Algérie

Les milliards de l'importation et de la contrebande Du pain sur la planche pour les Douanes



Le séminaire organisé à Alger, en fin de semaine dernière, par la direction générale des Douanes, aura été une occasion pour les commissionnaires en douanes et aux transitaires, de lancer un véritable cri d'alarme. Le directeur de la lutte contre la fraude M. Medjbar Bouanem leur fera écho: «aujourd'hui la douane est envahie par le faux». Restait pour le directeur des Douanes algériennes M. Abdou Bouderbala d'ajouter, au moins, une note d'optimisme en indiquant que son institution projette de lancer le «mandat et la déclaration des éléments de valeur en douanes (DEV). Il s'agit de deux formules utilisées dans le monde pour contrecarrer les fraudeurs et surtout le phénomène de blanchiment d'argent. Concrètement, il s'agit de deux formules qui vont permettre l'identification des importateurs et des exportateurs. En un mot, comme en mille «savoir qui fait quoi». Une quête qui n'est pas nouvelle puisque les services des Douanes n'ont jamais cessé de multiplier les formules et autres procédés pour contrecarrer les fraudeurs qui trouvent un terreau fertile dans l'informel dont les parts dans l'économie nationale sont estimées officiellement à 30% . Selon les spécialistes de la question, ce marché «est approvisionné par la production nationale de produits contrefaits, l'importation et la contrebande». Il comprend plusieurs secteurs comme les produits consommables, les produits cosmétiques, les textiles, les appareils électriques et électroniques et autres. Selon ces mêmes spécialistes, les acteurs du marché informel regroupent plusieurs opérateurs comme des producteurs (industriels ou artisans), des importateurs, des commerçants grossistes, des détaillants et autres commerçants n'ayant aucune habilitation légale. Parmi les pratiques frauduleuses constatées sur le marché informel, les experts citent «le registre du commerce dont il est difficile d'en vérifier l'authenticité ou la validité, la fausse facturation, l'approvisionnement en devises du marché parallèle et l'exportation informelle aux pays sahariens limitrophes. Pour lutter contre ces pratiques, les services des Douanes avaient décidé de renforcer la coopération avec les différents organismes concernés par le commerce extérieur, en vue d'améliorer l'accès à l'information et de l'obtenir dans les meilleurs délais possibles. En ce sens M. Bouderbala, intervenant lors d'une rencontre ayant réuni les douanes et les représentants des banques, estimait qu'«il était indispensable de connaître les personnes qui ont accès au commerce extérieur pour instaurer la transparence dans les opérations et assurer la traçabilité des produits». M.Bouderbala citait le cas d'une opération où la déclaration de la valeur de machines a porté sur un montant de 115.000 dollars alors que le prix réel ne dépassait pas les 1.115 dollars au moment où les documents présentés aux douanes ont été également scannés. L'échange d'informations entre les différentes institutions, devient ainsi incontournable, notamment pour identifier les importateurs, le type et l'origine des produits. Ce qui concourt, pour une large part, à la lutte sans merci livrée, ces dernières années, par l'Algérie contre le blanchiment d'argent et la fraude fiscale. La connexion informatisée entre les services douaniers et les différentes institutions comme le Centre national du registre de commerce (CNRC), l'Algex et les banques, permettra de déceler les faux des vrais documents, notamment pour ce qui est du registre de commerce, relevait le directeur général des Douanes. Il faudra, peut-être, avouer qu'en face ce n'est, en tout cas, pas des enfants de coeur pour lesquels les pratiques frauduleuses n'ont absolument pas de secret. Bien mieux, ils arrivent avec moult stratagèmes et surtout des complicités acquises grâce à la corruption à contourner toutes les barrières mises par les institutions étatiques dans leur volonté de circonscrire les fausses déclarations de marchandises, de leur valeur, le transfert illégal de capitaux. Personne n'ignore que nombreux sont les importateurs indélicats qui donnent de fausses valeurs de la marchandise aux services concernés. Qu'ils présentent des factures pro-format aux banques comprenant d'importants montants alors qu'ils présentent aux services des douanes d'autres déclarations dans lesquelles un autre montant est mentionné. Lors d'une de ses nombreuses interventions publiques, le directeur général des Douanes, M. Bouderbala, le reconnaissait en révélant que «d'importants écarts entre la déclaration à la banque et la déclaration aux services des douanes sont constatés». M. Bouderbala citait le cas d'une opération où la déclaration de la valeur de machines a porté sur un montant de 115.000 dollars alors que le prix réel ne dépassait pas les 1.115 dollars au moment où les documents présentés aux douanes ont été également