Algérie

Les raisons sont connues, la solution relève de la volonté politique Cherté de la viande rouge



Par Ziad Abdelhadi
Le prix de la viande rouge en Algérie est l'un des plus élevés au monde. Les raisons en sont nombreuses.
A commencer par le coût de revient à la production mais les plus évidentes sont, selon de nombreux spécialistes en la matière et qui ont longtemps débattu de la question, la multiplicité des intervenants dans le circuit de la commercialisation et la prédominance du marché informel. Ils expliquent en effet que la multiplicité des intermédiaires rend complexe et plus long le circuit de commercialisation de la viande rouge. Et de souligner : «Le circuit est rendu long par le fait du grand éloignement entre les zones de production et les grands centres de consommation».

Les éleveurs estiment que l'aliment est cher
D'après des agronomes spécialistes en production animale les niveaux des prix des aliments conditionnent l'offre en fonction des coûts de production-seuil qui garantissent le bénéfice minimum de l'éleveur. Cette logique est commune aux éleveurs ovins et aux éleveurs bovins. En effet une enquête par des agronomes menée au-près d'une centaine d'exploitations implantées dans le nord du pays fait ressortir une liaison forte entre le niveau du coût de l'aliment et le niveau du bénéfice attendu. Ce qui n'est pas le cas pour les éleveurs de la steppe qui sillonnent les parcours gratuitement. Mais quand la couverture végétale est très faible pour cause de sécheresse ils se voient obligés de ce rabattre sur la production fourragère du Nord où l'offre est souvent incertaine en raison de la forte demande des éleveurs bovins laitiers. De par cette situation les éleveurs ovins de la steppe n'ont plus que cette alternative : se rabattre sur l'orge. Un complément d'alimentation qui a et connaît par période des tensions au point où l'orge subventionné n'arrivait plus chez les véritables éleveurs mais chez les spéculateurs. Ces derniers encouragés dans leur basse besogne par l'absence de contrôleur. Du coup ils revendent cette variété céréalière au prix fort.
Un surcoût financier que les éleveurs vont tenter de compenser en misant sur l'augmentation du prix sur pied de leurs moutons.

L'offre ne suit pas la demande du marché de la consommation de la viande rouge
Un coup de projecteur sur la filière dévoile une production de viande ovine des plus aléatoire et une dispersion de l'offre des animaux qui induit des comportements spéculatifs fortement déterminés par les seuls signaux du marché. Pour le premier constat, il s'explique selon des agronomes versés dans la production animale, et comme ils l'ont souvent martelé, par le fait que «l'élevage ovin dans notre pays se singularise par sa faible productivité pondérale ou numérique». Cela est dû, selon ces spécialistes, «aux conditions du milieu mais également à un ensemble de contraintes qui limitent l'expression du potentiel productif». Et d'expliquer «les contraintes sont d'ordre organisationnel, nutritionnel technique et sanitaire». En clair, «la production des viandes rouges en Algérie est irrationnelle», ont-ils souvent affirmé. D'autres avancent même que jusqu'à présent la production ne connaît pas de règles. Des professionnels indiquent qu'elle est soumise aux incertitudes qui pèsent sur la production fourragère. Et pourtant, faut-il le rappeler, depuis plus d'une décennie des efforts importants ont été consentis à l'importation des facteurs de production destinés à développer la production animale, c'est-à-dire les compléments d'alimentation, notamment l'orge consommée surtout par les animaux de boucherie.
Quant au second constat, cité plus haut, on peut dire qu'une foule d'intermédiaires sont à l'origine du dysfonctionnement dans le
circuit de commercialisation de la viande de mouton

Circuit de la commercialisation
Selon des études menées sur le terrain par des attachés de recherche de l'Institut national de la recherche agricole (Inraa) le circuit de la commercialisation repose sur trois schémas. Le premier, le plus court, c'est quand le producteur vend directement au consommateur : c'est généralement le cas dans les villes de la steppe. Pour le deuxième, qualifié de traditionnel, il n'existe qu'un seul intermédiaire, à savoir le maquignon, entre le producteur et le consommateur. Le troisième est le plus long, car, outre le maquignon, intervient aussi le chevillard qui achète en grande quantité les carcasses de moutons ou de veaux et les revend aux détaillants. Des études qui ont aussi fait ressortir que les incertitudes qui pèsent sur la production fourragère et la dispersion de l'offre des animaux donnent à la structure des marchés concrets un caractère segmenté. Il a été également relevé que la régularité des transactions et la pérennité des flux s'appuient sur des réseaux d'échange assis sur une connaissance mutuelle des échangistes et des conventions tacites. «Ce sont ces réseaux qui donnent au marché une complémentarité permettant l'ajustement des flux sur les différents marchés. Ce mode de fonctionnement permet aux agents une certaine adaptation en fonction de leur capacité propre qui induit cependant des comportements spéculatifs fortement déterminés par les seuls signaux du marché. Les choix opérés se font sur un horizon de temps limité préjudiciable à tout investissement susceptible de participer à la transformation des conditions structurelles de l'offre» soulignent les rédacteurs des études.
A partir de ces indications les attachés de recherches ont conclu : «Ce sont ces différents facteurs conjugués qui donnent aux circuits commerciaux de la viande rouge leur configuration actuelle».
Comme ils ont aussi découvert, suite à des enquêtes auprès d'éleveurs de trois régions (Sidi Bel Abbès, Tiaret, Sétif), que les anticipations sur les risques de l'ensemble des acteurs de la filière déterminent les modes et les périodes de mise en marché chez les éleveurs, l'intensité des interventions des maquignons sur les marchés et les ajustements que font chevillards et bouchers pour s'adapter à la demande en viande rouge. En clair ces interventions et ajustement effectués sur l'abattage et les circuits de commercialisation montrent comment les bouchers abatteurs, pour préserver ou accroître leur marge recourent à l'abattage non contrôlé, adaptent le volume de leur abattage en limitant les investissements.

