Algérie

Les réseaux radio de la révolution algérienne du 1er Novembre 1954



La lutte de Libération nationale contre un ennemi, ayant à sa disposition tous les moyens modernes pour le combat, nous a incités à mieux prédire ses intentions et la progression de son armée.Le colonel Si Abdelhafid Boussouf, dit Si Mabrouk, qui dirigeait la Wilaya V, réfléchissait déjà aux divers moyens de transmissions en raison des distances importantes entre les wilayas, les zones, les régions et l'état-major, où il était devenu très difficile pour le « tissal » (agent de liaison) d'assurer ses liaisons. La question des communications était essentielle. Pourtant, de nombreux problèmes étaient à surmonter : matériel, personnel à instruire, réseau à mettre en place et à animer dans un environnement hostile. Le colonel Abdelhafid Boussouf, au cours des discussions sur les problèmes de la Wilaya V, a fait part du projet d'implantation d'un réseau de transmissions qui consisterait à recueillir des messages radio de l'ennemi puis à mettre en place des liaisons radio. C'était en avril 1956, qu'il avait chargé Si Seddar, son compagnon, à aller à Oujda trouver un poste radio perfectionné pour commencer à écouter l'ennemi. Celui-ci a trouvé un poste à bande étalée sur des fréquences de chalutiers et cela tombait à la limite des bandes qu'utilisait la gendarmerie française aussi bien au Maroc qu'en Algérie.Grâce à ce poste au début, nous avons capté des messages de la gendarmerie coloniale de Aïn Témouchent et de Tlemcen, c'étaient des messages fort intéressants diffusés en phonie.Au fur et à mesure, s'est constituée autour de Si Omar Telidji, ancien officier des transmissions dans l'armée française, une équipe ayant une idée très claire du domaine des transmissions.Il fallait former des moudjahidine pour capter et transmettre le morse. La grève des étudiants de Mai 1956 a permis d'avoir un vivier de jeunes volontaires qui ont rejoint le maquis pour libérer le pays.C'est de ce vivier que sortaient les premiers opérateurs radio, dont la formation consistait à savoir manipuler et lire le morse, utiliser le matériel radio et le dépanner, le cas échéant.Il fallait aussi former des chiffreurs et une équipe pour la confection des cartes de chiffrement. L'opérateur radio, lors de son affectation, devait en plus de son matériel recevoir une carte de chiffrement. Toutes nos correspondances radio étaient chiffrées. Des centres de chiffrement se sont développés pour la fabrication de différentes cartes de chiffrement pour l'état-major, les zones, les wilayas, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), etc.Si Seddar, qui était chargé par Si Mabrouk d'organiser un centre d'écoute, a choisi le local et les installations qui allaient servir à écouter l'ennemi. Ce premier centre comportant une dizaine d'appareils était installé en pleine ville de telle sorte que l'on ne puisse pas détecter sa présence.Le 8 janvier 1957, le service d'écoute commença à travailler d'une manière rationnelle. A l'instar du centre d'écoute de l'Ouest, celui de l'Est était mis en place pour intercepter le trafic des unités françaises à l'est du pays.L'écoute de l'ennemi était une source d'informations bien significatives et importantes autant à l'ouest qu'à l'est. Du côté Est, l'écoute opérationnelle a été développée avec des postes situés en général dans des grottes creusées en face des postes frontaliers français. Avec l'écoute VHF, on pouvait suivre le trafic radio opérationnel des Français, de véhicule à véhicule, de poste à poste, de fixe à mobile, de mobile à fixe, etc.Les centres d'écoute aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est avaient pour mission de capter l'ensemble des réseaux français : militaire et administratif, on les dénommaient Service de contrôle radio (S.C.R.).Nos autorités bénéficiaient ainsi d'informations de première importance : bulletin de renseignements quotidien (BRQ), bulletin de renseignements hebdomadaire et bulletin de renseignements mensuel (BRM).Des petits centres d'écoute annexes étaient implantés dans des endroits très proches des frontières ouest et est. Cela permettait de suivre également des discussions en phonie entre militaires français, lors d'accrochages avec les unités de l'ALN. Les réseaux ennemis de la gendarmerie et des SAS étaient très opérationnels et méthodiques. Les gendarmes étaient les premiers à intervenir dans les villes, les campagnes ou agglomérations. Ils étaient bien équipés, leurs effectifs étaient recrutés parmi les pieds-noirs qui connaissaient et maîtrisaient aussi bien l'arabe que le kabyle. Ils recueillaient et donnaient les renseignements des actions de nos moudjahidine et fidaïs à leurs chefs hiérarchiques. Ces derniers retransmettaient ces informations aux autorités civiles des chefs-lieux, sous-préfectures, préfectures et armée.Dans nos centres d'écoute, les récepteurs étaient allumés 24 h sur 24 pour suivre le trafic et l'importance des informations. On était absorbés par