Algérie

"Les profils adaptés sont minoritaires dans les consulats"




Halim Benattallah a été ambassadeur, notamment à Bruxelles, puis secrétaire d'Etat chargé de la Communauté nationale à l'étranger jusqu'en septembre 2010.Liberté : Ils sont 5 millions selon les uns, 8 millions selon les autres. Pourquoi cette difficulté à cerner le nombre des Algériens résidant à l'étranger 'H. Benattalah : Je pense qu'il faut faire la part des choses. Il y a le discours démagogique, qu'il faut prendre comme tel, le discours politicien, qui instrumentalise les données pour alimenter par exemple le discours xénophobe ou islamophobe, et le discours politique, qui laisse entendre qu'on dispose d'une présence qui compte. Interviennent, aussi, la définition de concepts tels que migrations, émigration, émigrés..., ainsi que les différents modes de calculs statistiques. Selon les données françaises, où réside l'essentiel de notre communauté à l'étranger, les variations vont de près de 800 000 à 1 700 000 selon l'étude et sa méthodologie et selon qu'elle comptabilise ou non la troisième génération, les descendants des harkis et les naturalisés. Ces derniers sortent du champ de comptabilisation alors que, pour le cas de la communauté algérienne, leur chiffre avoisine les 40%. La marge est donc importante. De notre côté, nos services consulaires sont loin d'être outillés pour maîtriser des situations sociologiques devenues complexes. Les mises à jour qu'ils communiquent ne sont pas toujours fiables. Par ailleurs, nos concitoyens n'ont pas systématiquement le réflexe de procéder aux transcriptions de leurs enfants ou s'abstiennent de se déclarer lorsqu'ils sont citoyens du pays de résidence. Malgré tout, la baisse du coût du passeport a induit une tendance à la hausse des immatriculations. Le facteur compétence-expérience du consul est déterminant lorsqu'il s'agit d'affiner les données. Malheureusement,"l'expertise" requise est loin d'être répandue. Les compétences du profil consulaire sont nombreuses, mais elles sont minoritaires à la tête des consulats. Des maillons défaillants contribuent, aussi, à altérer les données de base. On recensait près de 1 900 000 Algériens immatriculés en France et près de 300 000 immatriculés ailleurs dans le monde. Cependant, les variables sont telles qu'on peut retenir ce chiffre pour la France même s'il reste en deçà de la réalité. L'INSEE en France a recensé 4 millions d'origine maghrébine, alors qu'une autre étude française comptabilise 5 millions. Si vous considérez l'accroissement rapide de l'émigration marocaine - qui égalise quasiment celle algérienne - et le tassement relatif de l'émigration algérienne malgré le facteur du regroupement familial et "les illégaux", nous sommes au-dessus de notre estimation plancher officielle mais en deçà du chiffre français de 4 millions. Des deux côtés, le compte n'y est pas et les résultats n'ont pas tendance à se rapprocher. Enfin, par les temps qui courent, je profite de cette occasion pour attirer l'attention sur nos 9 000 compatriotes en Syrie... Que sont-ils devenus ' On a l'impression que l'Algérie ne s'intéresse à son émigration que lors des élections...De fait, elle s'y intéresse, mais dans le cadre du show électoral national, car les autorités savent que, statistiquement, le poids électoral de notre communauté à l'étranger est très relatif. C'est pourquoi les résultats des différents scrutins électoraux à l'étranger ne sont pas altérés. L'enjeu est la participation. Souvenez-vous de la réaction salutaire de notre communauté lors de la présidentielle de 1995 quand la patrie était en danger. Depuis, il y a une réelle désaffection. Je pense qu'elle vit mal le hiatus entre la pratique démocratique dans le pays hôte et les pratiques de parti unique dans leur propre pays. En revanche, le réservoir électoral qu'elle représente en France en particulier est appréciable. Cette piste a été une fois évoquée en conseil interministériel, sans plus. D'autres priorités absorbaient les esprits. De même, j'ai eu à encourager des candidats algériens à des scrutins locaux dans certains pays, mais les tiraillements internes ont transféré les voix vers d'autres candidats. Il y a beaucoup de liens à faire entre les différents segments d'une communauté désormais globalisée, stratifiée et traversée ou non par divers courants politiques. Organiser la jonction entre l'Etat et les milieux associatifs, très actifs du reste, est forcément une ?uvre de longue haleine qui présuppose un prérequis politique fort.Vous êtes allé sur le terrain vous enquérir des conditions d'accueil de notre émigration... C'était une activité saisonnière. Les responsables et agents dans les ports et aéroports avaient eux-mêmes fait la démonstration qu'ils pouvaient fluidifier les temps d'accomplissement des formalités en divisant les temps d'attente ? et de souffrances ? par 3 sinon 4, sans altérer les risques sécuritaires réels car ces facilités étaient souvent mises à profit par les trafiquants. En fin de saison, la proportion des infractions était acceptable dans la balance globale. Cette activité avait mis en relief deux contraintes qui dépassent les agents qui sont face au public. D'abord, l'obsolescence de la plupart des structures portuaires et de certains aéroports comme