Algérie

LES «OUBLIS» DE L'HISTOIRE OFFICIELLE


Par Farid Ghili
L'écriture de l'histoire doit non seulement répondre aux exigences du devoir de mémoire, pour la préserver de l'amnésie, mais également, réprouver aussi bien l'extrême obligeance, que le désinvolte vide de l'accommodante omission.
Or, force est de reconnaître que l'histoire officielle telle que consacrée dans les manuels scolaires et les médias publics ne semble pas encore prête à restituer les morceaux ignorés ou sous-estimés de la mémoire multiséculaire de notre pays (une incontestable entité géopolitique aux différentes dénominations, au gré de ses variations spatiales plurielles, n'en déplaise aux gesticulateurs résurgences, toujours prêts à sortir leurs griffes et leurs crocs, lorsqu'il s'agit de l'Algérie. Le hasard et les contingences ont permis à des béotiens en la matière, introduits en sous-main, dans les rouages du centre de pilotage, de mettre en place un système de déni et d'inexactitudes, pour faire plaisir, comme des scribes servants à leurs tutélaires, en revissant complaisamment* l'histoire, selon une grille de lecture exclusive, donc forcément décoratrices. Partant, comment expliquer que d'illustres personnages ayant marqué positivement l'histoire de notre pays**, ont été dévalorisés à cause d'une problématique qui relève manifestement d'une conception réductrice de l'histoire, souvent confondue avec l'idée de morale ; ce qui dénote le peu de résistance aux assauts de la tentation simplificatrice, de juger au lieu de comprendre.
L'histoire antique occultée
Au sein de cette histoire, une séquence, qui se place à la charnière de l'avènement de l'islam en Afrique du Nord, correspondant aux périodes d'occupation romaines, vandales et byzantines, est manifestement sous-estimée par l'historiographie officielle. Comme si l'histoire antique, pourtant matrice de la résistance aux occupants successifs, était périmée et qu'il y avait lieu, dès lors, de la faire disparaître dans le néant de l'oubli. En parcourant l'espace public algérien, j'ai été apostrophé par mon camarade Esprit Curieux, sur l'absence de référant à nos ancêtres de la période antique, qui n'ont été honorés que peu ou prou de cette reconnaissance posthume, dont l'histoire ancienne est moralement redevable à ses enfants. Quels sont les lieux publics, localités, rues ou places qui ont eu l'estime d'être le toponymie d'un de nos héros ou personnalités de l'Antiquité***, natifs de ces territoires qui formeront plus tard un vaste et magnifique pays : l'Algérie. Très peu, trop peu. Mais paradoxe busque, la présence pérennise au fronton de certains édifices des plaques toponymiques honorant avec une insolente audace des individus militaires et (pro)colonisation ou des égrènements relatifs à la période d'occupation française, comme si elles voulaient narguer de leur hauteur anachronique notre histoire qui tarde à s'affranchir. Que les occupants français n'aient pas cru bon distinguer les gloires autochtones peut se concevoir, mais que cette impéritie provienne de compatriotes est profondément déplorable. Non seulement nos livres d'histoire les ignorent totalement, ou au mieux les traitent de manière incongrue, mais par dessus le marché, l'espace public leur est chichement prêté.
Massinissa, Syphax, Jugurta, Tacfarinas
Si les noms des célèbres Aguellids, Massinissa, Syphax, Jugurta et Tacfarinas, sont avantageusement connus du plus grand public et ont eu droit à une plaque mémorielle dans un vague lieudit ou une ruelle, grâce à la notoriété transmise par les ouvrages retraçant la recognition des mouvements insurrectionnels, contre l'ordre établi en Afrique du Nord durant l'Antiquité, en revanche, d'autres ne trouvent place que dans le catalogue poussiéreux des figures méconnues, à l'image de Firmus, instigateur de soulèvements séditieux contre les Romains et s'empara d'Icosium, succédant à son frère Gildon qui mena auparavant une imposante rébellion, ou encore l'obscur Macrin, fils de modestes cultivateurs indigènes des environs de Caeserea (Cherchell) qui devint empereur de Rome, et combien d'autres qui n'ont pas eu droit à une reconnaissance digne de leur éclatant cheminement historique. A croire que l'Histoire et plus généralement la culture**** ne sont d'aucune utilité pour notre jeunesse, souffrant bruyamment d'un sérieux manque de repères socioculturels et identitaires. L'accord de la pertinence avec l'histoire, qui est logiquement celle des historiens professionnels, appelle à être perfectionné. Nous croyons à la résilience de cette élévation reposant opportunément sur la nouvelle génération de chercheurs qui s'inscrivent dans une exploration approfondie de l'histoire, marquant ainsi une rupture avec les paradigmes éculés. En attendant, accrochons-nous à ce TRAIN DE L'HISTOIRE (qui) A LAISSE TAREQ AU BORD DU CHEMIN.
Notes :
* «L'histoire étant la mémoire et le patrimoine commun de tous les Algériens, nul n'a le droit de se l'approprier et de l'instrumentaliser à des fins politiques. Il appartient donc à l'Etat d'assurer la promotion de son écriture, de son enseignement et de sa diffusion.»
** Dans cet esprit, j'ai fait appel à la bienveillance de Ibn Khaldoun, Mouloud Gaïd, Mahfoud Kadache, Abdelaziz Ferrah et d'autres historiens dont les écrits sont dilués dans ma mémoire
*** Ce sujet a été circonscrit volontairement à la période antique uniquement, mais il pourrait s'appliquer a fortiori aux périodes médiévale, musulmane, moderne et contemporaine, qui n'ont pas, de mon point de vue, suffisamment rendu justice à des ancêtres prestigieux, à l'exemple de Tarek Ibn Ziad (Zian) Nefari originaire de Biskra, qui à la tête de 12 000 cavaliers a conquis l'Espagne, pour propager l'islam, dont seule une petite localité au pied des monts de l'Ouarsenis porte son nom, au demeurant orthographiée Tarik, comme si on voulait signifier que ce village incarne la voie à suivre. Gageons qu'un «imagineur» plus optimiste aurait ajouté un H, ce qui aurait constitué un véritable piedde- nez à l'histoire (Tarikh).
**** Un exemple que beaucoup de personnes ont eu à constater : en de nombreux endroits publics, on observe des canons tête enfouie dans le sol, comme l'autruche, symbolisant la défaite humiliante des Ottomans face aux forces françaises. 50 ans après l'indépendance, ne serait-il pas temps de leur relever fièrement la tête, en suivant cette intimation porteuse d'espoir, à l'adresse d'un peuple moult fois exsangue : «Erfaâ Rassek... »
F. G.
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