Algérie

Les réseaux souterrains de l'or


Les réseaux souterrains de l'or
Discrets au départ, se contentant de faire les chaperons pour les «dellalette», ces jeunes hommes ont vite fait de s'installer en lieu et place des femmes affublées de hayek et aâdjar et qui présentaient jadis des doigts et des bras parés jusqu'aux coudes de bijoux susceptibles de séduire les jeunes filles bientôt en âge de se marier mariage. Ils se sont affairés à  occuper le terrain tant et si bien qu'ils se fondent aujourd'hui au milieu des badauds qui surveillent jalousement les allées et venues dans la «houma».
Armés de leur petite balance digitale et du «ayar» (testeur), dissimulés au fond des poches de leur survêtement et blouson ou encore dans leur petite sacoche, ils traquent la bonne affaire. Et c'est un euphémisme, car l'or provoque bien des larrons. Encore plus aujourd'hui, avec un métal jaune qui n'a jamais aussi bien porté le nom de «valeur refuge». A l'international, les cours de l'once ont battu tous les records imaginables.
Les notions de «valeur refuge» et de «garanti or» sont aussi bien ancrées dans notre culture. Qui n'a pas entendu l'adage qui veut que les bijoux acquis au fil des ans garantissent la subsistance pendant l'adversité (lehdaied lechdaied).
La situation que vivent de nombreuses familles aujourd'hui en ces temps de vaches maigres met d'ailleurs à  l'épreuve cette sagesse populaire. Nul autre recours pour les mères de famille que les dizaines de «dellalline» parqués aux abords des banques du prêt sur gages. Zinou est l'un d'eux. Pâtissier de son état, il a décidé, il y a deux ans, de virer de bord et de s'orienter avec son ami et collègue Samir vers le commerce de l'or. Une scintillante alternative aux tartes farineuses qui ne nourrissent pas pour autant leur homme. Pas question non plus d'aller à  l'Ansej. La «riba» lui garantirait la damnation ici-bas et dans l'autre monde. Nul autre choix donc que la rue. Et la place Emir Abdelkader à  proximité d'une agence de la BDL (banque fournissant les services de prêt sur gages) et son vaste espace pavé, est un territoire de chasse idoine pour Zinou. Avec 40 000 DA prêtés par des amis et proches, il se lance.
La vingtaine entamée à  peine, ce grand brun, à  l'allure longiligne et au look à  la Cristiano Ronaldo, ne souhaite pas pour autant jouer les caïds, car il a, tout comme ses compères, un code d'honneur. Première règle : ne jamais faire des affaires avec les mineurs. Il est fort possible que des ados accros au shit en viennent au vol. Son credo, jouer sur la sympathie que peut inspirer son visage presque enfantin et inspirer une certaine confiance aux clients potentiels, particulièrement auprès de la gent féminine, effarouchée par la hardiesse des propos de certains de ses congénères qui n'hésitent pas à  mêler drague et commerce.
Des réseaux de récupération organisés
Cependant, la vente au détail ne se porte pas aussi bien qu'il l'aurait espéré, malgré des prix qui restent accrochés au seuil des 4500 DA le gramme très en dessous des enseignes affichées dans les bijouteries. Pour lui, à  chaque jour suffit sa peine, et sur la trentaine de grammes d'or «à peine» qui transite quotidiennement entre ses mains, il ne peut au maximum récupérer que 200 DA par gramme. Le fait est que la clientèle se fait de plus en plus rare et refuse de faire des acquisitions coûteuses et risquées. Car, disons-le, rien ne garantit la qualité des alliages 18 carats proposés à  la vente dans la rue. Notre petit commerçant compte d'ailleurs sur la récupération, d'autant qu'il offre 200 à  300 DA de plus par gramme que l'agence commerciale de l'Agenor située à  proximité.  Les vieux bijoux sont ainsi destinés à  alimenter des réseaux de récupération en «deuxième main», nous dit-il. Un intermédiaire aux fonds beaucoup plus importants fait la ronde en fin de journée et oriente la manne récupérée vers les ateliers d'orfèvrerie. Là encore, rien ne garantit la récompense pour Zinou. Car, malgré le testeur utilisé, il peut toujours àªtre confronté à  de mauvaises surprises quant à  la pureté de l'alliage récupéré, sans oublier le fait que les intermédiaires spécialisés dans la récupération s'avèrent àªtre des escrocs. «Yekhebtou fel mizan (ils trichent sur le poids) et on se retrouve parfois à  vendre à  perte», reconnaît le jeune camelot résigné, car c'est la loi du marché. Un marché demandeur qui plus est et que l'Agenor n'arrive plus à  satisfaire, avec à  peine 3% de couverture de la demande estimée à  10 tonnes par an. Certains artisans bijoutiers n'hésitent d'ailleurs plus à  sortir, eux non plus, dans la rue pour faire de la récupération. Depuis 1984, date à  laquelle les pouvoirs publics ont arrêté de fournir régulièrement les artisans en quotas d'or, beaucoup ont décidé de braver la menace d'une saisie pour s'approvisionner sur le marché informel. Deux d'entres eux se sont cantonnés à  côté de l'agence BDL du Ruisseau. Sid Ali et Krimo alimentent leur atelier mitoyen à  partir des trottoirs longeant les accès au carrefour. Leurs cibles, des ménagères ou pères de famille dépités par les conditions du prêt sur gages imposées par la banque. Un petit tour au mont de piété nous permet de comprendre d'ailleurs les raisons de ce dépit. Situé au fond d'un long couloir orné de chaises vides au premier étage de la banque, le guichet de prêt sur gages est vide.