scannés. De son côté, le directeur des Douanes d'Alger-Centre parlera d'une grande fuite de capitaux qui a été enregistrée annuellement. Il donnera l'exemple de 2.000 conteneurs en souffrance au niveau du port d'Alger pour dire que le transfert illégal de capitaux par milliards a été effectué alors qu'aucun dépôt de déclaration n'a été fait. Un exemple parmi d'autres qui permet de parler concrètement de la réalité économique de l'Algérie des années 2000 et surtout du marché parallèle qui connaît de solides repères, tant à l'ouest, qu'au centre et à l'est du pays, à l'exemple des marchés de Tadjenanet d'El-Eulma ou d'El-Hamiz à Alger et surtout des places fortes dans les quatre coins de l'Algérie où se brassent des centaines de milliards de dinars sans autres engagements que la parole donnée. Il est vrai qu'il faut faire la différence entre l'argent brassé sans facturation dont l'origine n'est pas nécessairement illégale et l'argent qui reste le fruit de la contrebande de marchandises. Mais toujours est-il que la frontière est si mouvante et aléatoire qu'on ne saurait dire vraiment «qui fait quoi». Il est rare, nous disent des personnes ayant pignon sur rue, qu'une marchandise importée ne fasse pas l'objet d'une surfacturation ou d'une sous-facturation, selon le besoin quand elle n'est pas carrément soustraite au contrôle des douanes. Une surfacturation, nous précise-t-on quand il s'agit pour un gros importateur de mettre de l'argent de côté à l'étranger et c'est alors en toute légalité qu'il arrive à transférer une partie de celui-ci, vers des banques par exemple européennes ou dans d'autres parties du monde, appelées communément des «paradis fiscaux». Il suffit saurons-nous, pour cet importateur, de s'entendre avec un fournisseur étranger sur la qualité et le prix d'une marchandise d'un montant, par exemple, de 30 milliards, qui sera facturée 60 milliards. Ce dernier montant est alors déboursé grâce à des lignes de crédits à travers le circuit bancaire au compte du partenaire étranger. Ce dernier prendra son dû et versera la différence dans un compte ouvert, dans une banque étrangère, par l'importateur algérien. Des hommes fortunés proposent à des propriétaires de villas dont la construction sur une assiette de 300 m² remonte à l'époque coloniale 2 et même 3 milliards de centimes. Cette même villa est alors démolie et à sa place on voit, en moins d'une année, monter un véritable château. Là, bien sûr, il faut que cet Algérien bénéficie de nombreuses complicités. Le souci de l'importateur, dans ce cas précis, n'est pas de faire des bénéfices mais de transférer à l'étranger de l'argent récolté par ailleurs dans des affaires douteuses. Bon nombre d'affaires ont été, ces dernières années, éventées au niveau de différents ports algériens et qui portaient sur des marchandises à l'état pratiquement de ferraille qui sont importées sous le label du neuf pour d'énormes montants. Ces marchandises, une fois les portes du port franchies, sont tout simplement vendues aux brocanteurs et autres ferrailleurs. D'autres pratiques existent et illustrent l'imagination débordante de certains opérateurs sans foi ni loi. On se rappelle, en 2005, la montée au créneau des conserveurs de la tomate qui dénonçaient le prix imbattable déclaré par les importateurs, l'équivalent de 10 DA la boîte de 500 g de concentré de tomate et s'interrogeaient pourquoi ce prix n'a-t-il intrigué aucune institution algérienne. Les conserveurs relevaient également l'absence de toute inscription portée sur l'emballage permettant la traçabilité du concentré de tomate. «Des importateurs peu scrupuleux importent du concentré de tomates sur la base de factures minorées auprès de fournisseurs étrangers producteurs de CT que l'on ne trouve nulle part à travers le marché extérieur. Nous n'arrivons pas à expliquer que ces anomalies et pas mal d'autres n'aient pas alerté les services concernés», déclaraient les conserveurs. Et d'ajouter: «comment se fait-il qu'on nous taxe sur 7,50 DA le prix de la boîte d'emballage importée et que l'on ne s'inquiète même pas, que contenu et contenant importés arrivent aux ports d'Algérie au prix de 10 DA l'unité». Pour nous en tenir à l'affaire du concentré de tomate nous apprenions à la faveur de l'éclatement de l'affaire en 2005 que la Chine et Dubaï des Emirats arabes, les deux pays qui importent la totalité de leurs besoins en CT, se sont découvertes productrices de tomate industrielle et de concentré de tomates destinés au marché algérien. Dans ce même contexte le pays voisin, la Tunisie, n'est d'ailleurs pas en reste. «Toute la tomate qui nous vient de la Tunisie entre frauduleusement», affirment les conserveurs algériens. Précisant que les auteurs ne paient ainsi aucun centime en droits et taxes sur des milliers de tonnes qu'ils écoulent sur le marché national. Le préjudice se chiffre à des milliards de dinars pour le Trésor public. Ceci nous incite à nous