Algérie

Les petits bonheurs du jeudi



Les petits bonheurs du jeudi
Rabah et Saâdia se sont mariés très jeunes. Pas parce qu'ils étaient différents des autres, mais simplement parce qu'à leur époque, on se mariait à cet âge-là. Rien de vraiment exceptionnel, donc. Un mariage traditionnel, dirait-on aujourd'hui, mais de leur temps, il n'y en avait pas d'autre. Les amours finissaient dans le déshonneur, pas dans l'union sacrée pour la vie. Rabah avait dix-huit ans, Saâdia trois de moins. Classique. La femme doit être plus jeune. on ne saura jamais pourquoi mais il y a des questions qu'on ne se posait pas encore. Pour plein de raisons dont la plus importante est qu'il n'y a pas de? raison de s'encombrer d'interrogation.C'était ainsi, pour le mariage et pour plein de choses encore : on ne s'encombre pas d'interrogations quand on a des certitudes. Rabah était maçon et Saâdia une femme. Etre femme n'est pas un métier mais personne ne parle de métier en parlant d'une femme, c'est une destinée. Il avait repris le marteau et le fil à plomb d'un père qui en avait hérité de son grand-père.Il paraît qu'à eux deux, ils avaient construit toutes les maisons des villages situés sur tout le territoire visible de la région, jusqu'à la colline qui cache le reste du pays local. Un horizon bien dérisoire aujourd'hui, mais à l'époque c'était une immensité territoriale. Saâdia et Rabah étaient cousins, on a décidé de les marier et il ne pouvait pas en être autrement. Rabah avait hérité du marteau et du fil à plomb, Saâdia de la soumission résignée. Elle n'a jamais aimé Rabah parce que toute petite, il la battait. Rabah n'a jamais aimé Saâdia, sinon il ne l'aurait pas battue. Mais personne n'a parlé d'amour, il faut faire des enfants. Les enfants ne venaient pas.La mère de Saâdia a rendu visite à tous les saints et tous les charlatans du coin pour donner un bébé à sa fille. La mère de Rabah a fait le tour des mêmes saints et charlatans pour que Rabah divorce de cette fille forcément stérile. Ce sont les hommes qui procréent quand les enfants viennent.Ce sont les femmes qui sont stériles quand ils ne viennent pas. On ne refait pas le monde quand le monde est confortable. Les saints, les sorcières et les diseuses de bonne aventure ne donnent pas de grossesses mais ils peuvent donner des divorces. C'est-à-dire ce qu'on veut et ce qu'on peut obtenir à l'usure. Rabah a été travaillé au corps mais il n'en avait pas vraiment besoin. Seule une petite gêne insondable l'avait empêché de céder aux premières tentatives.Il a quand même cédé et Saâdia n'avait pas d'autre choix que d'accepter son sort. Elle n'était pas particulièrement attachée à son mari de cousin mais un divorce est toujours une humiliation. A vivre dans la honte du rejet et le désespoir de terminer sa vie comme un boulet pour sa mère, son père et sa fratrie. Difficile de refaire sa vie à cette époque, après un divorce. Encore plus dur quand on vous colle déjà l'immonde réputation d'être inféconde. Rabah s'est rapidement remarié. Saâdia a mis un peu plus de temps.Ne voyant pas venir l'enfant espéré, il a encore divorcé. et plus rapidement que la première fois, il a pris une troisième épouse. Facile pour un homme. C'est lui qui répudie et ce n'est jamais lui le stérile. Rabah a terminé sa vie dans une horrible solitude. Aucune femme ne voulait plus de lui parce que Saâdia a eu quatre enfants de son second mariage. A l'époque, les gynécologues n'existaient pas mais il arrivait que le temps livre de bons diagnostics.Slimane Laouari




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