulièrement, comme début décembre à Siliana (sud-ouest), où 300 personnes ont été blessées, et jeudi à Ben Guerdane (sud) où un poste de police et de douane ont été incendiés. Le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, a mis en garde vendredi contre la multiplication de ces évènements. «Nous ne voulons pas que la Tunisie soit comme la Somalie, que la révolution se transforme en chaos», a-t-il dit, estimant que ces violences «n'honorent pas la révolution mais au contraire la menacent». Néanmoins, le pouvoir n'a pas renoncé à célébrer le 14 janvier : les drapeaux tunisiens fleurissent dans la capitale et des tentes pour des activités culturelles ont été installées.
Le gouvernement insiste par ailleurs sur les acquis de la révolution : liberté d'expression, pluralisme politique et une croissance économique qui est passée de -2% en 2011 à 3,5% en 2012. Mais outre les mouvements sociaux et des affrontements entre partisans et détracteurs du gouvernement, le pouvoir est confronté à l'émergence d'une minorité islamiste jihadiste. A l'approche de l'anniversaire, la sécurité a été visiblement renforcée. Une source au sein des services de sécurité a indiqué craindre des attaques d'un groupe armé dont certains membres ont été arrêtés ces dernières semaines. «Ce groupe dispose d'armes et représente un vrai danger pour la Tunisie», a-t-elle dit, alors que l'état d'urgence est en vigueur depuis deux ans. En décembre, des éléments armés ont été pourchassés pendant plus de dix jours à la frontière avec l'Algérie. Seize personnes soupçonnées d'appartenir à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont été arrêtées. Sur la scène politique, le climat n'est guère plus rassurant: aucun compromis n'a été trouvé pour doter le pays d'une Constitution, ce que les islamistes avaient promis de faire avant fin octobre 2012. Aucun nouveau calendrier électoral n'a dès lors été fixé, les tractations sur un remaniement gouvernemental traînent depuis juillet et l'absentéisme mine le travail de la Constituante. «Il faut fixer un calendrier sérieux et crédible pour que les investisseurs, par exemple, puissent savoir quoi faire», souligne Amira Yahyaoui, présidente d'Al Bawsala, une ONG qui milite pour la transparence des travaux de l'Assemblée.

Comment le monde arabe est perçu par l'Occident
A ce propos, le Think tank américain RAND considère que les perspectives de démocratisation se sont «assombries» dans la région et que le «printemps arabe» n'aura été qu'un «mirage». Pour cet organisme qui a une large audience auprès des décideurs politiques américains, ceux qui croyaient que les événements de 2011 annonçaient «la fin tant attendue de l'immunité des pays arabes des mouvements de démocratisation, avaient fait, finalement, une lecture qui a mal interprété les événements et affiché un optimisme excessif.» La disparition de l'autoritarisme dans le Monde arabe peut arriver mais il y a peu de raisons de penser que ce jour soit proche, estime-t-il. Certes, après la chute des anciens dirigeants tunisien, égyptien et libyen, des élections équitables ont été organisées dans les trois pays où les électeurs ont exprimé librement leurs opinions politiques, reconnaît-il. Cependant, la plupart des pays du Monde arabe n'ont pas franchi cette voie politique, et ceux qui ont commencé à se libéraliser ont du mal à maintenir l'ordre, s'enfermant au niveau des acquis réalisés et font face à une grande incertitude, observe ce cercle de réflexion spécialisé dans les questions de défense et des relations internationales. Ce dernier relève que le gouvernement «fragile» en Libye n'a pas réussi à désarmer les milices qui contrôlent de nombreuses régions du pays tandis que les violations des droits de l'homme se poursuivent, et qu'à l'instar de l'Irak, la rédaction d'une Constitution sera probablement entravée par des dissensions sur la question du pouvoir entre les différentes régions du pays. Alors qu'en Tunisie, l'Etat reste «faible» et fait face au défi des salafistes radicaux, en Egypte, le gouvernement, dirigé par les Frères musulmans, tente de consolider son emprise du pouvoir et faire taire les médias en recourant aux pratiques qui rappellent l'ère Moubarak, observe-t-il. Par ailleurs, la Syrie a sombré dans une guerre civile sanglante, l'Irak et le Yémen, déjà instables auparavant, restent profondément fracturés avec la persistance de la violence. Pire encore, le terrorisme continue aussi d'être un problème majeur avec Al-Qaïda et ses affiliés qui essayent de combler le vide en Libye, en Syrie et dans d'autres pays instables, selon RAND. Quant aux monarchies du Golfe, il souligne que ces dernières, «mal à l'aise à l'égard du Printemps arabe comme elles l'étaient à l'égard du nationalisme arabe, ont repris le flambeau de la contre-révolution.» Evoquant les enjeux des Etats-Unis dans ce contexte, ce Think tank juge que Washington ne devrait pas fonder sa politique à l'égard des pays arabes sur l'hypothèse d'une démocratisation rapide ou durable. Il soutient également que toute tentative de Washington d'établir la démocratie dans la région échouera «si les conditions sociales et économiques locales ne sont pas encore mûres et si ses intérêts particuliers dans ces pays s'opposent aux réformes politiques». Les Etats-Unis et leurs alliés, poursuit-il, «ont besoin de protéger leurs intérêts stratégiques vitaux dans la région pour contrebalancer les pays avec qui ils sont en conflit comme l'Iran, accéder aux ressources énergétiques et lutter contre le terrorisme». Son analyse va jusqu'à considérer que la réalisation de ces objectifs «nécessite de travailler avec certains gouvernements autoritaires et d'accepter le Monde arabe tel qu'il est», en faisant valoir que les Etats-Unis comptent parmi leurs alliés «un certain nombre de pays arabes autoritaires qui sont des partenaires essentiels dans la protection de ses intérêts». De surcroît, il juge qu'il s'agit aussi de contrecarrer l'Iran en l'empêchant d'acquérir des armes nucléaires et en gardant l''il sur ses ambitions régionales à long terme.
«Même si la plupart des pays sur lesquels les Etats-Unis comptent pour l'aider à lutter contre l'Iran (Jordanie, Arabie saoudite et les Emirats arabes unis) ne sont pas démocratiques, leur coopération est trop importante pour que Washington les abandonne», admet-il. Qui plus est, l'objectif essentiel de préserver la libre circulation des ressources énergétiques à des prix raisonnables appelle les Etats-Unis «à continuer à travailler avec les pays autoritaires pour préserver leur sécurité énergétique», ajoute-t-il encore. Pour ce Think tank, bien que les Etats-Unis puissent prendre certaines mesures pour soutenir la démocratisation dans la région dans le long terme, «ils ne peuvent pas forcer le changement».
Cette analyse exprime d'une part la conception que se fait l'Occident de la démocratie et d'autre part, son regard sur le Monde arabe. Pourtant, Think tank sait pertinemment que c'est l'Occident qui a provoqué les révoltes arabes en commençant par le maillon faible du Monde arabe, qu'est la Tunisie pour tester l'efficacité de leur stratagème avant de passer à la puissance régionale qu'est l'Egypte. L'objectif initial n'était pas l'instauration de la démocratie mais de desserrer l'étau sur les populations étouffées par des régimes archaïques et renouveler la classe politique pour d'une part, changer la vision qu'on les arabes sur l'Occident et, d'autre part, pour préserver leurs intérêts stratégiques dans un contexte de crise économique mondiale qui risque de s'aggraver.
A. G.


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