Algérie

Les relations franco-marocaines au scalpel



Ali Amar, auteur de «Mohamed VI, le grand malentendu» et Jean-Pierre Tuquoi, auteur du «Dernier roi» ne croient pas à une «spécificité marocaine» une idée «fausse et rassurante». Ils croient par contre à la «singularité» de la relation franco-marocaine qu'ils décortiquent dans un livre qui va faire du bruit. Dans «Paris Marrakech, Sexe, fric et réseaux» on a des clés pour comprendre pourquoi la diplomatie française est au service de «celle du royaume» alors qu'au niveau économique «le Maroc reste l'arrière-cour des groupes français du CAC 40».

Tout ce que vous avez pu imaginer sur Marrakech et ses attraits multiples pour les élites économiques et politiques de France et de Navarre n'était pas faux. La lecture du livre vous fera comprendre néanmoins que votre imagination qui s'alimente de rumeurs et de bribes d'information était encore très loin de la réalité. «Kech», pour reprendre la formule «in» en usage chez la jetset parisienne, est une grande destination pour les touristes du monde entier. Elle incarne néanmoins un «bout de Paris à deux pas du désert», un ultime arrondissement parisien exotique où l'on prend du bon temps tout en continuant de faire de la politique. Les élites françaises - de droite ou de gauche – sont chez elles à Marrakech, y possèdent des pied-à-terre ou bien y ont, à longueur d'année, des habitudes dans des hôtels hyperluxueux. Souvent aux frais de la princesse, ce qui dans le cas du Maroc signifie aux frais du palais. Les deux journalistes s'y intéressent en allant dans des détails sur des acteurs souvent présents dans les magazines «people» qui illustrent parfaitement la singularité de la relation entre le Maroc et la France. Et les informations précises sur les biens immobiliers des membres de l'élite française à Marrakech, leurs habitudes, les «invitations royales» qui ne peuvent être refusées, font de la ville ocre une «porte d'entrée sur un sujet autrement plus vaste, celui des relations entre la France et son ancien protectorat dont elle est une sorte de précipité».

DES MŒURS PAS «TOUJOURS GLORIEUSES» DES ELITES

Et au risque de déplaire de Paris à Marrakech en passant par Rabat, les deux journalistes donnent à voir le «ballet des hommes politiques, des intellectuels, des chefs d'entreprise français qui y viennent en villégiature». Et, poursuivent-ils, «observer les mÅ“urs – pas toujours glorieuses – de nos élites sur place renvoie forcément aux liens entre la France et le Maroc». Ce sont des liens «sans équivalent», un sujet «d'étonnement» et «d'ahurissement» pour les étrangers car aucun pays européen «n'entretient avec l'une de ses anciennes colonies des relations comparables à celles qui unissent la France et le Maroc». Le livre ne se contente pas de parler des élites économiques et politiques françaises qui trouvent à Marrakech un lieu discret pour l'entretien d'une relation qui fait des présidents – et des candidats – des représentants avérés ou potentiels du Cac 40. Le livre parle aussi des élites marocaines. De Mohamed VI qui n'a rien «d'un roi des pauvres» et cherche surtout à se distinguer de son paternel Hassan II et entend avoir ses «propres palais et, dans le même temps, à coups de millions, transformer en hôtels de luxe certains des biens dont il a hérité». Le Royal Mansour, classé parmi les hôtels les «plus extraordinaires du monde» est le premier fruit d'un «règlement de comptes posthume… Entre un fils et son père, entre deux rois, Mohammed VI et Hassan II». Une «folie condamnée à n'être jamais rentable» et dont le coût tient du secret d'Etat. Et à côté de ce jeune roi, une nouvelle élite a émergé et dont le portrait-robot correspond bien à l'image qu'en donnent, par exemple, les jeunes du Mouvement du 20 février.  

DES QUADRAS MAROCAINS «VORACES»

Ce sont des «quadras», «voraces au gain» qui se comportent en «toute impunité comme des prédateurs décidés à bâtir très vite des fortunes». «Malheur à ceux qui se mettent en travers de leur route» écrivent-ils en révélant que des entreprises françaises «ont préféré quitter le Maroc plutôt que d'être rançonnées». Paris s'en est ému, écrivent-ils mais pas au point «de remettre en cause Paris-Marrakech, ce monde étrange et fascinant». Les relations franco-marocaines «avec leur cortège d'intérêts croisés et de connivences troubles» que rien ne vient ternir sous la présidence de Jacques Chirac ont été perpétués avec Nicolas Sarkzoy alors qu'un «aggiornamento était possible». Sarkzoy ne devait rien à Mohamed VI mais à peine élu, il s'est coulé avec facilité dans le moule – le corset – des «amis du Maroc». Pouvait-il en être autrement quand les deux auteurs soulignent que l'économie marocaine est «l'arrière-cour des groupes français du CAC 40»? L'arrivée au gouvernement des «barbus» du PJD va-t-elle changer la donne ? Outre qu'un gouvernement bis s'installe au Palais royal pour veiller au grain, Jean-Pierre Tuquoi et Ali Amar soulignent que les islamistes sont des libéraux au plan économique et qu'ils continueront à solliciter les entreprises françaises. Celles-ci devront cependant se «montrer plus généreuses en matière de rémunérations, moins dures sur les conditions de travail». Ils s'attendent, au cas où le PJD parvient à durer, à une incidence au niveau des «mÅ“urs». Mais les touristes qui font vivre Marrakech et les propriétaires français de riad et villas ne quitteront pas le «Paris du Sahara». Ils se feront juste un peu discrets.




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