Algérie

«Les moines enlevés par le GIA ont été dirigés de Tibehirine vers Bougara» Abdelghani. Amnistié de la concorde civile et ancien mufti de Zitouni



«Les moines enlevés par le GIA ont été dirigés de Tibehirine vers Bougara»                                    Abdelghani. Amnistié de la concorde civile et ancien mufti de Zitouni
Proche et confident de Djamel Zitouni (émir du GIA tué par ses pairs en juillet 1996), membre de la katiba Al Khadra et un de ses muftis, Abdelghani, un amnistié de la concorde civile, a été l'un des témoins directs de l'enlèvement des sept moines de Tibehirine (Médéa) en mars 1996. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il revient sur cet événement tragique avec des révélations surprenantes autant qu'inédites.
-Vous étiez très proche de Djamel Zitouni à la période où a eu lieu l'enlèvement des moines de Tibehirine, en mars 1996. Pouvez-vous nous faire état des circonstances de ce tragique événement '
A l'époque, j'étais à Tala Acha, à Chréa (wilaya de Blida). L'enlèvement a eu lieu quand Djamel Zitouni était l'émir national du GIA. J'étais membre de la «haî'a echari'â» (autorité théologique) qui était à l'époque composée de Abderrazak Zerfaoui, Brahim Khaldi et Cheikh Errachid, qui est actuellement le mufti de Droukdel. J'ai été intégré au sein de cette instance en 1994. J'activais dans les rangs de la katiba (phalange) Khaled Ibn Al Walid, qui sévissait entre Bougara et Chréa, dont l'émir était Abou Hamza. L'émir de la zone 1 dont dépendait cette phalange était Mohamed Al Habchi dit Abou Djaafar.
-A part Cheikh Errachid, les autres sont tous morts. A l'époque, nous n'avions pas de détails sur l'opération. Nous savions juste que les moines avaient été enlevés par le GIA puis dirigés de Tibehirine vers le PC de Bougara. Avant la mort de Cherif Gousmi dit Abou Abdellah, le PC du GIA était à Chréa. Mais il a été déplacé par Zitouni dès son autoproclamation à la tête de l'organisation.
Pourquoi '
Des dissensions internes minaient la direction du GIA à cause de la désignation de Zitouni en tant qu'émir national. Ce poste revenait normalement à Khaled Sahli ou à Mahfoud Tadjine, qui tous deux jouissaient d'une bonne réputation auprès des membres de la direction. Pour des raisons de sécurité, Zitouni a déplacé le PC de l'émirat vers Bougara. De ce fait, les moines ont été dirigés vers cette région, d'autant plus que l'opération a été menée dans la discrétion. J'avais un ami, Mahmoud Boufarik (qui est toujours en vie) qui était parti rendre visite à sa famille à Ouezra (Médéa). Chaque quatre mois, nous avions le droit d'aller voir nos familles. Son tour était arrivé.
Quand il est revenu, il m'a demandé si j'étais au courant de l'affaire des moines. Il m'a révélé avoir vu les têtes des religieux dans la R4 de Ammi Laïd. Celui-ci était émir à Benchaabane. Mahmoud était son élève à l'école coranique de la zaouïa de cette localité qu'il dirigeait. Ils étaient très liés. Lorsque Ammi Laïd est arrivé à Ouezra, il a été informé de la présence au village de Mahmoud et a cherché après lui. Ils ont discuté longuement, avant que Laid ne lui dise : «Viens, j'ai une surprise pour toi.» Il l'a emmené vers cette vieille R4 et a ouvert la malle. C'est là que Mahmoud a vu un sac de jute dans lequel se trouvaient les têtes des moines. Il lui a dit que sur ordre de Djamel Zitouni, il les avait ramenées de Bougara pour les jeter sur la route de Médéa.
-Qu'en est-il des circonstances de l'enlèvement '
Lorsqu'ils étaient à Tala Djen, à Bougara, Djamel Zitouni m'avait convoqué à son PC. A l'époque, le groupe de Cherarba était en pleine dissidence. La convocation m'a été remise par Ahmed le dentiste. Le choix de cette personne n'était pas fortuit. Durant cette période, beaucoup ont pris la fuite après en avoir reçu une de Zitouni. Ils avaient peur d'être exécutés. Pour me rassurer, Zitouni m'a envoyé le dentiste parce qu'il savait que j'avais confiance en lui. J'ai été à son PC de Tala Djen, ou plutôt à Tala Ser. Je suis arrivé à la zone d'Al Oubour, qui est une sorte de zone tampon où le passage est obligatoire pour tous ceux qui traversent la région ou veulent rencontrer Zitouni. De là, des proches de Zitouni m'ont dirigé, les yeux bandés, vers Tala Ser, qui était un PC, mais pas de «l'émirat». J'y suis resté et, le soir, Zitouni est arrivé. Nous nous sommes mis en retrait ; il y avait avec nous Abdelhafid de Cherarba.
