Les messagers du Président

L'idée d'établir un lien fort entre les pays producteurs quel que soit leur statut vis-à-vis de l'Opep «révolutionnerait» les rapports énergétiques internationaux.Abdelmalek Sellal, Youcef Yousfi, Abdelkader Messahel et Tayeb Louh. Ce sont les envoyés du président de la République Abdelaziz Bouteflika aux quatre coins du monde pour une mission assez particulière. Elle consiste à faire entendre raison à plusieurs pays producteurs quant à leur intérêt de faire montre d'un minimum de solidarité pour redresser les prix du pétrole, en chute libre depuis quelques semaines.L'initiative présidentielle intervient à la suite de l'attitude des gros producteurs au sien de l'Opep de «laisser le marché réguler les prix», comme le soulignent à chaque occasion, les ministres des pétromonarchies.Ce qui est présenté comme un échec par nombre d'observateurs n'est rien d'autre qu'une redistribution des cartes imposée par l'entrée en production du gaz et du pétrole de schiste. De fait, l'Opep a perdu toute influence sur le marché mondial de l'or noir.Partant de ce constat plus qu'évident, il était impossible pour aucun pays membre du cartel d'agir. Et l'Algérie plus que d'autres, en raison de son quota, loin de concurrencer celui des producteurs majeurs de l'organisation. Quand bien même, il existait le moindre espoir de se faire entendre par l'Arabie saoudite ou le Koweït, l'enjeu est plus à l'extérieur de l'Opep qu'en son sein.C'est sans doute pour cela que le président de la République a pris la décision de transcender l'Opep et aller là où existe le pouvoir de faire évoluer le dossier. C'est-à-dire dans les pays hors-Opep et également grands producteurs d'hydrocarbures.La stratégie du chef de l'Etat obéit à une double logique de poids économique sur la scène pétrolière mondiale et de proximité diplomatique, au sens où il est plus aisé de communiquer avec certains dirigeants qu'avec d'autres. Liant l'efficacité à la diplomatie, le président de la République a tenu néanmoins à ne pas jouer «hors-Opep». Les nations-leaders de cette organisation, à l'image de l'Arabie saoudite, ont été touchées par le messager du président en la personne de Tayeb Louh, ministre de la Justice et envoyé spécial pour la circonstance.L'association de l'Opep à l'initiative est une donnée capitale, même si l'essentiel de l'effort sera orienté en direction des pays «indépendants» de l'organisation comme la Russie que le ministre de l'Energie, Youcef Yousfi, a visité, porteur du message présidentiel. L'Afrique et l'Amérique latine constituent des acteurs de premier plan du marché pétrolier. Aussi, le Nigeria, l'Angola et le Mexique ont reçu les visites du Premier ministre, Abdelmalek Sellal et du ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel.Les messagers du président Bouteflika ont la dure tâche de convaincre leurs interlocuteurs parmi les plus hautes autorités des pays visités, de la nécessité de construire une nouvelle «solidarité entre producteurs».Les observateurs qui n'osent pas spéculer sur les chances de succès de l'initiative algérienne, estiment, pour leur part, que l'idée d'établir un lien fort entre les pays producteurs quel que soit leur statut vis-à-vis de l'Opep «révolutionnerait» les rapports énergétiques internationaux.Les messagers du chef de l'Etat ne sont pas porteurs d'une démarche conjoncturelle, le temps de voir les prix remonter, mais bien plus. Il s'agit de refaçonner la cartographie énergétique mondiale selon une vision plus large, intégrant des facteurs stratégiques jusque-là négligés par la communauté internationale.Amener un pays comme la Russie à composer avec une multitude d'autres nations, ayant pour dénominateur commun l'arme énergétique, provoquerait le remodelage de la géopolitique mondiale. Il est entendu qu'on n'en est pas encore là, mais l'idée a sans doute traversé beaucoup d'esprits.Pour l'heure, la première mission des messagers de Bouteflika est de parvenir à un compromis autour d'une baisse généralisée de la production pour permettre une remontée des cours. Les grandes réalisations commencent par la pose d'une pierre.