Algérie

Les premiers pas en politique de Hocine Ait Ahmed.



La prise de conscience diffère d’un homme à un autre. C’est même naturel, pourrait-on dire. Hocine Ait Ahmed appartient indubitablement à cette catégorie dont l’éveil politique est précoce. En plus, il intervient à un moment clé dans la vie du principal parti nationaliste, le PPA (Parti du peuple algérien). De toute évidence, la défaite de la France, face à l’Allemagne nazie, a des répercussions en colonie. Bien que le système colonial ne se soit pas écroulé tel un château de cartes, la remise en cause de cette domination abjecte n’est pas remise en question. D’ailleurs, pour se restructurer, la France ne veut-elle pas s’appuyer sur ses territoires outre-mer ?
Quoi qu’il en soit, bien que le black out soit soigneusement orchestré par le système colonial, il n’en reste pas moins que, pour le colonisé, le mal, dissimulé ou affiché, vient de ce système abhorré. Haut de ses onze ans, Ait Ahmed est confronté à la dure réalité de cette domination. Revenant de l’école de Tiferdout, lui et ses copains croisent l’administrateur de la commune mixte de l’ex Michelet. « Nous ignorons le degré de ses pouvoirs, mais nous savons qu’il exige d’être salué ostensiblement. Avec la désinvolture de l’enfonce, nous tournoyons autour de lui en enlevant et remettant note coiffure », raconte-t-il. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la sentence ne tarde pas à tomber. Le lendemain, les gardes de l’administrateur procèdent à l’arrestation des écoliers. Ces derniers sont restés « incarcérés » une journée pour avoir commis le sacrilège de se moquer du représentant de la colonisation.
Cependant, en dépit des conditions alambiquées, Hocine Ait Ahmed, à l’âge de 13 ans, obtient son certificat d’études. Tout en suivant ses études à Alger, il s’informe de l’évolution du mouvement national. « Avant d’aller à Alger, je connaissais déjà l’existence du mouvement nationaliste de Messali Hadj, le parti du peuple algérien, grâce à mon oncle Ouzzine, étudiant dans la capitale », souligne-t-il dans ses mémoires. D’une façon générale, après le débarquement américain à Alger, le 8 novembre 1942, la France coloniale reprend confiance. Désormais, les autorités coloniales lorgnent du côté des indigènes en vue de libérer la métropole. D’un côté, comme le décrit Hocine Ait Ahmed, les catégories privilégiées « s’étaient rangées derrière le drapeau français dès 1939, et c’était également le cas de beaucoup d’hommes qui voulaient faire carrière dans l’armée. » De l’autre côté, bien que des Algériens aient songé, dès le début du conflit mondial, à une alliance avec l’Allemagne nazie, la majeure partie des nationalistes renvoie dos à dos et les nazis et les autorités coloniales.
Et c’est à ce moment crucial de l’avenir de l’Algérie que Hocine Ait Ahmed débute sa carrière politique. Cela correspond à peu près à la naissance du Manifeste du peuple algérien. Véritable catalyseur, ce mouvement rassemble la classe politique algérienne, dont les figures de proue sont Messali Hadj et Ferhat Abbas. Pour les nationalistes, l’effort de guerre des Algériens devra être récompensé en vertu des engagements pris par les Alliés en 1941, à savoir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Par ailleurs, après une période de militantisme à Alger, Hocine Ait Ahmed revient à Tizi Ouzou. En fait, durant l’année scolaire 1942-1943, le lycée de Ben Aknoun est fermé. En tout état de cause, le transfert de son lycée en Kabylie va permettre à Hocine Ait Ahmed d’activer auprès des gens qu’il connait bien. En outre, lui et ses camarades évoluent loin de la pression de la capitale. Sans perdre de temps, ils créent du coup une cellule estudiantine du PPA. « Et c’est en son sein que je rencontrai pour la première fois Ali Laimeche, qui deviendra un cadre politique de grande valeur, mais sera, hélas, emporté prématurément en 1946, à l’âge de 21 ans », note le chef historique de la révolution algérienne. Activant jusque-là dans la clandestinité, les militants du PPA saisissent cette opportunité pour mener leur combat sans être emprisonnés par les autorités coloniales. Pour corroborer cette thèse, Ait Ahmed raconte l’arrestation de Laimeche pour avoir distribué les tracts du mouvement pour le Manifeste. Emmené au commissariat, Laimeche assume son acte politique et le justifie par le fait qu’une copie a été envoyée au gouvernement français.
Dans ce climat marqué par la résurgence de l’activité politique, le bastion du mouvement national, la Kabylie en l’occurrence, s’engage dans la bataille. « Je pus le constater lors d’une conférence élargie convoquée par Sid Ali Halit, le délégué général de la direction du PPA pour toute la grande Kabylie… À cette conférence assistaient une cinquantaine de personnes, vieux militants de l’Etoile Nord Africaine et recrues de fraiche date, ayant adhéré à la faveur de l’ouverture semi-légale provoquée par le débarquement allié », précise-t-il.
À partir de là, la carrière de Hocine Ait Ahmed connait une ascension fulgurante. Malgré le transfert de leur classe à Miliana, pour l’année scolaire 1943-1944, Ait Ahmed et ses camarades maintiennent le cap. De retour derechef à Alger pour l’année scolaire 1944-1945, la cellule estudiantine abat un travail colossal. « C’est pour nous la plus belle période, celle de l’union sacrée de toutes les couches sociales autour de l’Association des Amis du Manifeste et de la liberté, sorte de front national qui s’est constitué en mars 1944 et qui réunit Ferhat Abbas, le PPA de Messali Hadj et les Oulémas », argue-t-il.
Tout compte fait, cette union sacrée est scellée lors du congrès de mars 1945. La section estudiantine de Ben Aknoun joue alors un rôle capital. Composée de Saïd Chibane, Sadek Hadjeres, Ait Ahmed, Ouali Bennai, pour ne citer que ceux-là, la section participe activement au congrès. Hélas, ce grand rassemblement est sabordé par la répression coloniale lors des événements de Sétif, Guelma et Kherrata. À partir de là, les modérés, notamment Ferhat Abbas et les Oulémas, rompent avec le parti de Messali. Enfin, bien que le mouvement national sorte amoindri par cette épreuve, le parti de Messali enregistre l’arrivée des jeunes talents, dont Hocine Ait Ahmed.




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