les ondes radio et on cherchait à capter le moindre signe, prendre le message, connaître son contenu afin de déterminer les intentions de l'ennemi. La récolte de l'information était importante en qualité et en quantité, car les informations que donnaient les Français étaient considérables, elles consistaient en : - prévisions d'activités des différentes unités de l'armée ennemie, telles des opérations de ratissage et de fouille, déplacements de troupes, des interventions aériennes, etc., avec précision des lieu, date et heure, ce qui permettait à l'état-major de communiquer par voie de radio-transmission aux unités de l'ALN. concernées toutes ces prévisions ennemies par messages codés, afin de prendre leurs dispositions et éventuellement déjouer et transformer certaines pour les rendre à notre profit ; informations utiles permettant à notre état-major de savoir parfois que l'ennemi était déjà au courant de certaines de nos prévisions, comme tentatives de passage de frontières à partir du territoire marocain ou tunisien à des lieux traduits par leurs coordonnées sur la carte et aux dates précises. Cela nous permettait de suspecter l'origine de l'information : soit l'existence de traîtres au sein de l'ALN., soit le déchiffrement de nos messages par les services ennemis, ce qui devait donner lieu à l'annulation du passage de nos troupes ou changer le point et l'heure de passage ;  d'autres informations importantes notamment sur l'identité des informateurs étaient également données ; bilan des activités et opérations menées par les unités françaises. Chaque unité française devait envoyer en fin de journée à son poste de commandement son bulletin de renseignements quotidien (BRQ) ; - analyses et synthèses transmises aux chefs de région militaire ou aux différents préfets ; instructions et directives données à l'intention des différentes unités de l'armée ou des différents départements de l'administration.Ceci nous permettait de rédiger un bulletin de guerre (BG) à l'intention de la radiodiffusion pour ses émissions quotidiennes : « Ici la Radio de l'Algérie libre et combattante. La voix du Front de Libération et de l'Armée de Libération nationale vous parle d'Algérie », ainsi que pour le journal El Moudjahid et par la suite l'agence de presse Algérie Presse Service (APS).L'importance du centre d'écoute en complémentarité avec le service de déchiffrement est évidente dans la mesure où les unités combattantes pouvaient être mises au courant des prévisions ennemies bien à l'avance, et ce au moyen des voies de communication par radio assurées entre l'état-major et les différentes wilayas.A partir de l'année 1957, il y avait une couverture progressive du réseau radio de l'Algérie, des pays arabes, certains pays africains limitrophes, d'autres pays amis. C'est grâce à ce réseau que l'état-major ainsi que les unités de l'ALN de l'intérieur étaient en contact permanent avec le GPRA. Les Français nous renseignaient sur notre propre armée, relataient les pertes amies et ennemies, ce qu'ils ont perdu en hommes, en matériel ou autres. Ils nous renseignaient également sur les traîtres qui se rendaient à l'ennemi. Quant à la France, elle disposait d'un grand centre d'interception radio à Ben Aknoun (Alger), appelé Groupement de contrôle radio (GCA), équipé de récepteurs modernes avec un grand nombre de personnel. Ce centre utilisait des machines pour le chiffrement de ses communications et pour le déchiffrement des messages codés de l'ALN interceptés par le GCR.En outre, il était en possession de véhicules tout-terrain, d'avions et d'un navire, le tout utilisé comme « oreilles mobiles » pour la réception des communications et les moyens goniométriques pour localiser avec précision la radio de l'ALN.Les opérateurs radio au maquis étaient harcelés par les avions français équipés de radio goniométrique capable de déterminer avec précision l'endroit d'une transmission radio. Cela posait de problème aux opérateurs radio qui étaient obligés, au moindre vrombissement d'avion, soit de suspendre l'émission des messages, soit de se déplacer plus loin pour pouvoir transmettre.Parfois, cette radio goniométrique devenait une arme à double tranchant. Dans les Aurès, région très montagneuse, l'opérateur radio Rahali, sur ordre du colonel commandant de la Wilaya I, continua à transmettre ses messages, faisant fi de l'avion nord 2501 guidé par son radio goniomètre et qui décrivait des cercles de plus en plus petits. Il tournoyait, comme enragé, ne pouvant tomber sur sa proie et réduisait son altitude au fur et à mesure pour déterminer le lieu précis d'où provenaient les ondes hertziennes, quand soudain une explosion et un éclair ébranlèrent le voisinage. L'avion venait de s'écraser non loin de la station radio de l'ALN.C'était la guerre des ondesTous les occupants ont péri (11 personnes) outre le fils de Léon Delbec, le colonel Guizard, adjoint du commandant de la cinquième région aérienne, les capitaines Bosch et Helari, le lieutenant