Algérie

«Les relations entre Alger et Madrid sont assainies de tout contentieux bilatéral» Abdelaziz Rahabi. Ancien ambassadeur d'Algérie à Madrid



«Les relations entre Alger et Madrid sont assainies de tout contentieux bilatéral»                                    Abdelaziz Rahabi. Ancien ambassadeur d'Algérie à Madrid
L'Espagne est l'un des pays avec lesquels l'Algérie entretient des relations politiques privilégiées. «Elles sont assainies de tout contentieux bilatéral, ce qui est en soi non négligeable lorsqu'on sait l'histoire chahutée de nos relations», indique Abdelaziz Rahabi. Cependant, des «groupes de pression régionaux, des lobbys politico-financiers rendent difficile une relation stratégique». Mais pas seulement.
La question du Sahara occidental pèse lourdement sur ces relations en raison de la position pro-marocaine de Madrid.
- Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, effectue aujourd'hui une visite officielle en Algérie. Entre Alger et Madrid, tout semble aller pour le mieux. Vous qui étiez ambassadeur en Espagne, quel regard portez-vous sur les relations entre les deux pays '

Les rapports entre les deux pays sont assainis de tout contentieux bilatéral, ce qui est en soi non négligeable quand on connaît l'histoire chahutée de nos relations étrangères. Cependant, à mon avis, il reste que nos amis espagnols continuent à considérer, à tort, l'Algérie comme une chasse gardée de la France tout comme celle-ci le fait pour l'Amérique latine. Par ailleurs, chaque fois qu'un dirigeant espagnol suggère d'envisager une relation stratégique avec l'Algérie, des groupes de pression régionaux, comme la Catalogne ou l'Andalousie, craignent que cela se fasse au détriment de leurs relations privilégiées avec le Maroc. Les dirigeants de ces régions ont un poids spécifique et des lobbies politico-financiers qui influent sur la politique maghrébine et euroméditerranéenne de l'Espagne. Cela n'a pas favorisé l'Algérie ni contribué à donner à l'Espagne le statut, mérité, de puissance régionale.

- La coopération économique est vantée comme «un modèle» entre les deux pays méditerranéens. Le commerce bilatéral et les flux d'investissement sont-ils à la hauteur des relations jugées «privilégiées» entre Alger et Madrid '

Les relations entre deux pays n'obéissent pas uniquement à une logique d'entreprise ou de commerce. Les mesures de confiance entre les Etats et les peuples sont également un facteur de promotion. Vous me donnez là l'occasion de rappeler quelque chose qui n'a pas été suffisamment relevé dans le bilan que nous avons fait de la réalité des soutiens financiers que nous avions reçus dans les années les plus difficiles. L'Espagne, sur instruction personnelle de Felipe Gonzalez lorsqu'il était Premier ministre, et contre l'avis de son ministère des Affaires étrangères, avait accordé, en décembre 1995, un crédit fournisseur accompagné d'un fonds d'aide au développement de près de 800 millions de dollars. Une somme considérable dans le contexte de l'époque et au regard des réserves de l'Algérie qui n'excédaient pas les 400 millions de dollars. Aujourd'hui, les Espagnols ne me semblent pas tirer suffisamment profit du potentiel du marché algérien au moment où ils en ont le plus besoin.

- Quels sont les domaines de coopération qui pourraient profiter à l'Algérie '

L'Espagne est certainement en crise, mais c'est aussi la 12e puissance économique dans le monde, en conséquence l'on peut envisager avec elle toute forme de coopération. Je pense que même si les opérateurs espagnols sont encore réticents à venir investir en Algérie par méconnaissance du pays, les entrepreneurs algériens devraient faire un effort de recherche de partenaires dans des secteurs comme le bâtiment, la PME ou encore l'agriculture. Malheureusement, il domine encore chez le patronat algérien une approche purement marchande, qui considère que l'importation de produits finis est une activité économique suffisante pour se développer. Nos entreprises n'ont pas su tirer profit de la crise en Europe.

- L'Espagne, ancien colonisateur du Sahara occidental, a une responsabilité historique et administrative dans le conflit. Madrid continue à s'aligner sur les thèses marocaines, contre la légalité internationale. Comment expliquez-vous ce positionnement '

Sur cette question, j'ai cru un moment, avec l'arrivée de la droite au pouvoir, que l'Espagne allait corriger une déviation marquée par l'alignement des socialistes sur les thèses marocaines. En moins d'une année d'exercice, l'équipe actuelle avait déjà fait sienne des thèses de l'ancien ministre de Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos. Il faut reconnaître aussi que cette question est d'une grande complexité en Espagne. Car si l'opinion publique espagnole est résolument favorable aux Sahraouis, les lobbys politico-financiers ont des intérêts au Maroc et le gouvernement Rajoy craint que Ceuta et Melilla ne soient instrumentalisées par le Maroc. Il ne faut pas, par ailleurs, négliger les pressions qu'exercent Paris et Washington. A mon sens, si l'Espagne nourrit des ambitions de puissance régionale, elle ne peut pas faire l'économie de relations équilibrées avec tous les acteurs, y compris les Sahraouis, car c'est la seule condition pour elle de préserver ses relations avec l'Algérie et de jouer le rôle qui lui revient historiquement.


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