Algérie

Les prédateurs du foncier à l'affût



Par Mahmoud Chabane *
Il est utile de traiter la question centrale de la protection et de l'exploitation rationnelle de notre potentiel de productions agricoles (animale et végétale) contre les prédations et les détournements de vocation de notre patrimoine foncier et de la ressource hydrique, qui reste d'actualité. C'est là, une question fortement préoccupante à plus d'un titre. Sinon, comment oser parler d'utilisation et d'exploitation rationnelle de nos potentialités agricoles pour réaliser notre indépendance alimentaire si les ressources naturelles (terre et eau principalement) que recèle notre pays sont détruites, bétonnées, insuffisamment travaillées et gaspillées'
Les actes de destruction, de dilapidation et les agressions perpétrés, au su et au vu de tous, à l'endroit de notre patrimoine naturel en général et plus particulièrement, la terre et l'eau, par une faune de prédateurs, outre le fait qu'ils grèvent notre potentiel de productions agricoles (végétale et animale) sont graves et interpellent sérieusement tout patriote qui a à coeur l'avenir de notre Algérie et le bien-être de ses habitants.
Pour apprécier correctement la situation actuelle et mesurer l'ampleur des conséquences générées par de tels actes qualifiables, pour le moins, de criminels, il est nécessaire de remonter dans le temps pour donner des éléments probants, susceptibles d'apporter des éclairages utiles. Jusqu'en 1987, les terres relevant du domaine de l'Etat ont été protégées par la Constitution de 1976, toujours en vigueur à cette date, qui stipulait que les terres relevant du domaine national de l'Etat sont insaisissables, inaliénables et imprescriptibles.
Dès l'été 1987, et contre toute attente, (le programme de redressement des DAS en cours, avait donné des résultats positifs palpables) les décideurs de l'époque, en violation de la Constitution, ont décidé de mettre fin au mode d'exploitation des terres du domaine national de l'Etat attribuées aux DAS et de mettre en oeuvre l'opération de leur démantèlement et de leur éclatement en petits groupes d'ouvriers constitués sur des bases subjectives, à savoir, sur le principe de l'affinité et de la cooptation.
Des bull et des bétonnières destructeurs
C'est d'ailleurs dans le sillage de cette opération de démantèlement des DAS que les puissants et leurs serviteurs se sont accaparés, à titre individuel, des meilleures parcelles de terre et ce, sous le regard hagard des désormais ex-travailleurs, transformés comme par enchantement, en producteurs. Ces ouvriers, tétanisés et impuissants devant cette insupportable frustration voyaient que les terres qu'ils avaient protégées courageusement, entretenues, travaillées et irriguées de la sueur de leurs fronts durant 25 années, leur sont retirées pour être attribuées à des parachutés
Et comme un malheur ne vient jamais seul, les évènements tragiques qui avaient ébranlé notre pays depuis la promulgation de la Loi fondamentale sus-citée (les événements d'octobre 1988, la décennie rouge...) avaient constitué un terreau sur lequel avaient prospéré la faune de prédateurs et de spéculateurs. Ces derniers ont détruit à jamais, à coups de bull et de bétonnières, des terres à haut potentiel de production, encouragés en cela, par la non- mise en place des moyens: juridiques, techniques, financiers et humains que requiert la protection de ce patrimoine commun, pourtant stipulée par la Constitution.
Pour situer l'ampleur du désastre,il y a lieu de citer, à titre d'exemple, la destruction et le détournement de vocation du périmètre irrigué, pourtant protégé, du Hamiz transformé durant les années 1990 en une immense et affreuse agglomération. Malheureusement, les exemples de ce type sont légion à travers notre pays balafré et dénaturé par ces prédateurs égoïstes, obnubilés que par le profit immédiat. Force est de reconnaitre aussi, que les ouvriers des ex-DAS convertis en exploitants, individuels ou regroupés en EAC, fragilisés de par la taille des groupes et la divergence des intérêts, cèdent très souvent aux pressions administratives et agissements de ces «vautours» non concernés par le projet majeur de sécurité alimentaire.
IL convient de reconnaître que ces professionnels de la destruction et de détournement de la vocation des terres, aidés en cela par des commis véreux de l'Etat laxistes, continuent à assassiner notre mère nourricière et à faire prospérer leur bisness en toute impunité.
Les éléments à prendre en considération
Les principaux éléments pris en compte pour rédiger cette modeste contribution sont dictés par de multiples considérations d'ordre culturel, philosophique, historique, moral, socio-économique, agronomique et géologique:
-Nos aïeux, à travers nos parents, nous ont enseigné et inculqué durablement que la terre ne nous appartient pas; elle appartient à notre descendance de laquelle nous l'empruntons. Nous n'en sommes que les usufruitiers. Pour eux, une chose empruntée doit être restituée dans un meilleur état; c'est même une question d'honneur! Ils ont su sauvegarder, bichonner et tirer par le travail leur subside de cette terre nourricière. Hommage à nos aïeux!
