Algérie

Les mécanismes contre la corruption neutralisés



Les mécanismes contre la corruption neutralisés
Affaire Khalifa, affaire de laBCIA, affaire AchourAbderrahmane, affaire de laGCA', les scandales se suivent et seressemblent, creusant le Trésor publicet minant la confiance entre le citoyen et l'Etat.Pendant ce temps, s'il y a un silence qui resteénigmatique, c'est celui de la Cour des comptesqui sombre dans un sommeil léthargique depuisau moins dix ans, faisant défaut à ses obligations... L'organe national de prévention et de luttecontre la corruption, créé par décret présidentielcomme principal mécanisme demise en application de la loi 06/01 relative à laprévention et la lutte contre la corruption, est luiaussi mis au placard, en attendant que la volontépolitique daigne le libérer. Dans un documentétabli dans le cadre du Mécanisme africain d'évaluationpar les pairs (MAEP) lié au NEPAD etmis en ligne sur le site web du ministère des Affairesétrangères, le gouvernement reconnaîtqu'« en dépit des efforts déployés, il y a lieu deconstater que le fléau persiste du fait de corrupteursétrangers et/ou nationaux ». Un mea-culpaédifiant sur une situation catastrophique. Car aumoment où l'on croyait les moyens de lutte renforcéset la volonté politique plus que jamais déterminée,la dilapidation des deniers publics,l'abus de biens sociaux, le délit d'initié ' la listen'est pas exhaustive ' saignent comme jamais auparavantl'économie nationale et sapent le moralde la nation, à l'ombre du silence complice desinstitutions de l'Etat, notamment les assembléesélues. Pourquoi aussi peu d'impact et pourquoitous ces blocages des mécanismesanticorruption ' A quel point les enjeux du phénomènedéterminent-ils la conduite des gouvernants ' Enquête. Le 19 avril 2004, Bouteflikainaugure son 2e mandat présidentiel en signant undécret portant ratification de la convention desNations unies contre la corruption. Fait saluéd'ailleurs par le secrétariat général de l'institutioninternationale. Le 10 octobre de la même année,à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire,A. Bouteflika déclare : « Je voudrais insister surl'importance qu'il convient d'accorder à la luttecontre la corruption partout et dans toutes lesinstitutions, y compris dans le secteur judiciairecar cette forme de criminalité insidieuse entravele développement économique, fait fuir les investisseursétrangers, cause un grand tort aux citoyenset mine la confiance des populations dansl'Etat. » Le défi est relevé. Le processus de réformesdans lequel s'était engagée l'Algérie nepeut souffrir un tel fléau. Au problème « multidimensionnel », on prescrit une « approche globale ». Aux intentions formellement nobles se joignentdes décisions salutaires, puisque leprésident, afin de faire face au phénomène de lacorruption, du trafic d'influence et d'atteintes auxdeniers publics, invite le gouvernement Ouyahiaà élaborer un code qui « facilitera la lutte contre lacorruption et la mise en place de mécanismes desuivi de la lutte contre ce fléau, conformément àla convention internationale », selon ses mots. Leministre de la Justice, Tayeb Belaïz, celui-làmême qui avait représenté l'Algérie pour la signaturede la convention des Nations unies à Mexicoen 2003, est chargé de préparer l'avant-projet deloi. Le texte est examiné et adopté par le Conseildes ministres le 13 avril 2005. Sept mois plustard, le Parlement et ensuite le Sénat votent le texte,qui sera signé par le président Bouteflika en février2006 et publié au Journal officiel sous le numéro06/01. Tout le monde applaudit ce grandpas vers le développement et le temps venu d'unprésent chantant. Les quelques voix discordantes,ou du moins sceptiques, sont étouffées par l'optimismeambiant. Il est vrai que les objectifs politiquesde la loi (article 2) sont rassurants et davantagepour les avertis, sachant que celle-ci donneobligation de résultat pour les pouvoirs publics.L'homme le mieux payé en Algérie !La loi se décline en deux aspects, dont le plus importantest celui de la prévention. Les mesures yafférentes touchent l'ensemble des sources