Plus de cinq mois
après la chute du régime de Zine el-Abidine
Ben Ali, le 14 janvier, l'impatience gronde dans le centre de la Tunisie, en mal de
développement.
La colère qui s'affichait
sur des banderoles, dans la salle d'audience du tribunal de Première instance
de Sidi Bouzid, jeudi dernier, n'avait rien à voir
avec l'annonce de l'ouverture, ce lundi, du procès par contumace de Zine el-Abidine Ben Ali, réfugié
en Arabie Saoudite. La foule, qui réclamait une «justice équitable» et des
«investigations sincères», attendait la comparution de plusieurs policiers
suite à la mort de deux jeunes, retrouvés brûlés dans un poste de police de la
ville, le 4 février dernier. La décision de reporter l'audience, pour la
deuxième fois, a été accueillie par des sifflets.
Dans la ville de
Mohamed Bouazizi, l'homme de 26 ans qui s'est immolé
par le feu le 17 décembre 2010, déclenchant des manifestations dans tout le
pays, on n'attend «pas grand-chose» du procès de l'ex-président. «Ben Ali doit
être présent sur le banc des accusés, pas libre en Arabie Saoudite» dit Mohamed
Salah Arfah, chef d'un bureau de poste des environs
de Sidi Bouzid. Plus de cinq mois après la chute du
régime, le 14 janvier, la ville réclame des avancées au niveau local.
«La Révolution n'a rien
changé», affirme Mohamed Jilani, 25 ans. Depuis qu'il
a obtenu une maîtrise en finance l'année dernière, le jeune homme passe ses
journées à tuer le temps dans les cafés du centre-ville. Il bénéficie désormais
de l'aide de 200 dinars par mois (environ 100 euros) accordée par le
gouvernement provisoire aux diplômés chômeurs pour les aider à financer leur
«recherche active d'emploi». Mais «nous avons fait la révolution pour la
dignité, rappelle-t-il. Nous voulons du travail, pas de l'assistanat».
Le chômage des
diplômés dépasse les 50% à Sidi Bouzid
Mohamed Jilani se dit «pessimiste pour Sidi Bouzid»,
où le taux de chômage des diplômés du supérieur avoisine les 50%, selon une
étude publiée début juin par le Centre des études économiques de l'Institut
arabe des chefs d'entreprises. «On ne parle plus de nous, les promesses d'infrastructures
et d'implantation d'usines ne se concrétisent pas», déplore-t-il.
Un constat partagé
par Khaled Nsiri. «La révolution sera réussie quand
ses objectifs seront réalisés», dit le chômeur de 25 ans, diplômé en génie mécanique.
«Depuis des décennies, l'intérieur du pays est délaissé. Il faut répartir la
richesse entre les régions». Les habitants réclament l'implantation d'industries
agroalimentaires, qui font défaut à cette province agricole, mais aussi le
développement d'infrastructures, comme un campus universitaire.
A Kasserine, autre
ville pionnière de la
Révolution, les attentes des jeunes ne sont pas moins grandes.
«A Monastir, 12 projets sont nés depuis la révolution. A Kasserine, on n'a rien
vu», dénonce Mizar Jabbari,
habitant d'Ezzouhour, un quartier pauvre qui a payé
un lourd tribut à la révolution. «Ezzouhour, 42
martyrs», proclame une épitaphe, sur un mur à l'entrée de la cité. En avril, la
commission chargée d'enquêter sur les «violations et abus» commis pendant la
révolution, révélait que l'ancien régime avait «ordonné le bombardement du
quartier d'Ezzouhour, afin de faire plier la région
et de mettre à genoux ses habitants». Selon les conclusions de la commission, les
armes à feu ont été utilisées «avec l'intention de tuer» par des «tireurs d'élite»
parfois postés sur les toits.
«Nos martyrs ne
sont pas à vendre»
«Nous sommes l'étincelle
des révolutions du monde arabe, mais rien n'a changé ici», dit Mizar Jabbari, qui, à 29 ans, n'a
jamais connu que le chômage. Le monument aux morts, érigé sur une petite place
de la cité aux routes de terre, a été financé avec les maigres économies des
habitants, fait-il remarquer. Sur un mur, l'inscription «Nos martyrs ne sont
pas à vendre» exprime la frustration des habitants. «Les autorités essaient de
nous faire taire avec des allocations chômage, dit Mizar
Jabbari. Mais nous voulons du travail». Près de lui, un
homme sort de sa poche un bout de papier avec une date: 28 décembre 2011. «J'ai
demandé à rencontrer le gouverneur de Kasserine, explique-t-il. Voilà la date
du rendez-vous. Nous sommes toujours négligés, comme avant».
Le gouvernorat de Kasserine est le plus
déshérité des 24 préfectures du pays, selon le ministère du Développement
régional. Environ 13% de la population vit avec moins de 400 dinars par an (200
euros), un pourcentage presque quatre fois supérieur à la moyenne nationale. Le
taux de chômage des jeunes diplômés frôle les 40%, contre 23,3% pour l'ensemble
du pays. «Nous avons d'immenses ressources, mais ce sont les autres qui en
profitent, dit Anis Chargui, 24 ans. La révolution
sera achevée quand notre région sera aussi développée que la côte».
La vitrine change,
les cuisiniers sont les mêmes
En attendant, les
citoyens restent perplexes sur la réussite de la transition démocratique. Saif Nsiri, un habitant de Sidi Bouzid qui travaillait dans un centre d'appel avant de
perdre son emploi, estime que les partis «prennent la révolution pour un gâteau
dont ils veulent la plus grosse part». Depuis janvier, quelque 82 partis ont
été officiellement reconnus. «Peu d'hommes politiques mettent l'intérêt général
au-dessus du leur», dit l'ancien adhérent au Parti démocrate progressiste (PDP),
qui a quitté la formation il y a un an et demi. Il ne fait pas davantage
confiance aux autorités de transition. «On a changé de vitrine mais les
cuisiniers sont restés les mêmes, affirme-t-il. Les décisions sont prises à
Tunis sans tenir compte des régions». A Kasserine, les jeunes d'Ezzouhour, préviennent qu'ils pourraient «voter pour le
diable pourvu qu'il nous vienne en aide».
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Posté Le : 21/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Anouk Ledran: A Tunis
Source : www.lequotidien-oran.com