Les règles du dialogue rochdien Le droit à la différence : Le deuxième principe qu’il nous faudrait emprunter à Ibn Rochd pour rétablir un rapport fécond entre l’Europe et le monde Arabe, c’est ce que nous appellerions aujourd’hui « reconnaître le droit à la différence «. C’est ce principe que notre philosophe applique dans sa démarche visant à redéfinir les liens pouvant exister entre la religion et la philosophie. Il reproche à Ibn Sina (Avicenne) d’avoir nui tant à la religion qu’à la philosophie par son syncrétisme qui consistait à intégrer les principes de la religion dans la religion dans ceux de la philosophie, ce qui ne pouvait avoir que des conséquences graves : sacrifier soit les principes de la religions, soit ceux de la philosophie, voire les écarter tous pour tomber dans un scepticisme sans issue. Il défend énergiquement la non-contradiction des vérités religieuses et philosophiques, car « une vérité, dit-il, ne contredit pas une autre, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur «. Cependant, concordance ne veut pas dire équivalence, et témoigner en faveur d’une chose ne veut pas dire s’identifier avec elle. Le droit à la différence doit être respecté. Compréhension, tolérance et indulgence : Ceci nous amène au troisième principe de l’épistémologie rochdienne que nous voulons mettre en relief. C’est un principe à caractère méthodologique et éthique tout à la fois : la compréhension, au sens de tolérance et d’indulgence. Notre philosophe reproche à al-Ghazali de ne pas respecter, dans ses objections aux philosophes, les règles du dialogue visant à la recherche de la vérité. Al-Ghazali disait : « mon but était de mettre en doute leur thèses (celles des philosophes), et j’y ai réussi «. Et Ibn Rochd de répondre : « ceci n’est pas digne d’un savant. Car un savant en tant que tel ne put avoir d’autre but que de rechercher la vérité, et non de semer le doute et de rendre les esprits perplexes «. Répondant à ceux, parmi les savants musulmans, qui voyaient dans les sciences des anciens des opinions qui ne s’accordent pas avec l’esprit de l’Islam, notre philosophe déclare : « Il nous faut, lorsque nous trouvons chez nos prédécesseurs des nations anciennes, une théorie réfléchie de l’univers conforme aux conditions qu’exige la démonstration, examiner ce qu’ils en ont dit, ce qu’ils ont affirmé dans leurs livres. Si ces choses correspondent à la vérité, nous les accueillerons à grande joie, et nous leur en serons reconnaissants. Si elles ne correspondent pas à la vérité, nous le ferons remarquer, mettrons les gens en garde contre elles, tout en excusant leurs auteurs «. Car dit-il : « faire justice consiste à chercher des arguments en faveur de son adversaire comme on le fait pour soi-même «. Tels sont à mon avis les principaux éléments d’une épistémologie de dialogue rochdienne. Le propre de cette épistémologie est de définir une manière de dépasser ou du moins d’apaiser l’antagonisme dans le rapport d’altérité, rapport du moi à son autre. A une époque où les idéologues de l’après-guerre froide cherchent à faire du prétendu « Choc des civilisations « la réalité de demain et de l’Islam le plus propre à jouer le rôle de « l’autre « de l’Occident, son futur ennemi après l’effondrement du communisme, il est du devoir de tous les défendeurs de la paix dans le monde de lutter contre cet état d’esprit qui sème la méfiance et appelle à l’hostilité. Et si l’on ajoute à cet état d’esprit « occidental « ce que j’appellerai la psychologie du colonisé face à son ancien colonisateur qu’alimente encore le comportement hégémonique de plusieurs puissances occidentales, on peut conclure que la paix, la stabilité et surtout la confiance, dépendront beaucoup de l’épanouissement d’un dialogue basé sur une épistémologie de compréhension mutuelle telle que nous venons d’en esquisser les grands traits et dont le père-fondateur restera sans doute le grand philosophe andalou Ibn Rochd. Suite et fin Professeur Dr.Mohammed Abed El Jabri
Posté Le : 26/11/2006
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com