-La guerre de Libération nationale qui a mis fin au prix d'incommensurables sacrifices à 132 années du colonialisme barbare et destructeur qui avait ruiné notre pays, et permis de mettre fin à la spoliation de nos terres, nous engage individuellement et collectivement à défendre et à protéger ce précieux patrimoine. Et c'est là, l'une des meilleures manières de les honorer et de leur rendre les hommages qu'ils méritent.
-La destruction inconsidérée de la biosphère et des écosystèmes par le capitalisme prédateur mondialisé, pratiquant la monoculture dévastatrice et une démographie galopante font que la planète entière vit présentement à crédit avec des disparités insupportables entre les riches et les pauvres. La dépendance en produits alimentaires et en intrants agricoles de l'étranger, l'usage pernicieux et immoral de l'arme alimentaire menacent notre indépendance. Le changement climatique et la raréfaction de l'eau font que les terres cultivables ne sont pas extensibles à volonté. Ces trois contraintes majeures qui frappent de plein fouet notre économie productive agricole rendent impératives la mise en place de mesures vigoureuses de protection et d'exploitation rationnelle de nos ressources naturelles (terre, eau, matériel végétal) et adaptées à chaque zone de production. Chaque mètre carré doit compter pour assurer la production de l'alimentation de base que la population est en droit, légitimement, d'attendre et freiner du mieux que nous pouvons, les exodes rural et agricole aux conséquences désastreuses.
-La terre est un organisme vivant comparable à un corps humain. Elle est, avec l'eau et l'air que nous respirons, notre mère nourricière qui se doit d'être respectée, aimée et protégée en signe de reconnaissance de ses bienfaits. Les sols à vocation agricole que la nature a mis des millions d'années pour les façonner en biotope et biosphère uniques en leur genre, nous permettent de vivre en harmonie avec la faune et la flore. C'est pourquoi ils ne peuvent moralement être l'objet d'outrage ou de crime contre la nature.
-Le spectacle effroyable qu'offrent au quotidien, au su et au vu de tous, que tout le monde condamne sans bouger le petit doigt, les horribles et dévastatrices constructions réalisées hors zones règlementées, souvent en pleins vergers et périmètres irrigués (le cas du Hamiz transformé en méga espace du commerce informel mode «kaboulien» et pas que, est à ce titre, édifiant) doit nécessairement disparaître à jamais pour laisser place aux productions agricoles (animale et végétale) dont notre pays a grandement besoin.
Les actions à mettre en oeuvre
La Constitution, de même que la oi d'orientation agricole de 2008 en vigueur, stipulent clairement que l'Etat assure l'utilisation rationnelle et protège les terres et également le domaine public hydraulique. C'est là, une évidence et une des missions régaliennes de l'Etat. Traduire concrètement ces dispositions constitutionnelles, suppose de fait, l'élaboration et la mise en oeuvre d'une batterie de mesures; juridiques et réglementaires, techniques et économiques à articuler autour des axes suivants:
-Lutte contre toutes les formes de destruction et de détournement de la vocation de ce patrimoine commun (sol et eau). Cette action primordiale passe indéniablement par la promulgation de l'arsenal juridique et réglementaire qu'elle requiert de manière à mettre fin à l'impunité dont avaient bénéficié jusque-là les prédateurs, les spéculateurs et les destructeurs de ce patrimoine. Il est indéniable que l'éloignement définitif de ces malfaiteurs passe nécessairement par la qualification de crime, tout acte de destruction, de détournement de vocation et de destination du foncier, ainsi que de la ressource en eau. Cela doit être accompagné, par la poursuite et la condamnation à de lourdes peines assorties d'amendes, tout auteur de ces crimes. Il est aussi attendu, un durcissement des procédures de déclassement des terres et de l'eau, actuellement en vigueur.
-Prendre les mesures réglementaires et administratives pour exiger la restitution des terres agricoles relevant du domaine privé de l'Etat accaparées illégalement ou cédées en violation des lois régissant les modes d'exploitation de ce domaine.
-Mettre en place des mesures appropriées de protection des zones touchées par les phénomènes d'érosion (éolienne et pluviale) et des actes de stérilisation des sols, de pollutions de la ressource hydrique et d'incendies, à travers des programmes de développement socio-économiques adaptés à chaque zone à protéger.
-La mobilisation de l'ensemble des compétences nationales et des moyens scientifiques, techniques et technologiques pour élaborer l'atlas des potentialités agricoles et hydriques nationales.
En conclusion, il est aisé d'affirmer que la reconstruction de notre Algérie authentique, digne, fière et généreuse pour laquelle de braves patriotes ont consenti le sacrifice suprême pour la libérer du joug colonial et dont nous rêvons en notre for intérieur, est à ce prix. Tuer la terre est assimilable à un crime contre la nature. Et la promulgation (sous le sceau de l'urgence de la batterie de Lois et textes réglementaires subséquents constitue, à notre humble avis, la pierre angulaire de l'édifice prévu par la Constitution en vigueur, pour protéger notre patrimoine agricole et hydraulique.
* Agronome


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