Algérie

«Les patrons du CAC 40 de demain sont dans les cités»



«Les patrons du CAC 40 de demain sont dans les cités»
Elue socialiste de Paris, Bariza Khiari, vice-présidente du Sénat depuis 2011, est depuis un mois première vice-présidente du Sénat.-Comment réagissez-vous à la dénonciation par Zaïr Kedadouche, ancien ambassadeur à Andorre, des discriminations dont il a affirmé avoir été victime dans l'exercice de sa mission 'Sur l'affaire Kedadouche, je ne me prononce pas parce que je ne connais pas les faits. Mais ce n'est pas nier la problématique des discriminations, c'est un vrai sujet. La France est un pays de droit et si M. Kedadouche produit des faits, les discriminations étant maintenant reconnues, il lui sera fait justice. En revanche, je sais que Laurent Fabius, patron du Quai d'Orsay, n'est pas quelqu'un qui couvrirait son administration sur des questions de discriminations.Lorsque j'ai écrit ma première contribution «Luttons contre les discriminations au sein du Parti socialiste» au congrès de Dijon, en 2003, Laurent Fabius en a été le premier signataire.Il est particulièrement sensible à ces questions. Je sais que plusieurs personnes issues de l'immigration lui doivent beaucoup, car elles ont pu accéder à la haute administration. Ce qui compte pour lui, c'est l'engagement et les compétences des gens. Toutefois, le fait qu'un ambassadeur pose ces problématiques sur la place publique n'est pas neutre. Cela renvoie en écho à des souffrances de personnes qui se sentent ou sont discriminées. De même quand Azouz Begag s'est exprimé dans son livre Le mouton dans la baignoire sur ce qu'il avait vécu avec Brice Hortefeux.-Où en est-on dans les partis politiques sur la diversité 'La question de la diversité des parcours a mis du temps à s'installer dans les partis politiques. Les processus d'évitement pour la diversité ont été les mêmes que pour les femmes, parce qu'il y a très peu de place. C'est une lutte serrée. Le PS s'est engagé, depuis le congrès de Dijon, à ce que, sur toutes les listes électorales, il y ait des candidats issus de la diversité. De nombreux progrès ont été réalisés, ce n'est pas tellement perceptible parce que cela ne se situe pas encore au niveau national, mais dans toutes les mairies, régions et collectivités locales détenues par le PS, il y a des gens issus de la diversité et de l'immigration et même dans les Exécutifs, comme à Paris (sous Delanoë, il y en avait quatre). C'est la meilleure manière de procéder, une expérience locale est indispensable si l'on veut aller plus loin.-Est-ce que pour le PS, ce n'est plus une priorité 'C'est entré dans les m?urs du parti. La preuve, aux dernières législatives, Martine Aubry a fléché des circonscriptions pour des candidats issus de la diversité qui ont fait leur entrée à l'Assemblée nationale. Il reste que ces candidats doivent faire le même parcours que les autres. C'est peut-être plus difficile, mais c'est possible.-Qu'en est-il des discriminations dans le monde économique sur le plan de l'emploi, de la promotion sociale 'Nous sommes en période de crise et, dans ces situations, les entreprises ne prennent pas de risques. Elles recrutent des profils qu'elles connaissent déjà, il y a une forme de conservatisme. Comme il n'y a pas beaucoup de diplômés des grandes écoles issus de la diversité, ils sont moins présents. Mais quand ils sont présents, ils sont brillants. En tant que marraine de«Talents des cités», tous les ans au Sénat, je me rends compte que les jeunes qui présentent des dossiers ont fait des études sérieuses et, normalement, c'est la porte des entreprises qui devrait leur être ouverte. Ils envoient des CV mais reçoivent très peu de réponses, ou souvent des réponses négatives. Je pense que les patrons du CAC 40 de demain sont dans les cités parce qu'ils sont dos au mur et qu'aujourd'hui, c'est la créativité qui prime et ils sont créatifs.-Est-ce que vous considérez que les manifestations de racisme et de rejet touchent plus particulièrement les Maghrébins 'Je dirais plus généralement les musulmans parce que, pendant dix ans, on a eu affaire à une forme d'islamophobie d'Etat. Sarkozy a distillé dans le corps de la nation française une islamophobie d'Etat. Rappelez-vous le fameux ministère de l'Identité nationale ! Ce sont les préfets qui ont été chargés d'organiser les réunions pour les débats sur l'identité nationale qui n'étaient rien d'autre que des défouloirs racistes.Depuis, l'immigré s'est transformé en musulman. Ce passage de l'immigré au musulman change le regard et cela touche maintenant même ceux qui sont en France depuis plusieurs générations.