Spéculation et marché informel
Si le partage de la marge bénéficiaire le long de la filière confirme la faiblesse des maillons abattage et distribution c'est donc la spéculation qui est ainsi à l'origine de la hausse des prix sur les étals. Pour preuve, l'offre existe (22 millions d'ovins et près de
2 millions de bovins) mais elle ne se traduit pas au niveau des prix au détail. Pis, en dix ans le prix au kilogramme a presque doublé. D'après l'observatoire des viandes rouges, l'antenais qui valait 12 000 DA en janvier 2007 s'est vendu à Djelfa à la fin 2012 au prix de 26 000 DA. Au marché à bestiaux d'Ouled Fayet, le mouton était proposé à la même période entre 30 000 DA et 35 000 DA. C'est bien là l'œuvre de comportements spéculatifs le long de la filière.
De plus et comme nous l'on témoigné des professionnels, les choix des prix à appliquer sur les marchés à bétail se font sur un horizon limité et sont réversibles selon les signaux du marché. Toujours dans ce même ordre d'idée on apprendra que la majorité des transactions ont lieu sur les marchés les plus proches (voir ci-dessus). Les éleveurs vendent périodiquement un nombre d'animaux réduit sur le marché local. Le marché, lieu de confrontation de l'offre et de la demande permet de s'informer sur le niveau des prix. «La multitude de marchés locaux hebdomadaires sur une région permet le regroupement des bêtes par les maquignons locaux pour les présenter au marché hebdomadaire de la zone de production. L'exemple de Djelfa en tant que marché régional est typique. Les six marchés locaux à sa périphérie drainent une partie du bétail échangé sur ces marchés. Les principaux échangistes sont les éleveurs, les éleveurs maquignons, les courtiers et les bouchers locaux. Les maquignons régionaux s'approvisionnent pour 60% auprès de maquignons locaux, pour 33% auprès des éleveurs et les 7% restant auprès des courtiers. Ils limitent ainsi les frais de courtage et de prospection en les faisant supporter aux maquignons locaux et aux éleveurs», nous ont soulignés nos interlocuteurs très informés du rouage de la vente sur pieds des ovins.
En somme ce sont ces différents facteurs conjugués qui donnent aux circuits commerciaux du bétail et de la viande leur configuration actuelle. Les anticipations sur les risques de l'ensemble des acteurs de la filière déterminent les modes et les périodes de mise en marché chez les éleveurs, l'intensité des interventions des maquignons sur les marchés et les ajustements que font chevillards et bouchers pour s'adapter à la demande en viande rouge.
- Disons pour clore ce chapitre que le dysfonctionnement dans les circuits de distribution fait qu'entre le prix à la source, celui du gros et celui du détail, l'écart est astronomique.
- L'Etat absent, la spéculation joue. Mais que font les pouvoirs publics devant cet état des lieux '
- Ils ont pensé à libérer les importations dans le but de stopper la hausse des prix du produit carné local.
- Importations de produits carnés pour tenter de réguler le marché Alors qu'elles étaient auparavant sous le monopôle de l'Etat et mis en œuvre auparavant par contingentement pour les besoins des grandes collectivités (hôpitaux, cités universitaire et les grandes entreprises) et aux consommateurs individuels pendant les périodes de grande consommation (Ramadhan et Aïd El Adha) ce n'est qu'à partir de 1990 que le quota des importations est devenu soumis à concurrence et ouvert aux importateurs privés sur la base d'un cahier des charges. Une initiative qui avait pour but de freiner quelque peu la hausse des prix de la viande. Ce qui depuis n'a jamais pu se faire. Et pourquoi ' Selon des importateurs privés que nous avons pu joindre par téléphone dans le cadre de notre enquête, «C'est parce que les mesures protectionnistes de l'Etat sont toujours en vigueur». Une mesure que contestent les acteurs intervenant dans le créneau des importations. Nos interlocuteurs nous ont aussi avoué qu'ils sont loin de partager la vision du gouvernement en termes de perception de l'équilibre du marché interne dès lors que le volume global des importations (toutes viandes confondues) représente moins de 20% des besoins exprimés. C'est le cas depuis plusieurs années. On peut citer pour exemple les 30 000 tonnes de viandes fraîche importées jusqu'ici en 2013. Un tonnage très en deçà des 300 000 tonnes des besoins du marché. Devant ce constat les importateurs appellent à plus d'ouverture du marché afin de parvenir à la diversification de l'offre et créer un climat concurrentiel nécessaire pour éviter la flambée des prix. En fait ils demandent une meilleure régulation du marché interne.