Il m'a dit : «Le groupe de Cherarba est en dissidence, est-ce que tu peux raisonner ses éléments ' Je sais qu'ils te font confiance.» En fait, le groupe en question a exigé ma présence pour tout contact avec Zitouni. J'ai donné mon accord. Je suis resté à Tala Ser encore quelques jours. Il y avait une prison où étaient détenus Abou Abderrahmane Al Athari de Médéa, de son vrai nom Karbezli Benyekhlef, ainsi qu'un groupe d'éléments accusés d'être proches de la «djaz'ara». Zitouni a conclu un accord avec Benyekhlef. Il lui a demandé d'interroger un de ses codétenus de Bougara pour savoir s'il était «dja'zarite» ou non. Il a dit : «Si tu réussis à le confondre, je te promets la liberté.» Il a accepté le deal, d'autant que le détenu en question est une connaissance de Meziane Baghdad de Médéa, celui qui avait enlevé les moines. Zitouni a alors convoqué Baghdad, lequel est arrivé le lendemain matin en compagnie de Missoum. Il était blessé à la nuque à la suite d'une embuscade tendue par des éléments de Benhadjar. Ils ont discuté avant que Baghdad ne témoigne contre le détenu. Ce dernier a été exécuté juste après.
-Et qu'est-il advenu de Benyekhlef '
J'ai intervenu en sa faveur et il a été libéré. Juste après, il en a profité pour parler avec Zitouni des moines. Il lui a conseillé de ne pas les tuer mais plutôt d'en faire «une affaire». Zitouni l'a bien écouté, puis il lui a dit : «Je sais ce que je fais. Je vais en faire une grande et bonne affaire.» Donc à cette époque, au moment où Meziane Baghdad était venu au PC, les moines étaient toujours en vie à Tala Djen. Au début, le PC de Zitouni était à Tala Ser, là où il a jugé Al Habchi, condamné à mort et exécuté. Il avait convoqué de nombreux émirs pour tenir une réunion. J'y étais et nous y sommes restés durant un mois. Dans cet endroit, il y avait une maison qui servait de prison. Lorsque l'armée est arrivée, il a déplacé son PC vers Tala Djen, un lieu où les gens accédaient les yeux bandés'
-Revenons à Meziane Baghdad. Que vous a-t-il raconté à propos de l'enlèvement des moines '
Après l'exécution des «djaz'aristes», Meziane Baghdad et moi devions rejoindre le soir même nos PC. Moi à Chréa et lui à Médéa. Nous avions pris le chemin ensemble et passé la nuit à El Oubour. En cours de route, je l'ai interrogé sur l'affaire des religieux. Il m'a déclaré qu'après avoir été chargé par Zitouni d'enlever les moines, il est parti à Tibehirine.
Ces derniers étaient scindés en deux groupes. Un de sept était dans une aile du monastère et les autres dans une autre aile. Les lumières étaient allumées. Il a parlé en ces termes : «Nous nous sommes dirigés vers le premier groupe et on nous a ouvert la porte sans aucune violence.»
-N'ont-ils pas demandé un médecin pour les obliger à ouvrir les portes '
Je ne sais pas. Ce que Baghdad m'a révélé, c'est qu'il est entré sans recourir à la violence. Il leur a donné «el amane» en leur disant : «On a besoin de vous. Nous vous emmenons avec nous et après, on vous fera revenir en toute sécurité.» Ils étaient très confiants et n'avaient pas peur. Pour me faire rire, il m'a même raconté une anecdote assez révélatrice. Il m'a dit : «Mes éléments étaient comme affamés. Ils ont fait le tour de la cuisine. Ils ont vidé le réfrigérateur en quelques secondes, alors qu'il était plein à craquer de fruits, fromages et confitures. Ils étaient comme des assoiffés. Nous n'avons pas pu prendre le deuxième groupe faute de temps, mais aussi parce que nous n'étions pas assez nombreux. Nous étions à peine une petite section à l'intérieur. Nous avons quitté les lieux à pied en discutant avec les otages. Le plus âgé d'entre eux parlait parfaitement l'arabe. Après, nous les avons emmenés à Tala Djen de Bougara.»
-A pied sur toute cette distance '
Je ne sais pas. Ce que Baghdad m'a révélé, c'est qu'ils ont traversé la ville de Médéa à pied. Après, je ne sais pas. Peut-être qu'une fois dans la forêt, ils ont dû emprunter des véhicules qui les attendaient pour poursuivre le chemin.
Bien après l'exécution des otages, Zitouni m'a convoqué. Lorsque je suis arrivé à El Oubour, la zone de transit, ses proches m'ont bandé les yeux pour me diriger vers Tala Djen.
