Au moment où l'on déroule le menu des indicateurs de développement humain pour satisfaire les besoins de quelques «quantativores», on oublie souvent la mendicité comme phénomène à facettes multiples. Une armée de mendiants s'empare des rues citadines dès le matin : les uns probablement par vocation, d'autres réellement par besoin, d'autres encore par habitude d'une activité qui rapporterait gros sans trop d'efforts, bien qu'interdite.
 La mendicité serait en fait diversement interprétée, particulièrement si l'on y additionne certains services de gardiennage de voiture, devenus profession des « sans-métiers », ou même la corruption qui est une mendicité réservée aux cols blancs.
 Nous savons déjà depuis peu de temps, par la bouche du ministre de Affaires religieuses et surtout des Habous, que la pauvreté en Algérie n'est qu'une vision journalistique de mauvais goût. Mais comme nous avons l'habitude d'être contredits, y compris sur ce qui nous crève les yeux, on ne doit pas s'attendre à une autre déclaration qui dérangerait le système qui a fabriqué, recruté, maintenu et surtout engraissé un produit de ce même système. En fait, non seulement les programmes de lutte contre la pauvreté inscrits dans les tablettes électorales présidentielles sont un aveu de la situation sociale en Algérie, contre laquelle de grands moyens restent à mobiliser, mais il suffit de pouvoir se passer un moment des odeurs feutrées des bureaux pour constater l'état de délabrement humain qui se greffe dans le paysage urbain.
 Que la mendicité, particulièrement durant le Ramadhan, atteigne une proportion démesurée, encouragée par la culpabilité religieuse ou affective, cela paraît s'inscrire dans une logique compréhensible ; mais qu'elle fleurisse comme mille épines, y compris au-delà du mois sacré, cela fait phénomène qui mérite une attention particulière dans un pays qui se dit riche et qui priorise les dépenses de prestige, pour une postérité incertaine. Une autoroute qui n'en finit pas de se livrer par petits bouts, une mosquée plus proche de la vision pharaonique que de l'humilité recommandée par l'Islam, le métro le plus lent du monde à se réaliser, un palais des congrès qui doit faire d'Oran la capitale du gaz sur un air de flamenco, des méga-hôpitaux en panne de gestion, le tout par la grâce de compétences étrangères, font de nous tous des mendiants de la technologie, alors que nos compétences se meurent d'attente.
 Selon les connaisseurs, pour peu que quelques ceintures et autres bretelles inutiles soient retirées du projet d'autoroute, des emplois pourraient être créés d'une manière durable. Pour peu qu'un minaret ou une coupole soient réduits à l'échelle humaine, nous ferons l'économie de matériaux importés en devises et d'une main-d'oeuvre étrangère qui commence sérieusement à inquiéter. Sur ce chapitre et pour peu que nous sachions observer avec raison ce qui nous entoure, des milliers de petits bouts d'économie peuvent être faits, si cela intéresse vraiment les pouvoirs publics qui s'enorgueillissent de lancer des campagnes contre le gaspillage, jamais suivies d'effets.
 Le sens des priorités échappe à la raison humaine. Comment peut-on accepter cette image de mendicité alors que les caisses de l'Etat se vident dans des poches prêtes à les avaler sans aucune contrepartie ? Pourtant, dès la première année de l'indépendance, le métier de cireur de chaussures, assimilé à une forme de mendicité, avait été banni de la terminologie socialiste en tant que vestige de la colonisation. Ce que nous voyons dans nos rues est tout simplement scandaleux, malgré la politique du « cause toujours, tu m'intéresses ». D'abord, les mendiantes sont supérieures en nombre aux mendiants, bien que la dernière révision constitutionnelle qui a pérennisé le mandat à vie... Mais passons. Ensuite, le nombre d'enfants étalés à longueur de journée sur les trottoirs, dormant et très certainement drogués, ne soulève aucune inquiétude des pouvoirs publics, bien que l'Algérie se prépare à une conférence internationale sur les droits de l'enfant. Les droits des sous-hommes en fait devant cette mascarade, où les associations assourdissent par leur mutisme et leur soumission à quelques subventions.
 D'ailleurs, là où le système algérien a le plus réussi, c'est précisément dans le mutisme. Mais comment font-ils ? En haut, tout le monde ou presque vole, en bas tout le monde ou presque mendie. Entre les deux, il y a ceux qui partent, ceux qui refusent de voler et de mendier (pour le moment), ceux qui attendent et ceux qui n'attendent plus rien. Trop peu pour déranger le système qui tourne à la vitesse des turbines de gaz et de pétrole, mais qui tourne en rond dans sa dimension sociale.
 D'ailleurs, à voir le nombre de mendiants circulant dans nos rues, on a comme l'impression de vivre l'un des films égyptiens où de véritables organisations de recrutement, de « dressage » et de gestion financière de la mendicité se partagent des territoires en milieu urbain. Du fait que nous n'avons importé d'Egypte que les mauvaises choses, rien ne dit que la mendicité en Algérie ne fonctionne pas de la même manière, avec une hiérarchie et une gestion qui peut bien être la seule qui ait réussi.
 Mais qui a mené une étude sérieuse et à grande échelle sur la question ? Une étude qui permettrait de trouver des solutions justes pour dire que l'indépendance est une bonne chose et le prouver. On sait au moins que ce n'est pas le ministère des Affaires religieuses et surtout des Habous. Pourtant, les mosquées sont le lieu privilégié par les mendiants. Il suffit de les fréquenter plus souvent que ne les dictent les protocoles. Une armée, même en guenilles, peut un jour faire en sorte que le système ne tourne plus comme il le souhaite. Les enfants qui dorment sur les trottoirs se réveilleront bien un jour et on n'est pas sûr qu'ils sachent dans quel Etat ils seront. Selon les dires, il y en a qui sont déjà riches.
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Posté Le : 17/09/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ahmed Saïfi Benziane
Source : www.lequotidien-oran.com