Algérie

Les paniers percés 5 millions de pains aux ordures tous les matins



Kamel Amghar

L'Algérie produit, chaque jour, quarante à quarante-cinq millions de baguettes de pain pour sa propre consommation. Cinq millions d'unités finissent quotidiennement dans les poubelles. Ces chiffres effrayants, récemment communiqués par le premier responsable de l'Ugcaa (Union générale des commerçants et artisans algériens), se référent à des études et des enquêtes fiables. Il ne s'agit pas d'une blague : les Algériens jettent, bel et bien, 5 millions de pains aux ordures tous les matins. Eux qui importent la quasi-totalité de leur blé ! Le geste, en lui-même, traduit déjà une faillite morale avant de constituer un grand gâchis économique. Jeter de la nourriture est acte répréhensible dans la culture algérienne. Jadis, les restes de table sont automatiquement recyclés dans la cuisine et servent d'ingrédients à d'autres plats savoureux. Même les épluchures des fruits et légumes sont intégrées à l'alimentation de bétail. Les gens avaient, alors, une grande considération pour les métiers de la terre et éprouvaient un grand respect envers les paysans qui les nourrissent. Jeter du pain aurait été perçu comme le comble du mépris, de l'ingratitude et de l'irrévérence. La religion musulmane sacralise aussi la nourriture, présentée dans le Coran comme un bienfait de Dieu à ses créatures. Nul n'a, donc, le droit de dédaigner le merveilleux cadeau divin. Que s'est-il passé pour que les Algériens perdent ainsi, en si peu temps, leur savoir-vivre. Non seulement, ils gaspillent 5 millions de pains, mais une bonne proportion de ce pain est jetée, comble du sacrilège, à l'égout. Une piste à bien explorer pour expliquer les pannes et les dysfonctionnements récurrents de nos stations d'épuration. Le pain étant subventionné en Algérie. Le contribuable paye trop cher l'incivisme et l'inculture du consommateur. La baguette revient, à peu près, à 10 DA. Conclusion : on perd quotidiennement 5 milliards de centimes en rebus de pain. Mais dans nos poubelles, il n'y a pas que le pain. Il y a aussi du lait, des gâteaux, du couscous, des fruits et que sais-je encore. Les responsables de l'Ugcaa estiment, et à juste raison, que ce mauvais mode de consommation des Algériens est pour beaucoup dans la flambée des prix de l'alimentation de base. Les associations de consommateurs multiplient les actions de sensibilisation sur cette question, mais sans grand résultat. Malek Seraï, un expert qui a beaucoup travaillé sur cette question du gaspillage de pain, croît, quant à lui, que le fléau résulte «d´une problématique sociale, éducative et économique qu´il est impératif de traiter à travers l´introduction de nouveaux concepts dans les modes d´alimentation». On nous apprend, par ailleurs, que les familles aisées sont responsables de plus de 70% du gaspillage. Il s'agit, en définitive, d'aller expliquer aux riches comment rationaliser leurs dépenses pour ne pas nuire aux intérêts vitaux des démunis. Pour commencer, on doit peut-être penser à élaborer un mécanisme pour que la subvention de l'Etat aille exclusivement aux pauvres. Ensuite, dans le cadre de la solidarité nationale, on doit aussi songer taxer les grandes fortunes pour un partage plus équitable des revenus. Les «paniers percés» comprennent davantage le langage qui interpelle leur porte-monnaie. En bref, on doit tout faire pour changer cela. C'est une honte, pour l'Algérie toute entière, de jeter chaque matin 5 millions de pains aux poubelles. Du pain que d'autres ont produit pour nous !
K. A.


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