Le match de
football entre l'Algérie et l'Egypte et les conséquences qui en ont suivi ont
révélé beaucoup de choses dont nous n'avions pas conscience. Nous avons
découvert une Egypte inamicale et haineuse et une jeunesse algérienne aussi
patriote, sinon plus, que les générations précédentes.
La première
conclusion qui s'impose est que le monde arabe, d'une manière générale, est
dans un état déplorable. Donner à une manifestation sportive cette dimension
politique illustre à quel point le régime égyptien est dans le désarroi. Il
n'avait rien à offrir à son peuple, sinon une victoire de football. C'est
pourquoi la défaite fut amère. Ce n'est plus l'éthique du sport qui est mise en
avant ; c'est la crédibilité d'un régime qui est en jeu, un régime qui dépend
de la mendicité internationale et des touristes étrangers qui visitent un pays
conquis. D'où le besoin de détourner les sentiments nationalistes des Egyptiens
qui n'ont rien à voir avec les opportunistes de médias manipulés par les
‘moukhabarat'.
Le peuple égyptien est pacifique, et toute
son histoire a montré qu'il est hospitalier au point où nombre de ses
dirigeants et de son élite sont issus de différentes parties du monde musulman.
Le grand quotidien Al Ahram a été fondé en 1880 par des Syro-Libanais qui
avaient trouvé refuge au Caire. Sati El Husri (1882-1968), d'origine syrienne,
avait aussi choisi Le Caire où il vécut de 1942 à sa mort. Pour lui, l'unité
arabe devait se faire autour de l'Egypte qu'il comparait à la Prusse qui avait
unifié l'Allemagne au XIXème siècle. Les Maghrébins aussi ont contribué à la
vie culturelle, religieuse et politique de l'Egypte. Le quartier des Maghrébins
au Caire atteste de leur présence et des liens avec l'Afrique du Nord. L'un des
grands dirigeants de l'organisation des Frères musulmans, décédé il y a
quelques années, porte de nom de Omar Tlemçani.
Jusqu'à l'avènement du parti unique en 1952,
l'Egypte avait par ailleurs une élite intellectuelle (Lutfi Sayyed, Taha
Hussein, Ali Abderrazak, Ahmed Amine...), politique (les cadres du parti Wafd)
et artistique qui a rayonné dans tout le monde arabe. Elle promettait des
perspectives d'Etat de droit et de démocratie qui à l'époque étaient
contrariées par la monarchie inféodée aux Britanniques. Le régime autoritaire
de Nasser qui à l'origine avait suscité de l'espoir, a détruit la monarchie
mais aussi la société civile, affichant un mépris hautain pour le débat
démocratique, étouffant dans l'oeuf l'expérience de la société civile
égyptienne. A la faveur du discours démagogique panarabiste et soi-disant
socialiste, le régime a favorisé les opportunistes et les médiocres en chassant
vers l'exil intérieur des penseurs comme Taha Hussein.
Le régime égyptien a mis en place, dès les
années 1950, un système de parti unique qui aspirait vers le haut les médiocres
et les corrompus. Ce sont eux, et ceux qu'ils ont formés, qui insultent
l'Algérie, un pays qui a avec l'Egypte des liens historiques et culturels plus
forts qu'ils n'imaginent. Savent-ils au moins que c'est une tribu de la Petite
Kabylie - les Kotama - qui, après avoir accueilli et protégé Obeidallah, un
descendant de Fatima, fille du Prophète, ont marché vers le Moyen-Orient pour
renverser les Abbassides et pour proclamer Obeidallah calife à Baghdad. Les
Kotama se sont arrêtés en Egypte, ont créé Al Kahira (la Victorieuse) et ont
fondé la dynastie Fatimide qui avait égalé en splendeur celle des Abbassides.
Les Fatimides ont créé l'université Al Azhar, la plus ancienne université au
monde, antérieure à celle de Bologne. Se rappellent-ils ces médiocres de la
presse que ce sont le Président Boumédiène et le Roi Fayçal qui ont financé
l'armement dont l'Egypte a eu besoin pour libérer le Sinaï en 1973 ? On raconte
que Boumédiène et Fayçal étaient fous de rage lorsque Sadate avait signé
l'accord de cessez-le-feu au kilomètre 101. Boumédiène voulait que l'armée
israélienne entre au Caire où elle aurait été défaite par la guérilla urbaine.
La nomenklatura du Caire tenait trop à son confort pour laisser le peuple
égyptien affronter l'armée sioniste. La médiocrité n'a pas de mémoire, ni de
dignité. Ce sont là les conséquences désastreuses du système du parti unique
qui a écarté les Egyptiens de valeur et mis à leur place les domestiques des
‘moukhabarat'.
Il y a un lourd contentieux entre les peuples
musulmans, qui se sentent trahis, et le régime égyptien qui a accepté en 1979, pour
quelques centaines de millions de dollars, d'ouvrir une ambassade de l'Etat
hébreu au Caire, sans que Israël n'accepte un Etat palestinien avec Jérusalem
comme capitale. C'est le minimum que les musulmans puissent accepter d'Israël
et de l'Occident. Les jeunes supporters algériens, et cela a été dit et redit,
n'ont pas accepté que leur équipe de football, symbole du drapeau national,
soit agressée dans un pays qu'ils considéraient comme le leur. C'est évident,
mais ce qu'ils n'acceptaient pas au fond, c'est que le régime égyptien soit
insensible au sort des Palestiniens en général et de Gaza en particulier. «
Qu'ils aident Gaza et nous leur donnerons le match », m'avait dit un jeune de
banlieue en France. Le match Algérie-Egypte a révélé ce contentieux entre
l'Egypte et le monde arabe. Soudanais, Marocains, Syriens... ont soutenu
l'équipe algérienne parce qu'ils considèrent que Hosni Moubarak porte une
responsabilité personnelle dans le meurtre de centaines de Palestiniens en
décembre 2008 et janvier 2009.
Sur un autre plan, les jeunes Algériens ont
montré qu'ils sont attachés à leur pays et à ses symboles. Ils n'acceptent pas
qu'on touche au drapeau et à ce qu'il symbolise. Les jeunes Algériens ont tous
les défauts du monde, et ils sont les premiers à le dire, mais il faut leur
reconnaître une qualité: l'attachement à la dignité et à la justice. Malgré
tous ses problèmes sociaux, culturels et politiques, l'Algérie a un atout
extraordinaire: sa jeunesse et sa soif de vivre dans la dignité. Si l'Etat mettait
à sa disposition un enseignement de culture scientifique, elle traduirait dans
les actes les aspirations de la génération de Novembre 1954.
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Posté Le : 24/12/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Lahouari Addi
Source : www.lequotidien-oran.com