Un marché de 30 milliards de cigarettes pour un pays qui dispose du quatrième PIB le plus important d'Afrique. Il n'en fallait pas plus pour allécher le leader incontesté du tabac.L'américain Philip Morris a annoncé, lundi, être parvenu à un accord pour l'acquisition d'une participation dans la Société des tabacs algéro-émiratie (Staem). Ainsi, pour un investissement de 625 millions de dollars, Philip Morris entend prendre une participation de 49% dans le capital de l'émirati Arab Investors TA, partenaire majoritaire dans la Staem aux côtés de la Société nationale des tabacs et allumettes (SNTA). Un accord susceptible de garantir une participation minimum de 25% à la firme américaine dans le capital de Staem.
Cependant, si les responsables de Philip Morris se montrent très optimistes quant aux retombées de l'accord conclu sur le cours de l'action et le chiffre d'affaires de l'entreprise, une question pourrait se poser avec acuité. Celle de la possibilité de voir les Algériens user de leur droit de préemption sur la cession des actifs de la Staem, d'autant qu'une telle option pourrait permettre à la SNTA, actuellement détentrice de 49% des parts de la joint-venture algéro-émiratie, de devenir majoritaire.Le gouvernement algérien n'en est pas à sa première tentative en la matière.
Les cas Djezzy, Michelin et plus récemment ArcelorMittal reflètent d'ailleurs une démarche gouvernementale ayant pour finalité de permettre au capital public de réinvestir la sphère économique et commerciale. A ce titre, maître Nasr Eddine Lezzar, membre de la Cour internationale d'arbitrage et de la Chambre de commerce internationale, estime qu'avec l'aisance financière dont il bénéficie aujourd'hui, le gouvernement algérien adopte une démarche qui tranche avec celle du début des années 1990, lorsque l'on avait décidé d'ouvrir la voie à l'initiative privée et que l'Etat s'était désengagé des activités économiques et commerciales.
Le juriste estime ainsi que comme l'Etat détient beaucoup d'argent aujourd'hui, il décide d'injecter les fonds publics dont il dispose pour réinvestir la sphère économique. Pour cela, les pouvoirs publics ont multiplié les mesures, à l'image de l'assainissement financier des entreprises publiques, le rachat par le Trésor public des créances non performantes au sein des banques et enfin l'usage du droit de préemption et de la renationalisation pour récupérer des actifs cédés dans le cadre des privatisations.
Or, ajoute-t-il, cette démarche est incohérente pour diverses raisons. Maître Lezzar précise, à ce titre, que la volonté d'un Etat d'investir dans une filière stratégique et économiquement peu rentable est très compréhensible. Ce qui l'est moins, c'est de vouloir remettre les activités économiques et commerciales à caractère lucratif et rentable dans le giron quasi exclusif des entreprises publiques.
Renationalisation-préemption : la confusion
D'autant que, selon le juriste, les pouvoirs publics, grisés par l'aisance financière, entendent, via les différents assainissements financiers et l'injection massive de fonds publics, faire jouer aux entreprises les premiers rôles, sans avoir au préalable révisé le mode de gouvernance de celles-ci. Ce qui revient, selon lui, à rééditer le modèle économique des années 1970-80, lequel a conduit à la faillite. Pour M. Lezzar, le plus cohérent aurait été de permettre aux entreprises nationales, qu'elles soient publiques ou privées, de profiter des opportunités qui se présentent dans les mêmes conditions, tant qu'il s'agit de sauvegarder et de consolider le patrimoine économique national. Ce qui pousse le juriste à s'interroger sur le cas Michelin et la volonté du gouvernement de faire usage du droit de préemption contre le groupe Cevital, un privé algérien, qu'il faut laisser, selon lui, comme tout privé national, acquérir les actifs d'entreprises étrangères installées en Algérie et même à l'étranger.
Aussi, ce qui semble déranger le plus maître Lezzar, ce sont les renationalisations opérées récemment par le gouvernement algérien ou plutôt la manière dont celles-ci ont été opérées, qui n'ont au final servi qu'à renflouer les caisses de certains groupes internationaux. Il estime qu'on alimente aujourd'hui une confusion entre droit de préemption et renationalisation, illustrée dans la loi portant privatisation, laquelle, via la clause de l'action spécifique, permet au gouvernement d'user d'un droit de préemption même si le repreneur n'affiche pas de désir de cession de ses actifs. Le cas le plus édifiant étant celui de la privatisation-renationalisation du complexe sidérurgique d'El Hadjar.
A ce sujet, le juriste affiche une certaine incompréhension par rapport au résultat des négociations qui ont été menées. Il indique que pour le cas d'un repreneur qui n'a pas respecté ses engagements, celui-ci s'en tire plutôt bien. Ainsi, le gouvernement algérien n'a seulement pas été dédommagé pour le préjudice subi par El Hadjar après sa privatisation, le désinvestissement et l'endettement qui s'en est suivi, mais ArcelorMittal bénéficiera pleinement des fonds publics qui seront injectés grâce au plan de développement et de recapitalisation du complexe, vu qu'il détient toujours des parts dans l'entreprise. Et d'ajouter qu'user des clauses contractuelles pour se faire dédommager et écarter définitivement le repreneur aurait été plus indiqué.
Maître Lezzar rappelle également le dossier Djezzy, estimant qu'il aurait été plus cohérent de récupérer le patrimoine de l'entreprise après expiration de sa licence au lieu de payer 7 milliards de dollars pour des actifs qui n'en rapporteraient pas autant à cette échéance-là. Tout autant de faits d'armes qui posent, selon lui, le problème de la rentabilité et de l'opportunité de la renationalisation ou de l'usage du droit de préemption. Il s'interroge aussi sur la transparence des «négociations menées en alcôve», mettant à rude épreuve les capacités des négociateurs algériens.
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Posté Le : 02/10/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Roumadi Melissa
Source : www.elwatan.com