decorruption, notamment dans le secteur public, àl'image de la passation des marchés publics, laprévention du blanchiment d'argent et la gestiondes finances publiques. La déclaration du patrimoine(article 4) en est la preuve. Les plus hautsresponsables de l'Etat sont, en effet, enjoints dedéclarer leurs biens ; déclarations censées êtrepubliées sur le Journal officiel (article 6).Dans le rapport d'évaluation gouvernementale del'état de la corruption pour 2006 et 2007, les autoritésnotent avec satisfaction le nombre d'affairesjugées par les juridictions (respectivement 680 et861). De la poudre aux yeux qui cache mal la paralysiequasi totale des mécanismes mis en placeet l'application de la loi. Le citoyen lambda est enmesure de vérifier l'application ou non des mesuresprescrites, notamment en ce qui concerne ladéclaration du patrimoine. Il faut savoir que lapublication de ces déclarations dans le Journalofficiel est une obligation juridique. Depuis l'entréeen vigueur de la loi 06/01, ce sont des centaineset des centaines de responsables qui sontconcernés.Or, rien n'a été fait. L'opinion publique ignore sices déclarations ont été produites. Si la réponseest négative, quelles en sont les raisons ' Si oui,pourquoi n'ont-elles n'ont pas été publiées, sachantqu'elles atterrissent chez le premier présidentde la Cour suprême ' Ce dernier les a-t-il envoyéesà l'imprimerie officielle, qui est placéesous la tutelle du gouvernement ' Mystère etboule de gomme. Une chose est sûre : les loissont foulées aux pieds.Pourtant, l'article 60 de la Constitution avertit expressément : « Nul n'est censé ignorer la loi. Toutepersonne est tenue de respecter la Constitution etde se conformer aux lois de la République. » Unefondamentale explicitée par l'article 4 du code civil : « Les lois promulguées sont exécutoires sur leterritoire de la RADP. » Le gouvernement est responsablede l'application ou non des lois, selonl'article 85 de la Constitution : « Outre les pouvoirsque lui confèrent expressément d'autres dispositionsde la Constitution, le Premier ministre(ex-chef du gouvernement) exerce les attributionssuivantes : il veille à l'exécution des lois etrèglements. » Quand un manquement est signalé,la faute lui incombe et il doit en assumer lesconséquences. Plus grave, la loi de prévention etde lutte contre la corruption prévoit des sanctionsen cas de violations des dispositions sur la déclarationdu patrimoine. L'article 36, traitant du défautou la fausse déclaration du patrimoine, stipule : « Est puni d'un emprisonnement de 6 mois à5 ans et d'une amende de 50 000 à 500 000 DAtout agent public, assujetti légalement à une déclarationdu patrimoine, qui, deux mois après unrappel par voie légale, sciemment, n'aura pas faitde déclaration du patrimoine, en aura fait une déclarationincomplète, inexacte ou fausse, ou formulésciemment de fausses observations ou quiaura délibérément violé les obligations qui luisont imposées par la loi. » Donc si ces déclarationsne sont pas publiées au JO dans les délaisimpartis par la loi (2 mois), elles sont réputées inexistantes.Le défaut de déclaration étant considérécomme une infraction, pourquoi alors le ministèrepublic ne s'autosaisit-il pas alors qu'il estcensé représenter le peuple ' Veut-on vraimentconsacrer la transparence 'Il s'agit bien d'une pratique du système et non pasd'actes isolés. Ce qui ne fait pas honneur à l'Algérieet conforte les critiques décochées à l'endroitde la loi de lutte contre la corruption et, par voiede conséquence, la volonté politique d'en découdreavec ce fléau qui prospère.Sur un autre plan, la loi est jugée en retrait parrapport aux conventions internationales par lesONG oeuvrant dans ce domaine, notamment ence qui concerne la qualification juridique des infractions.En effet, sous couvert de la ratificationdes conventions internationales, les initiateurs dece texte ont requalifié la classification de l'infractiondans le détournement de deniers publics (article29). Avant, l'article 119 du code pénal considéraitle détournement de deniers publics commecrime et la sanction variait entre la prison à vie etla peine