Le président de la République, lors de sa rencontre avec la presse nationale le 8 août 2021, a indiqué sa volonté d'ouvrir le capital des entreprises publiques y compris les banques au secteur privé, condition de l'instauration d'une économie de marché productive à finalité sociale, loin de tout monopole qu'il soit public ou privé, source de surcoûts et d'inefficacité économique et sociale. L'ouverture du capital des entreprises publiques qui est une privatisation, une cession d'actifs, il ne faut pas avoir peur des mots,, à ne pas confondre ni avec le partenariat public privé PPP, ni avec la dé monopolisation, inséparable des réformes structurelles, répond à de nombreux objectifs qui ne sont pas tous compatibles et qu'il convient de hiérarchiser dans la formulation d'un programme cohérent, avec des objectifs clairement définis. Ainsi, la réussite de ce processus complexe et éminemment politique implique de lever onze contraintes: Premièrement, les filialisations non opérantes par le passé dont l'objectif était la sauvegarde du pouvoir bureaucratique. Or, c'est le fondement de la réussite tant de l'ouverture partielle du capital que d'une privatisation totale.Une banque à risque
Deuxièmement, le patrimoine souvent non défini pose la problématique de l'inexistence des titres de propriété fiables sans lesquels aucun transfert de propriété ne peut se réaliser. Un exemple en 1998-1999, pour l'hôtel El Aurassi les 50% du terrain n'étaient pas comptabilisés et cela s'appliquait à bon nombre d'unités publiques qui avaient accaparé des terrains annexes sans l'aval des Domaines, Qu'en est-il aujourd'hui' Dans ce cadre, lors des avis d'appel d'offres, en 1998, bon nombre de soumissionnaires, à des fins spéculatives, étaient beaucoup plus intéressés par le patrimoine immobilier des entreprises publiques surtout dans les grandes agglomérations, que par l'outil de production.
Donc le transfert de propriété, dans la transparence , évitant le bradage du patrimoine national suppose un système domanial numérisé à travers les wilayas, où plus de 50% des habitations n'ont pas de titres de propriété avec une urbanisation anarchique, et donc ne payant pas l'impôt foncier, pouvant conduire à des malversations lors de l'attribution de logement sociaux.
Troisièmement, les comptabilités défectueuses de la majorité des entreprises publiques et des banques, (la comptabilité analytique pour déterminer exactement les centres de coûts par sections étant pratiquement inexistantes, rend difficile les évaluations d'où l'urgence de la réforme du Plan comptable actuel inadapté. rendant encore plus aléatoire l'évaluation dans la mesure où le prix réel de cession varie considérablement d'année en année, voire de mois en mois, de jour en jour en bourse par rapport au seul critère valable, existant sur le marché mondial de la privatisation où la concurrence est vivace.
Quatrièmement, la non-préparation de l'entreprise à la privatisation, où certains cadres et travailleurs ont appris la nouvelle dans la presse, ce qui a accru les tensions sociales. Or, la transparence est une condition fondamentale de l'adhésion tant de la population que des travailleurs à l'esprit des réformes.
Cinquièmement, la non-clarté pour la reprise des entreprises pour les cadres et ouvriers supposant la création d'une banque à risque pour les accompagner du fait qu'ils possèdent le savoir-faire technologique, organisationnel et commercial où la base de toute unité fiable doit être constituée par un noyau dur de compétences.
Sixièmement, la résolution des dettes et créances douteuses, les banques publiques croulant sous le poids de créances douteuses et la majorité des entreprises publiques étant en déficit structurel, endettées, surtout pour la partie libellée en devises sans un mécanisme transparent en cas de fluctuation du taux de change. Pour ce cas précis, l'actuelle politique monétaire instable ne peut encourager ni l'investissement productif ni le processus de privatisation où la LF2 2021 fait les projections de 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023 avec une accélération pour 2024 sans dynamiser les exportations hors hydrocarbures. Avec le dérapage accéléré du dinar et l'inflation, comment voulez-vous qu'un opérateur, avec cette instabilité monétaire, investit à moyen long terme sachant que la valeur du dinar va chuter d'au moins 30/50% sinon plus dans deux à trois années; expliquant l'extension de la sphère informelle avec des actions spéculatives, achat de devises et de produits durables qui connaîtront une flambée à terme, plus rentable qu'un projet.
Un cadre juridique
Septièmement, les délais trop longs avec des chevauchements de différents organes institutionnels entre le moment de sélection de l'entreprise, les évaluations, les avis d'appel d'offres, le transfert, au Conseil des participations, puis au Conseil des ministres et la délivrance du titre final de propriété ce qui risque de décourager tout repreneur, car en ce monde, les capitaux vont s'investir là où les obstacles économiques sont mineurs, le temps étant de l'argent.