-Comment contrecarrer cette stigmatisation ' Comment banaliser le musulman 'En montrant que le musulman est quelqu'un comme tout le monde, que sa religion est une religion de paix et que les quelques-uns qui veulent nous faire croire le contraire sont des gens qui font du mal d'abord aux musulmans. Les musulmans de France ne sont pas dans des solidarités absurdes vis-à-vis des brebis galeuses, ceux qui ont la haine d'eux-mêmes et qui n'hésitent pas à tuer. Cela a bien été compris par l'Exécutif actuel qui n'arrête pas de dire attention aux amalgames.-Est-ce suffisant de dire pas d'amalgame ' Que faut-il faire 'D'abord, il faut que les promesses soient tenues. On avait promis à tous nos concitoyens l'inversion de la courbe du chômage et l'amélioration du pouvoir d'achat, malheureusement, la conjoncture n'a pas permis cela. Mais on avait promis aux gens issus de l'immigration le vote pour tous, des mesures contre le contrôle au faciès, des politiques publiques de lutte contre les discriminations, des nominations sur la base de compétences avérées, ils n'ont rien eu de tout cela. Donc, il y a une défiance de la part de cette communauté.-Qui a voté en majorité pour le candidat Hollande 'Evidemment. Le Cevipof a fait une étude montrant nettement que le vote dit musulman représentait 5% des inscrits à la présidentielle (ce qui est important) et un survote pour la gauche de 30 à 40% par rapport à la moyenne nationale. Ce qui a permis à François Hollande de l'emporter sur Nicolas Sarkozy. La fondation Jean Jaurès a fait une note en disant que les musulmans sont d'une certaine manière conservateurs sur les questions de société et très progressistes sur les questions sociales. Ne sachant plus pour qui voter aux municipales, ils ont fait des listes dites citoyennes, recueillant de 5 à 14% et cela a décimé la gauche, notamment en Île-de-France, dans ses bastions historiques.-Ce constat fait-il réfléchir l'Exécutif 'Moi, j'ai un devoir d'alerte, j'ai rempli ma mission en écrivant une tribune qui analyse ce vote et je continue à participer au débat pour tenter d'éclairer et de prévenir. Maintenant, il appartient à la classe politique de se rendre compte que cet électorat est important et le deviendra de plus en plus, car il a compris que cela ne sert à rien de brûler des voitures, il a surtout compris la portée du bulletin de vote. Dès lors, il faudra bien que la classe politique intègre que la grande majorité est pour la primauté de la citoyenneté sur l'identité. C'est une chance à saisir !-Que vous donne votre position de parlementaire comme possibilité d'agir 'J'ai écrit, pour les services de la prospective qui sont rattachés au Premier ministre, une contribution (lisible sur le site duSénat) : Quelle France dans dix ans ' dans laquelle j'aborde toutes ces questions. Après les résultats des municipales, je ne pouvais pas rester les bras ballants, j'ai fait paraître un texte dans Médiapart intitulé De quoi le vote musulman est-il le nom ' Nous avons organisé au Sénat une journée entière à l'occasion de l'anniversaire de la Marche pour l'égalité. Sur la question de l'islam, j'ai parrainé un colloque sur «L'islam des lumières». Jamais je n'abordais les questions liées au culte et je me suis rendue compte que d'autres parlaient pour moi. Puisque j'ai une position qui me permet de dire les choses, aujourd'hui je dis clairement que je suis «farouchement républicaine et sereinement musulmane».La communauté nationale a besoin d'une vision paisible du musulman et surtout d'une parole. J'ai été obligée de sortir du bois par rapport à ces questions parce que je ne pouvais pas me laisser enfermer dans ce qui pouvait être dit au sujet de l'islam. S'agissant de mon travail de parlementaire, outre mon travail sur les questions économiques et culturelles, j'ai présenté des propositions de loi sur les emplois fermés, sur les stéréotypes dans les médias, sur le CV anonyme, sur la suppression de la fameuse circulaire Guéant qui touchait les étudiants étrangers? Quand l'ordre du jour s'y prête, je m'exprime bien évidemment sur ces questions.




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