Algérie

les revendications des Protest'art



les revendications des Protest'art
Les Protest'arts, un collectif «éphémère» d'élèves des beaux-arts, acculés par moult tourments, ont fait irruption à la maison de la presse pour faire entendre leurs revendications et porter la voix de leurs camarades.Plus qu'une manifestation pacifique, un véritable «Manifeste» à la mode des avant-gardistes ressuscité par ces apprentis artistes en herbe. En investissant la salle de rédaction d'El Watan étudiant, lundi dernier, ces jeunes artistes se sont substitués aux journalistes, et forts de leur esprit d'auteurs ils ont osé sacrifier la pratique propre à la tradition de noircir des pages, sans trahir l'essence du métier : la parole prend forme, au sens fort et haute en couleur.A l'origine du malaise, une décision «mal inspirée» de l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger. «La direction a commis l'aberrance d'interdire l'accès aux ateliers à ses élèves», nous avait déjà appris, scandalisée, une étudiante rencontrée la veille au café des artistes attenant à l'école. D'autres élèves nous confirment l'étrange situation, ils sont effectivement sommés de vider les lieux dès la fin des cours. La grogne se fait sentir au milieu des élèves qui sont attablés, mais à la vue de quelques enseignants, ou dès l'entrée solennelle du directeur dans les lieux, le mécontentement baisse d'intensité. «Tout le monde a peur des représailles, car contester les décisions des responsables de l'école est devenu le plus court passage vers la sortie. Plus d'un ont en fait les frais ; exclus par des procédés vicieux, des notes éliminatoires aux harcèlements moraux qui ont poussé certains à abandonner leur formation de leur propre gré», nous confie un étudiant de 5e année, tout en insistant pour garder l'anonymat.Les élèves des beaux-arts sont désormais renvoyés chez eux comme de jeunes écoliers sommés de rendre leurs devoirs faits à la maison, qui reclus dans sa chambre, qui gêné dans un coin improvisé chez ses parents. Quant aux élèves résidents, venus de lointaines contrées, ceux-là voient leur quête artistique tronquée, leur enthousiasme a vite cédé place à la déception. «L'exiguïté de nos chambres à la cité nous empêche de nous appliquer au travail. L'éloignement de la cité nous use moralement. On rentre fatigués et on est mal inspirés par l'insalubrité des lieux», nous confie, dépité, un élève peintre résidant à Beni Messous.«Après notre éviction de la résidence d'artistes de Zéralda, nous nous sommes retrouvés à six par chambre, je suis aménagiste et je travaille des plans sur de grandes feuilles sans table, je dessine par terre et je rends des planches sales et toutes froissées», se plaint un autre élève. «Nous n'allons pas nous plaindre de la qualité des repas au resto U, étant à la même enseigne que nos camarades résidents des autres facultés, sauf que nous autres nous rentrons affamés après une journée de jeûne obligatoire, car l'école ne dispose plus de cantine depuis longtemps», ajoutera un autre élève de l'école.En effet, pour déjeuner le midi les élèves doivent parcourir les trois kilomètres qui séparent l'école des beaux-arts du resto U le plus proche. Découragés, bon nombre d'entre eux ont renoncé à aller chercher la «miteuse pitance», comme nous l'a qualifiée une élève en faisant la moue. Acculés par tant de difficultés, les jeunes artistes relativisent toutefois la somme de leurs problèmes quotidiens, mais restent frustrés par leur privation de travailler en ateliers. «Certes, quelques-uns avaient contesté certains manquements à Zéralda, mais actuellement tous regrettent les ateliers baignés de lumière naturelle aménagés à l'époque pour les artistes africains durant le Panaf et le cadre naturel agréable propice à l'inspiration artistique», se souvient un élève résident.Document à l'appui, le jeune artiste tente de prouver l'illégalité de l'expulsion des élèves des beaux-arts de la résidence de Zéralda. «La convention que nous avons signée ne prend fin qu'à la fin juin 2014, mais l'école, sous la pression du ministère de la Culture, nous y a délogés comme des malpropres, une rumeur court sur l'identité