capitale.En revanche, la loi 06/01 qualifie le détournementde deniers publics de délit.Pour avoir détourné 3200 milliards, Achour Abderrahmane,pour ne citer que cet exemple defraîche mémoire, a écopé de 10 ans de prison ferme(uniquement pour ce grief). La nouvelle loifera de lui l'homme le mieux payé en Algériepuisque cela équivaut à un salaire de 2 millionsde centimes par heure d'incarcération. De quoicréer l'émulation ! Est-il raisonnable d'admettreque celui qui vole les réserves de change de l'Algérien'écope pas de plus de 10 ans 'Qui se cache derrière le blocage 'En dépit de l'article 17 de la loi 06/01, force est deconstater que pour la mise en oeuvre de la stratégienationale de lutte anticorruption, l'Algérie nedispose toujours pas d'organe spécialisé. Un levierdont l'absence enlève tout sérieux aux professionsde foi et à la démarche présidentiellecouronnée par la promulgation d'une loi et tout undispositif qui restent sur le papier. L'organe rattachéà la présidence demeure tributaire de la volontédu président, qui détient seul le secret decette « rétention ».Depuis novembre 2006 et en dépit du décret présidentieln°06/413 du 22 novembre 2006 fixant lacomposition de l'organe national de prévention etde lutte contre la corruption, son organisation etson fonctionnement, le président Bouteflika n'atoujours pas désigné ses 6 membres. Cette désignationest pourtant une condition sine qua nonpour l'installation de l'organe. Comment justifierce grand retard ' En plus du fait qu'elle entrave lefonctionnement de la machine anticorruption,cette situation vient en violation des articles 60 et85 de la Constitution ainsi que l'article 4 du codecivil. Les Algériens sont habitués à ce genre depratiques par lesquelles les lois deviennent descoquilles vides et ont toutes les raisons de tournerle dos aux discours politiques sur la moralisationde la vie publique et le rétablissement de laconfiance entre gouvernants et gouvernés.Une autre preuve et pas des moindres : la situationde la Cour des comptes.Celle-ci est plus importante puisqu'elle est mentionnéedans la Constitution, dont l'article 170stipule en effet qu'« il est institué une Cour descomptes chargée du contrôle a posteriori des financesde l'Etat, des collectivités territoriales etdes sociétés publiques ». C'est Chadli Bendjedidqui a institué, en 1979, la Cour des comptes, qui ad'ailleurs beaucoup fait parler d'elle au milieu desannées 1980 avant de sombrer dans la léthargiejusqu'à la venue de Liamine Zeroual, qui l'a réorganiséepar l'ordonnance 95/20 du 17 juillet1995, en lui donnant un beau siège et de larges attributions.La Cour des comptes établit un rapport annuelqu'elle adresse au président de la République. Lerapport, selon l'article 16 de l'ordonnance, reprendles principales constatations, observationset appréciations résultant des travaux d'investigationde la Cour des comptes, assorties des recommandationsqu'elle estime devoir formuler ainsique les réponses y afférentes des responsables,représentants légaux et autorités des tutellesconcernées.Le rapport doit être publié totalement ou partiellementau JO de la RADP et une copie doit êtretransmise par la Cour des comptes à l'institutionlégislative. Depuis 1995, soit 14 ans, ce sont14 rapports qui auraient dû être publiés, par laforce de la loi, mais les archives du Journal officielpeuvent témoigner qu'il n'y a aucune trace deces rapports au moins depuis 12 ans. Ainsi, l'organenational mort-né, la Cour des comptes liquidée,avec quoi veut-on empêcher la corruption et« renforcer la dynamique de la démocratie et del'Etat de droit » 'Qui est derrière ce blocage ' Mieux encore, qui aintérêt à ce que meure la Cour des comptes et quil'a enterrée ' Comment faire face à l'avidité de lamafia et ses tentacules enracinés dans les plushautes institutions de l'Etat ' Pas avec des discours,ni avec des textes en tout cas. Le fléau de lacorruption, qui semble avoir encore de beauxjours devant lui, constitue une sérieuse menacesur le devenir des institutions de l'Etat et de générationsd'Algériens.


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