Algérie

Les retraités d?El Affroun, ces laissés-pour-compte



Dès le 23 de chaque mois, on peut les voir agglutinés devant le portail fermé de la poste, en masse compacte, adossés au mur, et debout ou assis sur le trottoir. A l?intérieur de l?édifice, ils rempliront , dans un ordre parfait, l?espace qui les rapprochera des guichets de paiement. Une attente loin d?être une sinécure, quand on sait à quel rythme les visus fonctionnent, faute de connexion. On les retrouve, aussi, très tôt devant la porte de l?agence CNAS, assis sur le trottoir, sur les trois marches d?escaliers ou adossés au mur. Certains, d?ailleurs, s?y rendent directement de la mosquée après avoir accompli la prière du matin, c?est-à-dire à l?aurore. Un rebord de trottoir (quand il y en a, car les nouvelles routes n?en comptent pas ou, alors, ils sont au même niveau que la chaussée à force de bitumage) ou de magasin fermé en accueille quelques-uns. Par beau temps, le matin généralement, ils se mettent côte à côte sur les quatre bancs de pierre de la place publique (s?ils ne sont pas déjà occupés par des jeunes dés?uvrés, des écoliers ou des chiens couchés, fatigués d?errer). L?air désabusé, la mine grave, le regard lointain, ils parlent à voix basse. Les duos ou trios qu?ils forment sont souvent mal assortis : il n?est pas rare, en effet, de voir un ancien cadre de souche citadine, raffiné, cultivé et qui inspire respect et admiration, assis avec un vieux paysan, analphabète, malentendant , de surcroît. Quand l?un parle, l?autre, quoique présent physiquement, a l?esprit ailleurs. II n?a rien entendu ou rien compris. Qu?importe ! Celui qui raconte ou soulève un problème a juste besoin de cette présence-là, sur ce banc glacé, le temps de rejoindre la mosquée ou d?affronter, le regard fuyant et voilé, celui chargé de reproches, d?ironie ou, parfois même de dédain, de son épouse et de sa progéniture. Sa retraite insignifiante et l?absence d?activité ont fait de cet homme travailleur et laborieux, par le passé, qui a usé, achevé ses forces et donné sa jeunesse, ses jours et, parfois même, ses nuits à son entreprise, un être dévalorisé, mal dans sa tête, mal dans sa peau... un misérable. Qui étouffe, de surcroît. II a vécu sans écrin de verdure. Et pendant qu?il s?acharnait sur son travail, trop occupé, il n?a pu (ou pas voulu) voir le massacre s?opérer de jour en jour. El Affroun était une ville verte et parfumée. Les maisons, les quelques maisons sur la route nationale et les édifices publics au centre, étaient noyés dans les jardins fleuris toute l?année et entourés de vignobles, de champs de blé, de tabac et de plantes à parfum (géranium entre autres). II n?en reste plus rien. La ville étouffe. Elle a été enlaidie, défigurée. L?actuel chef de daïra a sauvé des espaces squattés ou convoités par des quidams à des fins personnelles, en vue de la création d?espaces verts où les personnes âgées pourraient trouver un peu de bien-être et de repos, en attendant l?appel à la prière. Un terrain libéré et faisant face à la mosquée a été prévu à cet effet. Par ailleurs, la placette inaugurée par le wali, le 11 décembre dernier et située à l?entrée ouest de la ville, commence à prendre forme et vit avec les végétaux qui y ont été plantés. Seuls ces deux espaces ont pu être libérés à ces fins. Le reste n?est que béton. Les 105 locaux destinés aux jeunes chômeurs ont achevé la laide besogne et ont porté le coup de grâce. II fallait trouver des espaces pouvant profiter à des jeunes chômeurs. L?initiative est louable, mais elle se fait au détriment du cadre de vie. Un retraité, aujourd?hui malade, souhaitait la création d?activités pour les personnes de sa situation (les seniors), un lieu où ils pourraient se rencontrer et unir leurs efforts en vue de trouver des solutions aux problèmes de la commune, participer à l?amélioration du cadre de vie, faire profiter les plus jeunes de leurs connaissances, leur expérience, et leur bonne volonté. Se rendre utiles quoi ! Ancien chef de gare cultivé, intelligent, avenant et serviable, il aurait pu, avec d?autres retraités, faire bouger tant de choses dans la commune. IIs auraient pu être maires, conseillers... Personne ne les a sollicités. Ils étaient trop honnêtes pour qu?on leur fasse appel. Ces personnes, aujourd?hui, se terrent chez elles. Un véritable gaspillage ! Un véritable gâchis !


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