Algérie

Les "Porteurs" reviennent



Ces porteurs connaissent par coeur leur labeur: décharger les camions de gros tonnage, placer la marchandise dans les étals des commercesLa profession de porteur n'existe dans aucune nomenclature des métiers listés par le ministère du Travail.
Au beau milieu du gigantesque marché de Mdina Djedida, des hommes de tout âge et de toutes couleurs et tailles, se disputant le terrain, bousculent les «péniches» et les visiteurs.
Des dizaines de coursiers, galopent en titubant, dans toutes les directions, portant sur leur dos d'énormes et volumineuses marchandises empaquetées dans des emballages de toutes les couleurs et de différents volumes qu'il faut déposer et ranger à l'intérieur des commerces sans fracas ni dégâts. Même des adolescents se lancent dans cette profession réservée aux hommes au muscle rompu d'activité.
Hier c'était mardi. Malgré la suffocante canicule, le géant marché de Mdina Djedida est, dès les premières heures de la matinée, bondé. Des hommes, des femmes, des adolescents et des enfants viennent de toutes les régions du pays, en particulier de l'Oranie. Chacun a un objectif en tête: faire des achats, les prix appliqués demeurent habituellement accessibles. Même les émigrés s'approvisionnent à Oran, ces dernières années, vu la cherté de la vie en Europe. Tous les produits sont écoulés aussitôt arrivés.
Devant toutes les entrées principales de ce marché, des dizaines d'adultes campent dans leurs bivouacs habituels connus de tous les commerçants.
Pendant que ces dizaines d'hommes attendent l'arrivée des camions à décharger et les sollicitations des marchands, plusieurs de leurs comparses, visages en sueur, sont déjà mis à pied d'oeuvre déchargeant des quantités de paillasses, des vêtements, des pantalons, des sous-vêtements, de produits cosmétiques, des fruits et légumes, des jouets, vélos et tant d'autres objets que l'on ne peut trouver qu'à Mdina Djedida.
La même topographie des lieux est perceptible dans les zones industrielles, commerces de gros et quincailleries implantés un peu partout aux alentours immédiats des communes d'Arzew, Hassi Ameur, Bir El Djir, Es Senia, El Karma, Chtaïbo...etc. Des jeunes, moins jeunes et même des vieux, s'engagent pleinement dans la profession de porteur des produits tous azimuts, produits gras, soja, maïs, farine, bois, ciment, eau minérale, boissons gazeuses et alcoolisées et autres produits parfois toxiques. Ces hommes, si gouvernables, ne contestent jamais les remarques de leurs employeurs circonstanciels et ne s'objectent guère à leurs ordres.
Ils obtempèrent aussitôt leurs services sollicités. «A condition que ça paie sur place», a prié Mohamed Abdelkrim, d'autant que la rentrée scolaire est à quelques encablures. Une fois la besogne terminée, les dockers des marchés et des zones industrielles regagnent aussitôt leur point de départ dans la perspective de se faire appeler pour une nouvelle mission.
Ces porteurs connaissent par coeur leur labeur: décharger les camions de gros tonnage, placer la marchandise dans les étals des commerces, encaisser aussitôt pour ensuite suivre le déferlement des camions et le mouvement des commerçants. Au marché de Mdina Djedida et dans toutes les zones industrielles, tous les porteurs sont connus. A la faveur de plusieurs paramètres, beaucoup de choses ont changé. De nouveaux concurrents viennent chambouler la vie des anciens porteurs en instaurant un nouveau mode d'exercice basé sur les rabais de prix. «Dans le passé, notre équipe gagnait par jour, jusqu'à 20 000 dinars qu'on se partageait», a affirmé Mohamed Abdelkrim déplorant que «depuis l'avènement de ces nouveaux débarqués, les prix sont cassés à telle enseigne qu'on risque que l'on ne fasse plus appel à nos services». Les manutentionnaires des marchés et des zones industrielles, vivent au jour le jour et ne s'opposent plus jamais aux règles fixées à l'avance par les barons des importations avec la complicité des jeunes porteurs arrogants exhibant leurs ligaments.