Béjaïa. Quant à la situation des deux postes frontaliers avec la Tunisie, elle est particulièrement déplorable. Les agents de police et des douanes travaillent dans des conditions éprouvantes. Ils sont munis de quelques ordinateurs ante-diluviens qui disjonctent avec les pannes de courant fréquentes. Les formalités sont alors bloquées. Pas de générateurs, pas de climatisation pour les personnels, les voyageurs et les machines... Ces espaces sont un peu des no man's land, on ne sait pas qui doit les gérer règlementairement et qui doit rénover. La wilaya d'El-Tarf s'en charge au titre de la "bonne volonté". Bien entendu, l'attention avait été attirée, mais au mois de septembre 2014, elle perdurait encore quand je suis passé par là.Du côté d'Oujda "l'algérienne" que j'avais visitée en premier un mois de Ramadhan, la situation est tout autre, bien entendu. Mon sentiment est qu'une réouverture de la frontière est en fait redoutée par les autorités marocaines.Elles n'ignorent pas qu'une réouverture éventuelle, "réalgérianniserait" l'Oriental. Humainement et économiquement, cette région se raccorderait au train de l'Ouest de notre pays. Quant à l'agitation marocaine à ce sujet, elle relève de la rodomontade contre-productive.D'autre part, il y a un conservatisme certain dans les procédures d'accomplissement des formalités que les agents sur place ne peuvent outrepasser sous peine de sanctions. Par exemple, les formalités entamées à bord des navires ou la suppression de la carte d'embarquement/débarquement n'allègent pas en réalité le temps d'attente car le voyageur subit encore un questionnaire oral au guichet qui annihile le bénéfice de la mesure. J'ignore si l'information qui remonte au sujet de l'efficacité attendue de ces mesures reflète la réalité. Pour fluidifier ce traitement, nous avions suggéré un couloir "étrangers", comme un peu partout, mais la suggestion a été recalée.Existe-il une politique d'intégration de cette immigration dans l'économie nationale ' Pour cela, il y a un préalable incontournable : l'existence d'une vision économique globale qui intègrerait une micropolitique en direction des Algériens de l'étranger, avec des incitations et un budget à la clé ainsi que des mécanismes de drainage des ressources humaines et financières. "L'intégration" est un stade élevé de l'utilisation de ces ressources. Pareille projection politique ne pointe pas à l'horizon. C'est du long terme, alors qu'on agit sous l'empire des impératifs du lendemain. Quelques projets avaient démarré grâce à la bonne composition ponctuelle de certains ministères qui puisaient dans leurs budgets. Exemple : le développement d'une plateforme Internet pour les compétences.Celle-ci consistait à créer un espace faisant la jonction entre l'offre externe et la demande interne. Cette plateforme était prête. Pareil pour l'outil de l'enseignement à distance qui avait commencé à fonctionner tout en appellant des adaptations. Idem pour l'université d'été pilotée et financée par le MERS. Pareil pour la mise en relief médiatique des évènements du 17 octobre ou, encore, le rapatriement des dépouilles.De même, la délivrance du 12S via Internet grâce au concours du MICL alors que ce procédé n'était pas encore mis en place en Algérie même pour les documents d'état civil. Quant à l'action cultuelle à l'étranger, elle appelait une rationalisation des approches et des ressources budgétaires, ressources dont elle ne manquait pas et le cas des imams envoyés chaque année par l'Algérie en est l'exemple. En revanche, pour en revenir aux compétences, quelques démarches sectorielles indépendantes se sont développées faisant appel à des experts de haut niveau. En même temps, des entreprises privées ont pris les devants en faisant appel à ces ressources sur une base commerciale. Il y a assurément un début de tendance positive.Mais, globalement, dans nos administrations, et par-delà des effets de manche, il y a une réticence à faire appel aux élites installées à l'étranger, en particulier lorsqu'on s'approche d'un milieu corporatiste où il y a un retour commercial potentiel comme la médecine. Ces attitudes alimentent un courant de désillusions et contribuent à installer des réticences réciproques.Il s'est tenu un seul et unique Conseil interministériel sur la thématique de l'émigration. Y avaient été esquissées les premières lignes d'une stratégie nationale en direction de notre communauté. Le feu vert avait été donné pour accomplir les premiers pas concrets. C'était encourageant. Politiquement, la priorité était donnée au cultuel. Les attentats de Paris du mois de janvier ont confirmé le bien-fondé de cette démarche visant ultimement à rassembler et à marginaliser les courants extrémistes qui avaient infiltré notre communauté. Une collaboration avait démarré avec les recteurs des mosquées de Lyon et de Paris, ainsi qu'avec les fédérations et associations locales qui administraient des mosquées. Le grand rassemblement organisé à Lille s'inscrivait dans cette trajectoire politique. En interne, il devenait nécessaire de faire évoluer un certain état d'esprit au sujet des "émigrés". Mais il faut du long terme et un signal politique plus accentué pour aller au-delà du ponctuel et du saisonnier.M. K.




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