Algérie

Les multiples visages d'une quête


Les multiples visages d'une quête
Ceux-là se maintenaient vaille que vaille en tête des ventes. « Leur succès s'explique, en premier lieu, nous dit un libraire au Centre des arts de Ryadh El Feth, par les effets de la libération d'une parole trop longtemps interdite et du lien qui existe entre des faits et d'acteurs du passé qui n'en finissent d'influer sur le cours des événements actuels ». Tout n'a pas été dit et écrit sur des épisodes de notre histoire. D'autres témoignages viendront s'ajouter à une pile déjà bien haute. N'est-il pas coutumier d'entendre, lors des différents hommages à de vieux militants, des voix solliciter ceux-là pour mettre noir sur blanc leurs souvenirs ' Un exercice salutaire ou, pour reprendre une belle phrase de Mouloud Mammeri, « happer les derniers mots avant que la mort ne les happe ». Une véritable course contre la montre est engagée pour tisser une mémoire aux fils emmêlés.Approche historiqueInsensiblement, pourtant, s'amorce un mouvement où la micro-histoire prend la place de la grande histoire. De plus en plus d'auteurs qui s'attachent, en effet, à relater non plus de grandioses batailles, s'attardent moins sur des destins d'hommes célèbres. Il y a un net retour vers l'histoire locale, celle des villes et des villages. De petites gens se découvrent personnages et on exhume des faits anodins qui ont marqué les mémoires locales. Un simple tour dans une librairie peut attester de cette perceptible évolution. Sur les étalages, Béchar, Constantine, Bejaïa, Tizi Ouzou ou Tlemcen et d'autres cités sont l'objet d'études multiformes. Certaines présentent un caractère strictement historique évoquant la naissance de telle cité, son évolution politique et sociale, les hommes qui ont marqué la vie culturelle ou sportive. Redouane Ained Tabet s'est livré à cet exercice dans son livre sur Bel Abbès (ENAG- 1999) qui est un survol de la période s'étalant de 1830 à 1962. Pour l'auteur, « l'aboutissement final de telles recherches concentrées sur des sujets locaux est de faire ressortir une spécificité locale tout en confortant l'histoire nationale ». « L'histoire locale peut être considérée comme le premier des trois cercles concentriques qui forment la conscience historique de l'individu, le deuxième étant l'histoire nationale et la dernière relevant de l'histoire universelle », écrit-il. Amar Khodja, qui a beaucoup écrit sur Tiaret, met en parallèle cet intérêt avec celui des radios locales qui ont favorisé l'apparition d'émissions qui réconcilient les auditeurs avec le passé et les richesses de leurs villes. Lui-même a longtemps animé sur Radio Tiaret une émission sur le passé de la capitale du Sersou et des villes environnantes dont il a révélé le prestige historique insoupçonné. Un homme comme Ahcène Derdour s'est érigé, dans les années 80, avec la publication de « 25 siècles de vie quotidienne et de luttes », un livre en deux tomes, comme un spécialiste de l'histoire de la ville d'Annaba. Mohamed Seghir Fredj a produit une histoire de Tizi Ouzou et Djamel Eddine Hadji a dressé « un mémorial pour la ville de Jijel ». Salah Mekacher s'est également intéressé au passé de la ville des Genêts. L'Algérie ne manque pas de cités au caractère historique affirmé et chacune d'elles a intéressé un chercheur. On peut citer les travaux consacrés dans les années 70 par Rachid Bourouiba à des villes comme Miliana, Médea, Constantine ou Tlemcen. Djillali Sari s'est penché sur le passé de Honaine. Le ministère de l'Information avait édité, à l'époque, une série de beaux livres. On peut un tantinet y retrouver la réplique dans certains livres consacrés notamment à Bejaïa, Dellys ou Nedroma parus lors de la manifestation « Tlemcen, capitale de la culture islamique ». Ils passèrent quasiment inaperçus malgré d'indéniables qualités techniques, faute d'une large diffusion.Approche multidisciplinaireL'intérêt des monographies réside aussi dans l'approche multidisciplinaire. Il y a mille et une manières de parler d'une ville, de sa ville. Elle n'est pas le domaine réservé du sociologue et de l'historien. Dans son roman, de retour vers la ville natale, « La femme sans sépulture », Assia Djebbar dévoile la beauté d'Ain Ksiba, vieux quartier de Cherchell, nous introduit dans l'intimité des maisons des familles. Elle reconstitue la mémoire éparpillée des familles de la montagne qui enserre l'antique Césarée. Constantine sous la plume de Tahar Ouettar, Kateb Yacine ou Malek Haddad acquiert une nouvelle dimension. Récemment, Salah Guemrich nous a offert, avec son livre « Alger la blanche », une balade littéraire à travers les quartiers d'Alger. Il y a quelques années, Bab El Oued a inspiré Abderahamane Djelfaoui. Une ville est un univers. Elle concentre légendes, activités multiformes, monuments, coutumes... Le romancier Djamel Soudi a réveillé les fantômes d'El Achir, berceau des Hammadites et cité assoupie. L'archéologie est une science souvent convoquée en la matière. Abderahman Khelifa consultant d'une émission à la Chaîne III, qui montre le lien solide et nostalgique entre les hommes et les lieux où ils sont nés ou ont vécu. Il a répertorié les richesses archéologiques de vieilles cités comme Honaine et Alger. L'on considère l'Andalou Ibn Jobair, mort au XIIIe siècle, comme l'un des premiers géographes. La tradition basée sur la curiosité fut perpétuée par Ibn Batuta. Elle s'est effilochée au fil des siècles dans le monde musulman. N'est-il pas étrange que les monographies sur des villages en Kabylie comme Ath Yenni, Taguemount Azzouz ou des ksour du Sud soient des notations de pères blancs ' Ils avaient sans doute des visées pas catholiques. Mais quel est cet imam d'une religion qui sacralise le savoir et la recherche même en Chine, comme le recommande le Prophète (QSSSL), qui ait été inspiré dans un coin de notre vaste pays pour évoquer telle ou telle contréé ' D'autres auteurs intègrent au texte des photos de lieux et de personnes. La démarche est respectablement subjective, mais on y prend le risque de privilégier des amis, des proches et de négliger des hommes qui ont mieux façonné l'image d'une ville. Une autre facilité consiste à se contenter de puiser dans le vieux fonds documentaire colonial repris sans regard critique. Pour toutes ces raisons, il faut saluer l'initiative de l'éditeur Echihab dont « Aurès, vivre la terre chaouie » mérite une suite. L'algérianité ne se réduit pas aux épopées guerrières ni aux cités prestigieuses. Elle se niche dans les moindres recoins, dans de modestes villes et chez de petites gens. L'intrusion en force d'internet a permis l'éclosion de sites qui nous font connaître et découvrir des contrées ignorées injustement. Là aussi se trouvent les mémoires d'une Algérie oubliée, pour reprendre le titre d'un livre de Lacheraf. Des pages où il fait revivre Alger des années 30 et 40 avec sa medersa, ses lettrés et ses odeurs marines.


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