A la faveur de l'ouverture du marché algérien, des tonnes de marchandises arrivent de partout. Des porteurs il y en a à revendre. Là est toute la question qui préoccupe sérieusement ces hommes qui gagnent difficilement leur pain.
Que faire devant une situation imposée de fait' 2500 dinars est le salaire final à recouvrer contre un déchargement d'une quantité de 20 tonnes de sucre ou un semi-remorque plein de bidons d'huile.
«C'est à prendre ou à laisser, les prix sont ainsi fixés par des jeunes qui n'ont rien à perdre ni à gagner, à part de quoi s'acheter un joint de kif ou une plaquette de comprimés», s'est indigné Mohamed Abdelkrim. La mission de débardage doit être assurée par des équipes de cinq personnes chacune. A chacun des membres, sa tâche. Les deux porteurs, à bord du camion, fournissent les marchandises aux deux autres se trouvant à terre tandis que le 5e place soigneusement les articles à l'intérieur du commerce. Le tout est réglé par une facture honteuse, 500 dinars chacun, soit 100 dinars contre chaque tonne déchargée. «Nous exerçons cette profession jusqu'à la crevaison et personne ne vient défendre nos intérêts, y compris le ministre».
Ce sont là les derniers propos de Mohamed Abdelkrim qui souhaite que le département du travail et de la sécurité sociale, fasse un jour un tour sur les métiers classés au plus bas de l'échelle sociale.
Le travail ne manque pas dans une wilaya qui met les bouchées doubles pour se placer en tant que pôle économique méditerranéen par excellence. Des centaines d'unités de transformation, de fabrication ont vu le jour, ces dernières années.
Les prestataires de services sont, de plus en plus nombreux, tandis que la sécurité sociale demeure la grande absente.
Chacun aura, donc, sa chance de décrocher un boulot, ne serait-ce qu'en tant que saisonnier, mise-t-on localement. «Ce sont des petits jobs qui permettent de subvenir à l'essentiel, mais sans lendemain», a ironisé Mohamed Abdelkrim ajoutant que «rien n'a été fait pour apaiser la hantise des aléas de la vieillesse». La vieillesse est cette étape qui fait peur.
Faute d'emploi sûr et de qualification, des centaines de jeunes se rabattent sur des professions, à la fois ingrates et rudes à exécuter, des métiers qui ne sont pas sécurisants ni dans le présent ni dans le futur. Qu'attendent donc les inspecteurs du travail pour sévir' «La profession de porteur n'existe dans aucune nomenclature des métiers listés par le ministère du Travail, mais les employeurs peuvent prendre à leur compte la couverture sociale de ces porteurs», a indiqué un inspecteur du travail.
Qu'attend donc le ministère du Travail et de la Sécurité sociale pour promulguer un décret exécutif qui définira les règles à suivre par les employeurs aux fins d'assurer à ces porteurs une vie décente et une vieillesse paisible'
Les conditions de travail ne sont pas tout à fait honorables à Oran.
La liste des violations aux règles de travail s'allonge de jour en jour. En effet, les inspecteurs du travail d'Oran ont effectué, en 2017, plus de 4 000 sorties, dont 600 visites inopinées, auprès des entreprises publiques et privées, nationales et étrangères. Plusieurs centaines d'infractions au Code du travail ont été relevées. Près d'une cinquantaine d'entreprises ont été mises en demeure par le biais de leurs employeurs. La non-régularisation sociale, des employés recrutés sans couverture sociale, se taille la part du lion dans les constats relevés par les services locaux du département du ministère du Travail. Le tissu économique, composé de plus de 80.000 opérateurs, est en pleine expansion, ces dernières années.
Et si chacun de ces opérateurs employait au moins un seul travailleur sans le déclarer à la sécurité sociale, quel serait le décompte final des travailleurs sans avenir...'


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