Histoire d’Aboulhassan Ali Ebn Becar et de Schemselnihar, favorite du calife Haroun Al-Raschid
CLVIIIe nuit (Suite)
Ebn Thaher fut à peine de retour chez lui, que la confidente de Schemselnihar arriva. Elle avait un air triste, et il en conçut un mauvais présage. Il lui demanda des nouvelles de sa maîtresse. «Apprenez-moi auparavant des vôtres, lui répondit la confidente; car j’ai été dans une grande peine de vous avoir vu partir dans l’état où était le prince de Perse». Ebn Thaher lui raconta ce qu’elle voulait savoir; et, lorsqu’il eut achevé, l’esclave prit la parole: «Si le prince de Perse, lui dit-elle, a souffert et souffre encore pour ma maîtresse, elle n’a pas moins de peine que lui. Après que je vous eus quittés, poursuivit-elle, je retournai au salon, où je trouvai que Schemselnihar n’était pas encore revenue de son évanouissement, quelque soulagement qu’on eût tâché de lui apporter. Le calife était assis près d’elle, avec toutes les marques d’une véritable douleur; il demandait à toutes les femmes, et à moi particulièrement, si nous n’avions aucune connaissance de la cause de son mal; mais nous gardâmes le secret, et nous dîmes toute autre chose que ce que nous n’ignorions pas. Nous étions cependant toutes en pleurs de la voir souffrir si longtemps, et nous n’oubliions rien de tout ce que nous pouvions imaginer pour la secourir. Enfin, il était bien minuit lorsqu’elle revint à elle. Le calife, qui avait eu la patience d’attendre ce moment, en témoigna beaucoup de joie et demanda à Schemselnihar d’où ce mal pouvait lui être venu. Dès qu’elle entendit sa voix, elle fit un effort pour se mettre sur son séant; et après lui avoir baisé les pieds avant qu’il pût l’en empêcher: «Sire, dit-elle, j’ai à me plaindre du ciel, de ce qu’il ne m’a pas fait la grâce entière de me laisser expirer aux pieds de Votre Majesté, pour vous marquer par là jusqu’à quel point je suis pénétrée de vos bontés. -Je suis bien persuadé que vous m’aimez, lui dit le calife; mais je vous commande de vous conserver pour l’amour de moi. Vous avez apparemment fait aujourd’hui quelque excès qui vous aura causé cette indisposition; prenez-y garde, et je vous prie de vous en abstenir une autre fois. Je suis bien aise de vous voir en meilleur état, et je vous conseille de passer ici la nuit, au lieu de retourner à votre appartement, de crainte que le mouvement ne vous soit contraire». A ces mots, il ordonna qu’on apportât un doigt de vin, qu’il lui fit prendre pour lui donner des forces. Après cela, il prit congé d’elle et se retira dans son appartement. Dès que le calife fut parti, ma maîtresse me fit signe d’approcher. Elle me demanda de vos nouvelles avec inquiétude. Je l’assurai qu’il y avait longtemps que vous n’étiez plus dans le palais, et lui mis l’esprit en repos de ce côté-là. Je me gardai bien de lui parler de l’évanouissement du prince de Perse, de peur de la faire retomber dans l’état d’où nos soins l’avaient tirée avec tant de peine; mais ma précaution fut inutile, comme vous l’allez entendre: «Prince, s’écria-t-elle alors, je renonce désormais à tous les plaisirs, tant que je serai privée de celui de ta vue. Si j’ai bien pénétré dans ton cœur, je ne fais que suivre ton exemple. Tu ne cesseras de verser des larmes que tu ne m’aies retrouvée; il est juste que je pleure et que je m’afflige jusqu’à ce que tu sois rendu à mes vœux». En achevant ces paroles, qu’elle prononça d’une manière qui marquait la violence de sa passion, elle s’évanouit une seconde fois entre mes bras.
A suivre...
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Posté Le : 13/08/2008
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com