Huitièmement, la synchronisation doit être clairement définie permettrait d'éviter les longs circuits bureaucratiques et revoir les textes juridiques actuels contradictoires, surtout en ce qui concerne le régime de propriété privée, pouvant entraîner des conflits interminables d'où l'urgence de leur harmonisation par rapport au droit international. Les répartitions de compétences devront être précisées où il est nécessaire de déterminer qui a le pouvoir de demander l'engagement d'une opération de privatisation, de préparer la transaction, d'organiser la sélection de l'acquéreur, d'autoriser la conclusion de l'opération, de signer les accords pertinents et, enfin, de s'assurer de leur bonne exécution.
Neuvièmement, le transfert de propriété via la Bourse suppose un système financier performant (les banques étant actuellement de simples guichets administratifs) et donc une bourse connectée aux Bourses mondiales alors que nous assistons à la léthargie de la Bourse d'Alger depuis sa création où les grands groupes tant publics que privés ne sont pas cotés en Bourse. C'est que l'ouverture du capital au moyen de la Bourse implique plusieurs conditions: la résolution des titres de propriété qui doivent circuler librement segmentés en actions ou obligations, impliquant la délivrance de titres de propriété et des comptabilités claires et transparentes calquées sur les normes internationales par la généralisation, les audits et de la comptabilité analytique, afin de déterminer clairement les centres de coûts, pour les actionnaires. Cela pose la problématique de la refonte du système comptable et de l'adaptation du système socio-éducatif, pour de véritables bureaux d'études d'engineering financier presque insistants comme le démontre les sorties de devises du poste services au niveau de la balance des paiements entre 10/11 milliards de dollars par an entre 2010-2019 et plus de 6 milliards de dollars selon le FMI pour 2021, reflet de l'exode de cerveaux qui devient inquiétant, une société sans son élite étant comme un corps sans âme.
Dixièmement, il s'agit de définir le choix des méthodes utilisées pour une économie de marché concurrentielle, qui pose la problématique de l'adaptation du cadre juridique et du rythme que l'on veut imprimer aux réformes, fonction de la volonté politique, les organes techniques étant souvent ballottés par des rapports de forces contradictoires. Certains Etats de l'ex- camp communiste en transition vers l'économie de marché n'ont pas privatisé les entreprises publiques, les soumettant au régime concurrentiel mais dé-monopolisé c'est- à- dire, encourager l'investissement privé productif nouveau supposant une réorientation de l'allocation des ressources financières. La majorité a privilégié les transferts de propriété, c'est-à-dire des cessions partielles ou totales et enfin nous avons des politiques sans transfert de propriété: pour les grandes entreprises, où l'Etat confie au secteur privé national, étranger ou mixte, la gestion de ces entreprises, mais renonce dans l'immédiat à en céder la propriété.
Onzièmement, l'ouverture du capital des entreprises publiques doit tenir compte des engagements internationaux de l'Algérie qui prévoient des dégrèvements tarifaires progressifs, et donc analyser les impacts de l'Accord d'association avec l'Afrique, le Monde arabe, et de l'Accord de libre- échange avec l'Europe, toujours en négociations pour certaines clauses, pas de modification de l'Accord cadre, pour un partenariat gagnant-gagnant, qui ont des incidences économiques sur les institutions et les entreprises publiques et privées qui doivent répondre en termes de coûts et qualité à la concurrence internationale.
Transfert de propriété
En résumé, soyons réalistes, la rente des hydrocarbures sera pour longtemps, la principale société pourvoyeur de devises où faute de profondes réformes, il est utopique d'attirer tant d'IDE et de canaliser le capital-argent de la sphère informelle. D'où l'importance de lutter contre la bureaucratie néfaste, produisant la sphère informelle et la corruption paralysant toute l'économie. La relance socio-économique en 2022 doit reposer sur le développement des libertés, et de la tolérance des idées contradictoires, pas le dénigrement,, ciment de la cohésion et de l'unité nationale, condition du retour à la confiance afin de libérer toutes les énergies créatrices loin des relations régionales et de clientèles, privilégiant les compétences et l'intégrité morale pour éviter une société décadente minutieusement analysée par Ibn Khaldoum. Avec les tensions géostratégiques au niveau de la région et les tensions budgétaires, il faut que les responsables politiques à tous les niveaux, se présentent avec la modestie qu'exigent l'imaginaire et le mental algérien sans tomber dans le populisme médiatique qui est contreproductif. Car la fonction ne doit pas être un privilège pour se servir mais une lourde mission pour servir la nation. Aussi, sans un retour à la confiance, impliquant la bonne gouvernance, un système de communication officiel transparent et des stratégies d'adaptation au nouveau monde en perpétuel changement, il ne faut pas être utopique, point de développement avec des conséquences dramatiques sur le plan socio-économique et sécuritaire.
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Posté Le : 13/03/2022
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Abderrahmane MEBTOUL
Source : www.lexpressiondz.com