-Pourquoi l'appelle-t-on Tala Djen '
Un jour Zitouni m'a demandé de lui faire une «rokia» (exorciser un djinn). Il m'estimait beaucoup et me faisait confiance. Il m'a parlé en retrait, en me faisant une confidence. Il m'a dit lorsqu'il était venu dans ce hameau de maisons abandonnées, il a trouvé un homme assis dans un coin, terrorisé. Selon lui, il ressemblait à un sorcier ou à un diable. Il l'a égorgé. Depuis, Zitouni a changé. Il sentait que les djinns le hantaient. Il entendait des voix la nuit. Il voulait une «rokia» pour exorciser les djinns. J'avais peur qu'une fois rétabli, il se retourne contre moi et me tue, de peur que je divulgue son secret. Je lui ai dit : «Hassan (on l'appelait par ce prénom), tu es juste superstitieux. Ton visage est illuminé, il est impossible que tu sois hanté. Peut-être que quand tu as égorgé le sorcier, tu as gardé cette peur.» Il était soulagé de m'entendre lui dire cela.
Durant les quatre jours que j'ai passé au PC, j'ai rencontré Redouane Makador, qui était responsable de l'extérieur et membre de la katiba El Khadra. Il était très proche de Zitouni et avait beaucoup d'influence sur lui. D'ailleurs, c'est lui qui a désigné Antar Zouabri à la tête du GIA après la mort de Zitouni. J'avais de bonnes relations avec lui et il se confiait à moi. Il m'avait montré une pièce, au fond d'une maison abandonnée, en me disant : «Tu vois, c'est ici que les moines étaient détenus.» La maison était utilisée comme prison. Ceux qui sont passés par là ont tous été exécutés. Ils les tuaient puis les transportaient dans des brouettes vers l'arrière de la maison, où ils étaient enterrés autour d'un immense arbre. Je n'ai jamais voulu aller à cet endroit que je voyais de loin. Un jour, Makador m'a dit : «Abdelhafid, regarde cet arbre, il est en train de mourir et je crois que c'est à cause du nombre de morts enterrés autour de lui.» Il y en a eu beaucoup. Je me rappelle même du neveu de Mansouri Meliani qui était à l'époque émir de Boudouaou, ou encore de Zerfaoui, «thabet echar'i» (exégète), qui avait été torturé avant d'être exécuté. Je sais que même les moines ont été enterrés sous cet arbre et que leurs têtes ont été remises à Ammi Laïd pour qu'il les jette sur la route de Médéa'
-Qu'en est-il des négociations avec l'ambassade de France à Alger '
Je sais que Djamel Zitouni avait chargé un type non recherché par les services de sécurité, qui habitait la région de Châteaurouge au quartier des Eucalyptus, pour aller à l'ambassade de France à Alger. Il est parti. Je sais qu'il a trouvé une chaîne de demandeurs de visas et un policier avec lequel il a discuté il a réussi à lui faire croire qu'il avait des choses à faire à l'intérieur. Il l'a laissé entrer sans attendre son tour. Dès qu'il est arrivé, il s'est présenté comme un envoyé du GIA. Les responsables de l'ambassade sont venus le voir et il leur a déclaré qu'il était l'envoyé de Djamel Zitouni, avant de leur remettre l'enregistrement des voix des moines. Ils lui ont remis des numéros de téléphone pour garder le contact et l'ont par la suite accompagné dans un véhicule de l'ambassade jusqu'à Hussein Dey, si je me rappelle bien. De là, il est allé voir Zitouni pour lui rendre compte de sa visite.
-Y a-t-il eu un émissaire au maquis de Zitouni '
A l'époque, nous avions su qu'il y avait eu un problème entre l'ambassade de France et leur ministère des Affaires étrangères sans en avoir les détails. Makador m'a révélé par la suite que Djamel Zitouni avait donné «el amane» à un émissaire français pour venir jusqu'à son PC à Tala Djen et négocier directement, avec lui, la libération des moines. Il est resté dix minutes avec les moines et a même remis des médicaments à l'un d'entre eux. Mais il se comportait d'une manière douteuse. Makador a alors remarqué la montre qu'il portait à la main. Il l'a lui a enlevée et c'est là qu'il a découvert qu'elle contenait une puce de géolocalisation. Zitouni s'est énervé, mais comme il lui avait donné «el amane», il l'a chassé de Tala Djen. J'étais, à l'époque, au plus haut du commandement du GIA. Pour moi, c'est cela qui a précipité l'exécution des moines.
-Comment, après une telle traîtrise, l'émissaire est-il reparti sain et sauf '
Peut-être que Zitouni attendait que le contact soit repris, mais une fois qu'il s'est rendu compte qu'il n'y avait plus d'espoir de négociation, il les a tués. C'était bien avant l'arrivée de l'armée à Tala Djen de Bougara. Zitouni avait tout le temps devant lui pour tuer les moines, couper leurs têtes, enterrer les corps et convoquer Laïid de Ouezra pour le charger d'aller les jeter à Médéa. C'est un travail qui demande du temps. Si c'était au moment de l'arrivée de l'armée, il les aurait laissés sur place en ayant pour seul souci de sauver sa vie et celle de ses éléments, d'autant plus que la zone est très facile à encercler.
C'est un hameau de maisons abandonnées, sur une crête.


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