des futurs locataires du lieu ; ce cadre agréable du complexe profiterait aux partisans des partis politiques, il n'y a pas de fumée sans feu, la campagne électorale nous le dira», conclut l'artiste averti.Chassés de la résidence des artistes de Zéralda et interdits d'ateliers, les jeunes artistes de la villa Asselah semblent avoir perdu leur ferveur. L'absurde décision n'a, semble-t-il, pas ému grand monde parmi le corps enseignant, sauf un nombre infime qui nous a fait part de son indignation, tout en regrettant leur impuissance face aux injonctions de la direction. «Nous sommes enjoints de cadenasser ces espaces, pourtant essentiels à la formation des jeunes artistes en devenir et ô combien vitaux pour leur épanouissement intellectuel», regrette un enseignant. Son avis est partagé par d'autres artistes établis ; tous dénoncent «une grave atteinte à la qualité d'enseignement» et «un précédent grave, inédit dans l'histoire de l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger».Selon les indiscrétions de quelques artistes habitués des lieux, la fermeture des ateliers et l'interdiction de «traîner» dans les jardins «même pour s'inspirer» a été prise par les responsables de l'école pour soi-disant «parer à la déliquescence des m'urs dans le milieu estudiantin !» Injonction ordonnée par le nouveau directeur, ancien du département d'histoire de Bouzaréah et enseignant de l'histoire des arts islamiques. Remonté contre ce qu'il considère comme une «injustice», un plasticien qui tient une galerie à Alger fustige : «La nomenclature fait mauvais ménage avec l'art, l'hybridation qui a atteint les directions des institutions culturelles fait subir aux artistes les pires des humiliations, mais le plus déplorable reste leur impact nocif sur la future élite artistique, on fait subir à ces malheureux disciples une fausse moralisation des arts et des lettres ; une vision alignée de l'amour et du sexe et des conceptions faussées de la moralité et de la pudeur, alors que de grands budgets dédiés à la culture profitent aux plus sournoises des débauches», tempête l'artiste indigné.Force est de reconnaître que l'étrangeté d'une telle approche ? interdire l'accès aux ateliers aux élèves des beaux arts ? anti-pédagogique à tout égard met à mal l'évolution intellectuelle, et sanctionne de facto la formation des artistes qui est supposée s'articuler autour du travail en atelier ; cette conviction nous a été vigoureusement signifiée par un nombre d'artistes plasticiens que nous avons interrogés, tous révoquent la situation avec force arguments en nous renvoyant notamment vers la tradition consacrée dans les écoles des beaux-arts qui consiste à vouer à l'atelier une dimension capitale, le décrivant comme l'axe central autour duquel s'articule la période de formation. «L'accompagnement pédagogique est aussi supposé enrichir l'apprentissage des élèves par l'ouverture sur les expériences d'artistes établis et consacrer ces espaces de création comme des lieux d'échanges et de communication», nous enseigne un artiste peintre, ancien élève de l'institution.«De notre temps, ils nous arrivait de passer des nuits blanches dans les ateliers en quête d'inspiration, à explorer des pistes expérimentales ou travailler d'arrache-pied sur des œuvres encore inachevées la veille d'un examen ; c'était le bon temps, il est dommage que les élèves actuels ne puissent pas passer par de telles expériences», regrette l'artiste. Nous avons tenté de joindre des responsables de l'école, mais nous n'avons malheureusement pas pu obtenir de rendez-vous avant le jour de l'édition d'aujourd'hui et que nous avons réservée à la couverture de l'événement culturel improvisé par le collectif Protest'art. Gageons que la direction de l'école des beaux-arts, sous tutelle du ministère de la Culture, puisse revenir à de meilleures pratiques ou faire valoir des arguments admissibles face à ces antagonistes. Quant au ministère de l'Enseignement supérieur, la responsabilité reste entière concernant les conditions déplorables de logement et de restauration, sources de contestations passées et à venir.




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