poser certaines questions. Par exemple depuis quand Dubaï et la Chine produisent-ils du CT, qu'ils destinent spécialement à l'Algérie? Si l'informel représente 30% de l'économie nationale, il aura créé, en moins d'une décennie, une véritable caste qui compte en centaines de milliards et qui aura surtout mis le feu aux poudres pour ce qui est, par exemple, de l'immobilier qui reste en Algérie incontestablement une valeur refuge. Ce n'est donc pas, par hasard, que le foncier urbain en Algérie a connu une courbe ascendante en termes de valeur financière. Les prix du foncier au marché parallèle sont sans commune mesure avec ceux pratiqués officiellement. A Constantine un lot de terrain de 200 m², cédé par l'agence foncière de wilaya quelle que soit sa situation ne dépassera guère, à tout casser, la quarantaine de millions de centimes. A Sidi Mabrouk, par exemple, des hommes fortunés proposent à des propriétaires de villas dont la construction sur une assiette de 300 m² remonte à l'époque coloniale 2 et même 3 milliards de centimes. Cette même villa est alors démolie et à sa place on voit, en moins d'une année, monter un véritable château sur trois ou quatre étages avec un rez-de-chaussée où sont alignés des locaux commerciaux qui, du jour au lendemain, commencent à activer dans différents créneaux commerciaux. Nombreux sont les citoyens de certaines grandes villes du pays qui cèdent à la tentation. Et pour cause, ils se voient offrir 2 ou 3 milliards pour une bâtisse qui croule sous le poids des ans. 2 ou 3 milliards c'est plutôt une aubaine qui permet pour quelqu'un qui rêve d'un simple F3 d'acquérir un lot de terrain à 100 millions chez un privé dans la périphérie et de construire une belle villa pour un milliard et d'investir le reste dans un commerce qui met ses vieux jours à l'abri. Quand on s'aperçoit qu'une personne se permet d'acheter un lot de terrain de 300 m² à coups de milliards et que cette même personne refait une, deux ou trois fois la même opération, on peut s'interroger sur l'énormité de sa fortune. Un importateur nous confiera, sous le sceau d'une fausse confidence, que tout Algérien qui veut investir un créneau donné dans le commerce d'importation tout en respectant la législation ne réussira jamais quels que soient son esprit d'entreprise et sa connaissance du créneau. L'importateur doit être sans scrupules, apte à soudoyer, prêt à verser des commissions, sans conscience des conséquences que peuvent induire l'importation d'une marchandise de mauvaise qualité sur l'économie du pays ou encore sur la santé du citoyen. Preuve en est cette marée des produits contrefaits qui envahit l'Algérie et qui touche même le domaine sensible des médicaments. Tous nos interlocuteurs restent affirmatifs, en Algérie 80% de marchandises qui circulent et ayant trait à la pièce détachée et à l'électroménager, par exemple, sont le produit de la contrefaçon. A l'appui de leurs dires, ils nous citent les prix pratiqués pour la pièce d'origine de différentes marques de véhicules dans les places fortes de ce créneau. En effet, si on fait la conversion des prix en dinars pratiqués pour la pièce censée être d'origine on s'aperçoit qu'elle ne coûte que des miettes en euros. «Personne aujourd'hui ne se risque de ramener la pièce détachée d'origine sans se casser les dents», nous dit-on. On saura, par ailleurs, que nombre d'importateurs algériens travaillent ferme avec les Chinois. Ils ne se contentent plus de ramener ce qu'ils trouvent sur place. Ils se déplacent en Chine avec un modèle donné à reproduire et selon le prix qu'ils sont prêts à consentir, peuvent commander la quantité et la qualité qu'ils désirent. Des Chinois, vu le volume commercial, ont même réalisé des entreprises exclusivement pour satisfaire la demande d'importateurs algériens. On nous parlera également des Emirats très prisés par les importateurs algériens, mais dans le créneau plutôt des accessoires automobiles et de produits cosmétiques contrefaits. On nous citera aussi l'Italie et surtout la Turquie très sollicitée par les Algériens en matière de produits contrefaits. Ceci en ce qui concerne les marchandises qui entrent en Algérie avec les documents officiels. Reste donc les produits prohibés comme l'alcool, les pétards, la poudre et les cartouches, les armes de chasse, les cigarettes... qui entrent frauduleusement par les ports algériens par conteneurs. Et quand on saura qu'un seul importateur peut faire sortir en un mois une centaine de conteneurs du port, on peut réaliser le volume de contrebande qui génère des bénéfices du simple au double de l'argent consenti. Nous apprenons également que certains importateurs, ramenant de l'étranger des tracteurs de camions semi-remorques dans des conteneurs de 40 pouces. Des tracteurs de semi-remorques qui circulent, le plus normalement du monde en Algérie, avec des documents dûment établis.


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