Algérie

Les oiseaux de l'été


Les oiseaux de l'été
«La coutume, cette loi non écrite. Dont le peuple, même aux rois, impose le respect.» Charles d'AvenantLa fin de l'été s'annonce doucement par des nuits d'une étonnante douceur. La saison des figues fraîches bat son plein. C'est le moment que choisissent les oiseaux de l'été pour revenir au village natal. Certains accomplissent ce voyage comme un pèlerinage. Ils viennent non pas pour se reposer seulement ou retrouver la chaleur caniculaire qui agit comme un couvre-feu durant une bonne partie de la journée, mais aussi pour accomplir les divers rites immuables qui rythment la vie des montagnards.Au village, Salah a une bonne réputation. Il n'en a pas été toujours ainsi, puisqu'il a été absent durant une quarantaine d'années. Travaillant en France, il ne venait qu'en été, le plus souvent à la saison des figues fraîches, quand le petit village revivait, le temps des grosses chaleurs, grâce au retour de la plupart de ses enfants, exilés malgré eux. Salah ne revenait que pour marquer sa présence au sein de la djemaâ, histoire d'occuper la place qui est la sienne au sein du clan. Il passait ses congés à consolider son patrimoine, à continuer une construction entamée depuis longtemps, refaire des clôtures et s'entretenir avec ses cousins sur la gestion de son patrimoine durant son absence. Car Salah était un grand malin, il avait pris soin, dès la consommation du mariage de prendre sa cousine avec lui pour le meilleur. Sage décision, il savait qu'ainsi, non seulement il aurait toujours le soutien moral dont il avait besoin, mais aussi qu'il bénéficierait de la couverture sociale dont bénéficiaient tous les travailleurs sérieux de France et de Navarre. Quand les enfants arrivèrent, les allocations familiales et l'attention des services sociaux gonflèrent substantiellement leurs revenus.Maintenant, la retraite arrivée, lui et son épouse pouvaient savourer le bien-fondé de leur décision. Leur situation matérielle était si enviable que la plupart des familles cherchaient à s'allier à la leur, ne serait-ce que pour la carte de résidence dont jouissaient Salah et ses enfants. Il venait, ainsi, tous les jours à la djemaâ goûter à cette considération.C'était des «Aâmmi Salah» par-ci, des «Da Salah» par-là. Il n'y avait pas une «Fatiha» où il n'était pas convié. Il apportait une note d'honorabilité à toutes les cérémonies organisées. Mais ce que préférait par-dessus tout Salah, c'était de s'asseoir à la djemaâ, à l'ombre des figuiers que son père Mhend avait plantés quelque soixante-dix ans auparavant pour donner, disait-il, un peu de fraîcheur à cette place nue qui faisait face à la fontaine principale.Les vieux restaient toute la journée là, devisant entre deux crachats d'une chique épaisse et contemplant le spectacle des lavandières actives. Un spectacle non dénué d'arrière-pensées. D'ailleurs, c'est grâce à l'initiative de Salah que la toiture de la fontaine a été refaite. Durant les années 1970, des vieux, sans sens esthétique, l'avaient recouverte d'une chape de béton pour remplacer la toiture aux chevrons vermoulus. Salah a réuni les fonds nécessaires pour redonner à la fontaine sa toiture de tuiles rouges. Quand le travail fut achevé, une «timechret» fut organisée, six grands boeufs furent égorgés et dépecés à l'ombre du grand frêne qui domine le village. Ainsi entendu et Salah avait donné l'exemple.A présent, Salah, dont la compagnie était recherchée, n'avait qu'un seul désir: finir comme son père Mhend qui, sa retraite prise, se levait tôt pour faire une courte visite à ses champs, dans la fraîcheur matinale, puis revenait à la maison se reposer. Ce rite immuable dura jusqu'au jour où...Mais ceci est le destin de tout un chacun.


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