Le préposé n'a d'ailleurs aucune raison de se presser vu qu'il n'aura qu'un seul client à  voir. Un homme seul, la quarantaine passée attend. L'adversité a déjà lourdement marqué les traits de son visage aux tempes grisonnantes. Sa mise révèle aussi le dénuement. Il tient d'une main sa carte d'identité et de l'autre une fine chaîne au bout de laquelle danse un petit pendentif en or massif. Il se demande d'ailleurs ce que ce dépôt lui rapportera.
Gare aux faux poinçons !
Pas grand-chose de prime abord. Le préposé au guichet nous explique que pour chaque gramme d'or déposé la banque prête 1000 DA sur une échéance de 6 mois et à  un taux d'intérêt de 4%. Au bout de l'échéance, si on n'arrive toujours pas à  rembourser, la banque permet de renouveler son prêt 5 fois. Encore faut-il présenter au guichet des bijoux portant le poinçon des services de la garantie reconnaissable à  sa forme de grappe apposée à  côté de la marque du fabriquant. Et il n'est pas étonnant pour lui de constater que certains bijoux présentés portent de faux poinçons.
Un phénomène justifié par le fait que certains artisans qui recourent à  la récupération sur le marché informel se trouvent dans une situation où ils ne peuvent justifier la traçabilité de leur marchandise. Seul cet argument ne suffit pas à  expliquer le pullulement de faux poinçons. Beaucoup de bijoutiers recourent à  l'approvisionnement en bijoux auprès de 22 importateurs d'or agréés par la Direction générale des impôts et certains s'évertuent à  vouloir échapper au fisc. Ils ne s'en cachent pas. Le propriétaire d'une immense bijouterie à  la rue Didouche dit éviter «tout rapport d'affaires avec l'Etat et encore moins avec l'Agenor». L'explication est simple : il ne veut pas que le «fisc vienne farfouiller» dans ses affaires. Une attitude encouragée par l'absence de certificats de garantie devant d'usage accompagner tout bijou de valeur. Ce qui permet aussi aux bijoutiers de tricher sur les alliages. Combien d'acquéreurs de bijoux en or blanc, très en vogue aujourd'hui, se retrouvent avec une bague en or jaune rincée au nickel ' Notre bijoutier reconnaît d'ailleurs que cela explique parfaitement pourquoi chez certains comptoirs, il n'y a aucune différence de prix entre l'or blanc et l'or jaune. L'anarchie se retrouve aussi dans les prix des bijoux importés essentiellement d'Italie, de Turquie et des Emirats arabes unis. Si l'un propose de l'or italien à  un prix variant de  6200 DA à  7500 DA le gramme, son voisin ne le cède pas en dessous de 9500 DA. Au milieu de cette folle anarchie, une enseigne étrangère a choisi de promouvoir la bijouterie de luxe avec les marques Chopard, Guy Laroche et consorts. Pour les représentants de cette enseigne, l'argument marketing essentiel est la garantie des alliages proposés, les certificats présentés ainsi que le label. D'ailleurs, côté prix, il n'est plus question de parler prix au gramme, mais à  la pièce. Un pendentif en diamant peut àªtre cédé à  80 000 DA avec en prime la chaîne en or blanc offerte. Le diamant est aussi un créneau qui intéresse les camelots. Zinou nous confie avoir pu caser un diamant à  11 000 DA le carat.
Il y a de quoi àªtre tenté. Encore faut-il avoir les connaissances poussées d'un diamantaire, auquel cas, on risque de se retrouver avec un zircon chèrement payé.
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