Algérie

Les noms des hommes et les noms des lieux



Les noms des hommes et les noms des lieux
«Le nom grandit quand l'homme tombe.» Victor Hugo Les monuments sont faits pour les hommes debout» Kurzas
L'enterrement d'un grand homme est toujours l'occasion de voir des hommes qui ont ou ont eu de grandes responsabilités dans les affaires de l'Etat à participer à cette grande communion de fraternité humaine: des ministres en exercice, des anciens ministres en retraite ou à l'affût d'un nouveau poste, des cadres authentiquement intègres comme ceux qui ont eu à trainer des casseroles, des intellectuels, des militants de tous les bords et de toutes les sensibilités, des amis égarés dans l'anonymat des grandes villes à la recherche d'un visage familier ou de l'inflexion d'une voix qui s'est tue, des anciens résistants venus retrouver un peu de leur jeunesse, des religieux, des mécréants, des hommes bien-pensants, des pas pensants du tout, des journalistes à la recherche d'un scoop ou d'une interview qui fera mouche, des amateurs de la paix des cimetières, des amis du défunt, des proches, de simples patriotes venus rendre un hommage muet à un autre patriote de plus grande taille... Il faudrait un Prévert pour faire l'inventaire des qualités des hommes et des femmes venus accompagner à sa dernière demeure Pierre Chaulet. Dans cette foule bigarrée où se mêlent toutes les couches d'une société en voie de formation, il est cependant deux choses remarquables: l'unanimité de tous envers le combat que mena dans la plus grande humilité, le disparu et l'injustice criante dont souffrent les parents d'autres disparus pour la cause nationale. Je m'explique. De tous les martyrs de la cause nationale, il faut distinguer deux catégories: ceux qui ont eu droit à une sépulture digne, conforme à leur statut et à leur foi et ceux qui n'ont pas eu droit à une tombe parce qu'ils sont morts dans des conditions troubles. C'est le cas de Maurice Audin dont le cadavre a été séquestré par ses bourreaux (tout comme les dépouilles d'Amirouche et de Haouès) quelque part entre Dunkerque et Tamanrasset, et Abane Ramdane qui a été inhumé dans la clandestinité par ses assassins, pour ne citer que des exemples célèbres. L'autre injustice et c'est la plus flagrante est la reconnaissance du sacrifice de ces hommes par les autorités: cette reconnaissance se manifeste, outre par une attestation officielle et une pension aux ayants droit, par la dénomination d'un lieu public en rapport avec l'activité antérieure du martyr. Et c'est là justement que beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte: l'origine du martyr et sa sensibilité politique. Si Maurice Audin, jeune militant communiste a pu bénéficier à la faveur de la ferveur d'une indépendance encore toute fraîche et toute fumante, d'une place en face de l'Université où il n'eut pas le temps de terminer sa thèse, et si Maurice Laban n'a pas été oublié par ses concitoyens de sa ville natale, Biskra, il n'en est pas de même pour l'aspirant Maillot qui a offert un important stock d'armes à une résistance encore balbutiante et pour Fernand Yveton, guillotiné pour l'exemple. Tous les deux étaient des militants communistes comme Tahar Goumri, le paysan croyant ou comme le bâtonnier Lamrani. Pis, le nom du maquisard Pierre Ghenassia a été effacé de la toponymie de sa ville natale Tenès par des mains analphabètes de l'histoire du pays: la rue qui porte son nom est dénommée rue El Qods. C'est comme si Pierre avait quelque chose à voir avec la tragédie du peuple palestinien. Cela dénote la mesquinerie et la lâcheté de ceux qui ont commis un acte analogue à une profanation de tombe. Car donner des noms d'hommes célèbres à des lieux communs, c'est une façon de se réapproprier l'histoire de son propre pays: encore faut-il donner des noms en rapport avec la dimension et l'activité du défunt. J'avais un jour protesté à la dénomination d'une mosquée du nom de Ben Badis pour la raison qu'au rez-de chaussée de ce temple sacré, il y avait des magasins qui vendaient... des sous-vêtements féminins. Un marchand de tissu a donné à son commerce le nom de Ben M'hidi. Lénine est le titulaire d'une plaque fantôme sur un square devenu anonyme. L'aspirant Maillot attend toujours son heure pour une place publique, un quartier populaire ou une caserne.
Quant à Chaulet, un hôpital, un pavillon thérapeutique ou un lieu public ouvert seront en adéquation avec son passé.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)