Régulation du marché pour une maîtrise des prix à la consommation
Depuis quatre ans l'Etat qui, à travers sa politique en la matière, vise la protection de la production nationale tout en assurant un approvisionnement équilibré du marché. Une stratégie qui va faire en sorte que la filière des productions animales dans son ensemble fasse l'objet d'une reconfiguration radicale à cour terme. Dans cette perspective, le ministère de tutelle continue de chercher les voies et les moyens à mettre en place pour réguler le marché de la viande rouge non sans rappeler au passage que le ministre de l'Agriculture et du Développement rural a commencé de travailler dans ce sens puisqu'il a créé en 2009 l'Office national interprofessionnel des légumes et viandes (Onilev) avec pour mission de prendre en charge la gestion des activités de la filière des viandes rouges. En d'autres termes l'Onilev et comme nous l'a souligné Saïd Bouceta, responsable de la communication auprès de l'Office, va tenter de contrecarrer les spéculations tarifaires par des moyens législatifs, techniques et économiques tout en impliquant professionnels, producteurs et
consommateurs. «Pour y arriver nous allons organiser la filière. Il s'agira donc de structurer la filière autour d'un conseil interprofessionnel et de l'organiser», nous a indiqué Saïd Bouceta. Il faut aussi rappeler que les pouvoirs publics estiment qu'avec l'entrée en production du projet des trois grandes unités d'abattage industrielles implantées à l'ouest au centre et à l'est du pays qui seront gérées par la SGP Proda, les prix des viandes reviendront à des niveaux plus raisonnables. C'est en tout cas ce que visent les pouvoirs publics. Mais reste à savoir si la grande famille des éleveurs vont intégrer la démarche que va instaurer la SGP Proda. Une démarche qui consiste à acheter en grand nombre des moutons chez les éleveurs pour constituer des stocks importants de carcasses qui seront écoulés chaque fois qu'il y aura tension sur le marché. Toujours est-il on peut s'attendre à un faible engouement de la part des éleveurs quand on sait que ces derniers habitués à marchander depuis de longues années dans l'opacité la plus complète.
«Comment vont-ils réagir quand on va leur demander des factures» c'est là la question que se posent les sceptiques à l'idée que la SGP Proda va rapidement réussir à assumer sa mission.

Que pense le consommateur
Pour nombre de ménages aucune explication sur la cherté de la viande avancée jusqu'ici ne tient la route. Ils accusent de tous les maux et poussent en première ligne tous les intervenants dans le circuit de la commercialisation des produits carnés. Certains propos très durs sont proférés envers ces derniers (les intervenants) qualifiés de suceurs de sang. Mais c'est pendant le mois de Ramadhan qu'ils (les consommateurs) réalisent combien le prix sur les étals grèvent lourdement leur budget du fait qu'ils se sentent obligés de se ravitailler en produit rouge. Il faut dire aussi que pendant la période sacrée c'est comme si la population était saisie d'une véritable frénésie de l'achat. Une donne, vite mise à profit par les intervenants dans le marché des viandes rouges. D'autres consommateurs pensent, et ils ont raison, qu'il n'est pas admissible qu'un kilo de viande de mouton atteigne un tel niveau (1 400 DA/kg) dans un pays qui compte plus de 22 millions de têtes ovines !
Toujours dans ce même ordre d'idée, il est utile de rappeler, enfin, qu'au niveau des statiques, il est avancé la disposition de
18 kg par habitant et par an de viande.
Mais combien sont-ils à consommer réellement une telle quantité annuellement compte tenu du faible pouvoir d'achat des ménages.
Ces derniers se rabattant souvent sur la viande rouge congelée d'importation.
A se sujet faut-il rappeler que l'Algérie est le troisième importateur arabe de viande rouge après l'Egypte et l'Arabie saoudite.
Les importations ont atteint près de 3 millions de dollars en 2012 en hausse par rapport aux années précédentes. Une hausse qui va s'installer dans la durée tant que les pouvoirs publics n'afficheront pas une réelle volonté à limiter le pouvoir croissant des maquignons et bouchers chevillards et d'accélérer l'organisation des chaînes logistiques dans ce secteur d'activité.
Z. A.


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