Hulin, sergent-chef Watrin, les sergents Limaire, Gueznec, Bernard, Gouvrit et Nathe.Autre fait digne d'être connu : ainsi près de l'endroit dénommé Bec de Canard, non loin d'Ouchtata à l'est du pays, au cours d'un appel émanant d'un officier français qui s'adressait à son collègue de la manière suivante : Ici Eglantier, allo Glaïeul, l'opérateur de l'ALN répond immédiatement : Eglantier, ici Glaïeul parlez - Glaïeul, est-ce que les fellouzes portent des casques ' - Bandes d'idiots, bien sûr que les fellouzes portent des casques ! - Je vais demander un tir d'aviation sur la position TR-ZK. L'ordre a été aussitôt exécuté. Le tir air-sol a ainsi causé la mort de plusieurs soldats français.Les services spéciaux français aussi se démenaient pour porter des coups aux transmissions de l'ALN.Ayant interdit la vente des piles sur le marché, ils ont rendu la vie difficile aux opérateurs radio de l'ALN qui, sans la pile BA48, ne pouvaient plus faire fonctionner la partie « réception » de leurs appareils émetteurs-récepteurs A.N.G.R.C.9. Dans le but de faire détruire la station-radio de la Wilaya III, ils « abandonnèrent » une pile du type BA48 à l'issue d'un bivouac installé dans l'Akfadou. Celle-ci a été trouvée par des membres du FLN, puis remise à l'ALN le 9 décembre 1958 à Agoussim, près de Aïn El Hammam, où se trouvaient deux chefs de station radio, Ladjali Mohammed Lahbib et Aït Hammi Tayeb et le dépanneur radio Omar. Profitant de cette aubaine, Tayeb et Omar se sont mis immédiatement au travail et au moment du branchement de la pile au poste-radio, une forte explosion se fit entendre, pulvérisant l'émetteur-récepteur, déchiquetant les deux transmetteurs et le dépanneur. La pile « oubliée » et récupérée par les membres du FLN était confectionnée au moyen d'un explosif très puissant et munie d'un dispositif électrique de mise à feu.Autre fait parmi tant d'autres des services français mérite d'être connu : à la frontière ouest, une maisonnette abritant une station radio à Boudnib, en territoire marocain faisant face à la ville algérienne de Béchar, a été aussi la cible d'un commando spécial français basé à Mecheria qui est rentré au Maroc pour poser dans la nuit du 9 au 10 avril 1960 des charges d'explosifs aux quatre coins du bâtiment, programmées pour exploser à quelques minutes d'intervalle. Le chiffreur Medouakh, en sortant du bâtiment pour prendre l'air, a déclenché le système de mise à feu du dispositif installé, ce qui a provoqué deux déflagrations causant la mort de ce chiffreur et de quatre autres djounoud et blessant l'opérateur radio Mahfoud Megherbi. Les deux autres charges ont été localisées et désamorcées.Lorsque l'armée française s'est aperçue que nous écoutions ses messages militaires et administratifs à travers la réaction de nos unités ou la diffusion de notre Radio de diffusion algérienne (RDA). Elle ne transmettait plus en clair, tous les messages furent codés.A partir de ce moment, il a fallu créer un service de décryptage dans notre centre d'écoute. Nous devions trouver les moyens de chiffrement utilisés par l'ennemi afin de mettre en clair le trafic capté par les opérateurs radio. Cette tâche était ardue dans la mesure où l'on ignorait totalement tout des systèmes de chiffrement utilisés par l'ennemi. Le code français utilisé en 1957 avait pour nom : Charlie-Emile-Oscar (CEO), lequel a été reconstitué par notre service du chiffre.La mise en clair des messages chiffrés de l'armée coloniale au moyen de ce code était facilitée par le fait que le réseau de la gendarmerie française communiquait les clefs de chiffrement une fois par semaine à l'intention de ses unités. Cependant, une information d'un média étranger en 1958 a dévoilé l'existence d'un centre d'écoute des « rebelles », ce qui a entraîné les Français à changer ce moyen de chiffrement considéré peu sûr et à mettre en circulation un nouveau code plus hermétique appelé « Slidex ».Le non-respect par les opérateurs radio français de la discipline imposée dans le réseau des transmissions (aborder des sujets confidentiels, tenir des discussions susceptibles de permettre la reconstitution d'un organigramme ou d'une organisation, etc.) nous a aidés à la reconstitution des codes et des clefs.En 1959, le travail consistait à reconstituer les cartes de chiffrement français appelé Slidex. Une fois les cartes mises à jour, il fallait s'atteler à découvrir les clefs . Dès les premières années de la révolution algérienne en août 1956, des jeunes révolutionnaires avaient créé le service d'écoute afin de connaître les intentions de l'ennemi et la progression de son armée. C'était l'épopée de ces jeunes étudiants lycéens qui ont abandonné leurs études et rejoint le maquis pour libérer le pays. Ils sont devenus des combattants spécialisés dans le renseignement. L'Algérie indépendante a trouvé à sa disposition des cadres formés, prêts pour la construction du pays.L'auteur est officier ALN. AN-MALG
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