Algérie

Les nombres premiers, les morts derniers



Au lendemain des attentats d'Alger, les chiffres des mortssont contradictoires. Comme pour tous les autres chiffres, l'Algérie en estmalade: la moitié y croit, l'autre les met en doute et la moitié impossible lesadditionne pour les diviser en deux et obtenir une théorie. Ce qui est valablepour les logements, les chantiers, la pomme de terre, les récoltes ou lessaisies de pétards, semble être valable pour les morts, le GSPC, l'Etat. L'Etatdonne un chiffre, la presse un autre. Pourquoi? A cause de dix ans deterrorisme et de trente ans de socialisme et de sept ans de guerre deLibération. Pendant sept ans de guerre, il a été impossible de compter lesvivants, les survivants et ceux qui sont morts pour la Liberté et ceux qui ontpris la valise ou le maquis ou le champ d'honneur. En Trente ans de socialisme,les Algériens ont menti sur le nombre des tracteurs, celui des usines, celuides dépassements de prévisions de récoltes, sur le nombre des votants et surtous les chiffres des plans quinquennaux. En dix ans de terrorisme, il étaitquasi impossible de faire concorder le nombre de morts donné par les journaux,celui retenu par la rumeur et celui soutenu par l'Etat. L'Etat avait tellementmenti que personne n'arrive, aujourd'hui, à le croire mais la presse a aussi,parfois, exagéré au point où elle va dans toutes les directions permises parles mathématiques permissives de l'approximation.Dans la corporation, on se souvient tous de ces heures de«bouclage» où l'on hésitait entre donner le «vrai» bilan, le bilanpolitiquement correct ou le bilan rapporté par les comités de lecture auprèsdes imprimeries d'Etat, pour titrer un massacre. L'Etat, lui aussi, ayant mentipour des raisons d'Etat au point où les 800 morts de Had Chekala ont ététraités comme des demandeurs de logements et fixés par Ouyahia à moins de 200morts pendant six ans. Six ans après le massacre, l'ex-chef de gouvernementexpliquera qu'il fallait, à l'époque, veiller à ne pas doper la psychose.Attaqués dans leurs essences platoniciennes, les chiffresen Algérie sont donc malades ou porteurs de maladies: ils provoquent lesdoutes, les polémiques, les suspicions et les divergences. Aujourd'hui,Belkhadem explique que personne n'a intérêt à mentir sur les chiffres desmorts, Zerhouni le jure, Medelci le confirme, le doute persiste. Pourquoi?Parce que l'Etat a trop longtemps mal communiqué, ne l'a pas fait ou l'a faitavec des mensonges. Les chiffres ne voulant rien dire, ils disent pourtantl'essentiel: rien du tout. Un seul mort est déjà un drame absolu et total. Lamorbide fascination persiste pourtant: la presse compte, l'Etat infirme ouconfirme et même le GSPC calcule.Les attentats ont été commis encore une fois un 11 du mois.Pour faire dans le produit dérivé du 11 septembre. Pour signer en label. Pourfaire dans la mode. Pour faire dans les chiffres qui veulent tout dire et nerien dire. La piste est longue et oiseuse. Les chiffres mènent à tout et pastoujours à l'exactitude, soeur humaine de la vérité selon Marguerite Yourcenar,l'écrivain française.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)