Billet du prince Camaralzaman à la Princesse de Chine
CLXXXVIIème nuit (Suite)
Amgiad et la dame s’entretinrent encore une grosse demi-heure; et, avant de se coucher, la dame eut besoin de sortir. En passant sous le vestibule, comme elle eut entendu que Bahader ronflait déjà, et qu’elle avait vu qu’il y avait un sabre dans la salle: «Seigneur, dit-elle à Amgiad en rentrant, je vous prie de faire une chose pour l’amour de moi. -De quoi s’agit-il pour votre service? reprit Amgiad. -Obligez-moi de prendre ce sabre, repartit-elle, et d’aller couper la tête à votre esclave». Amgiad fut extrêmement étonné de cette proposition, que le vin faisait faire à la dame, comme il n’en douta pas. «Madame, lui dit-il, laissons là mon esclave, il ne mérite pas que vous pensiez à lui: je l’ai châtié, vous l’avez châtié vous-même, cela suffit; d’ailleurs je suis très content de lui, et il n’est pas accoutumé à ces sortes de fautes.
-Je ne me paye pas de cela, reprit la dame enragée: je veux que ce coquin meure; et s’il ne meurt de votre main, il mourra de la mienne». En disant ces paroles, elle met la main sur le sabre, le tire hors du fourreau et s’échappe pour exécuter son pernicieux dessein. Amgiad la rejoint sous le vestibule, et, en la rencontrant: «Madame, lui dit-il, il faut vous satisfaire, puisque vous le souhaitez: je serais fâché qu’un autre que moi ôtât la vie à mon esclave». Quand elle lui eut remis le sabre: «Venez, suivez-moi, ajouta-t-il, et ne faisons pas de bruit, de crainte qu’il ne s’éveille». Ils entrèrent dans la chambre où était Bahader; mais, au lieu de le frapper, Amgiad porta le coup à la dame et lui coupa la tête, qui tomba sur Bahader. La tête de la dame eût interrompu le sommeil du grand écuyer, en tombant sur lui, quand le bruit du coup de sabre ne l’eût pas éveillé. Étonné de voir Amgiad avec le sabre ensanglanté et le corps de la dame par terre, sans tête, il lui demanda ce que cela signifiait. Amgiad lui raconta la chose comme elle s’était passée, et en achevant: «Pour empêcher cette furieuse, ajouta-t-il, de vous ôter la vie, je n’ai point trouvé d’autre moyen que de la lui ravir à elle-même. -Seigneur, reprit Bahader plein de reconnaissance, des personnes de votre sang, et aussi généreuses, ne sont pas capables de favoriser des actions aussi méchantes. Vous êtes mon libérateur, et je ne puis assez vous en remercier». Après qu’il l’eut embrassé, pour lui mieux marquer combien il lui était obligé: «Avant que le jour vienne, dit-il, il faut emporter ce cadavre hors d’ici, et c’est ce que je vais faire». Amgiad s’y opposa et dit qu’il l’emporterait lui-même, puisqu’il avait fait le coup. «Un nouveau venu en cette ville, comme vous, n’y réussirait pas, reprit Bahader. Laissez-moi faire, demeurez ici en repos. Si je ne reviens pas avant qu’il soit jour, ce sera une marque que le guet m’aura surpris. En ce cas-là, je vais vous faire par écrit une donation de la maison et de tous les meubles; vous n’aurez qu’à y demeurer».
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A suivre...
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Posté Le : 13/12/2008
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com